Percy Kemp: Histoires
courtes, L’Orient des livres, Beyrouth, 2014, 84pp.
Si l’on en croit Leo Strauss, qui prétend avoir puisé sa
grille d’interprétation dans la lecture d’Al Farâbî, philosophe ni arabe ni
musulman bien qu’il prête le flanc aux deux accusations, c’est au centre d’un
livre qu’on découvre la pensée secrète d’un auteur. Or au milieu de ce recueil
de onze Histoires courtes parues presque toutes dans L’Orient
littéraire (mais l’une dans Maison française et l’autre dans Le
Monde), les contes 5 et 6 (« Mort subite » et « La paresse
est mère de tous les vices ») nous font pénétrer dans l’immonde, l’urétral
et l’anal pour évoquer deux stades de l’érotisme freudien. Les deux textes sont
liés par la question hamletienne mais passent de « comment être et ne pas
être » à «déféquer ou ne pas déféquer ». Evidemment, Percy narrateur prend
des risques avec ces Histoires, mais elles sont révélatrices de ses
tactiques : ne reconnaître aucune frontière, provoquer, se jouer des
contraires, détourner l’érudition comme une belle mineure, se révéler et se
cacher pour débusquer ennemis et amis.
Percy Kemp, de père britannique et de mère libanaise, laisse-t-il au vestiaire, dans ces Histoires se
déroulant en France, au Liban, aux Etats Unis, et surtout en Angleterre, ses compétences pour le renseignement
stratégique et sa vocation pour le roman
d’espionnage? Voire! Si de son aveu, le français lui permet d'éviter la dichotomie propre aux biculturels et de s’engager dans
une troisième voie, il est à l’aise dans le binaire se jouant des classifications,
se glissant dans les marges et sortant un opposé d’un autre : pauvre Emile
face au « sexe faible » et quelle «souveraineté » que la
misère ! Quant à sa causticité faite de drôlerie, de méchanceté, de verve
satirique et de scepticisme, il faut un Oscar Wilde ou un Bernard Shaw pour
trouver plus britannique.
Sur
une scène quotidienne qu’il
théâtralise ( les bruits d’un immeuble devenant, par exemple, un scenario de
pièce dans « Heureux qui comme Beethoven… »), Kemp rend la manœuvre
plus importante que la bataille, prend les mots et les expressions à la
lettre, fait relever la tête aux
comportements honteux (« un je-ne sais-quoi de nonchalant sans lequel il
n’y a pas d’élégance vraie »). Souvent ses récits, pour réussir un effet
d’inversion, ressemblent à ces poèmes de Victor Hugo (La douleur du pacha, Les
pauvres gens…) qui opposent un texte de plusieurs pages à une phrase terminale.
Une seule règle : casser le marasme des habitudes et aménager le suspense
et la surprise.
Il faut lire ces Histoires courtes comme des exercices
de style, non seulement littéraires, mais vestimentaires, hygiéniques,
érotiques, narratifs, intellectuels…Chemin faisant et dans un climat de
gratuité, d’esthétisme et de dandysme, l’auteur a mené des raids contre la
société de consommation, sans doute contre d’autres conformismes…Mais quel
charme y a-t-il à repérer son camp, à le
situer sur la carte?