Saturday 5 April 2008

LE CORAN, ETAT DES LIEUX


















Dictionnaire du Coran, sous la direction de Mohammed Ali Amir-Moezzi, collection Bouquins, Robert Laffont, 2007, 982pp.

Il faut le dire d’emblée : ce Dictionnaire transcende l’actualité politique et le verbiage courant sur le dialogue des civilisations. Ce serait amoindrir ses mérites que d’affirmer qu’il dissipe bien des idées reçues sur l’islam et son Livre et qu’il écarte définitivement toute confusion entre musulmans et islamistes. L’enjeu est autre et bien plus important. Il est de faire profiter son objet, le Coran, dans le respect qui lui est dû, de « l’apport intellectuel le plus magnifique de la modernité, à savoir la pensée critique ». L’entreprise n’est pas la première du genre, mais à l’encontre d’autres, elle ne s’adresse pas aux seuls initiés, mais à un « grand public, non spécialiste et cultivé ». Si donc l’érudition est le sol ferme et la rigueur l’objectif permanent, l’accessibilité du propos, la lisibilité voire la simplicité sont continuellement visées. EIles trouvent dans la sérénité de l’approche leur couronnement.

L’entreprise éditoriale qui donne à la collection de Daniel Rondot son nouveau fleuron a bénéficié de l’aide de prestigieuses institutions dont le CNRS et l’EPHE…Cinq années de travail ont été nécessaires pour une équipe de 28 chercheurs de nationalités diverses (tous francophones pour des raisons budgétaires : Français, Belges, Italiens, Tunisiens, Algériens, Iraniens, Israéliens…mais quid de l’absence de Libanais ?) coordonnée par Mohammad Ali Amir-Moezzi, directeur d'études à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (Sorbonne) et titulaire de la chaire de la théologie islamique classique, pour produire ce dictionnaire de plus de 500 entrées. Le maître d’oeuvre, français d’origine iranienne, élève de Henri Corbin et grand spécialiste du shî’isme, laisse à l’ouvrage son empreinte propre en donnant aux traditions shîites et à l’exégèse mystique une place généralement ignorée, mais dans le respect de « la liberté d’expression, l’approche méthodologique et les conceptions intellectuelles » de chaque contributeur. Il n’est que loyal de dire que le but recherché, « une connaissance du Coran aussi objective, sereine et distanciée que possible  », mais obligatoirement datée de ce début de siècle, est pleinement atteint.

C’est que depuis plus de 150 ans, de nouveaux manuscrits (le Coran de Sanaa en particulier, datant des années 37-71h.) et des sources nouvelles (ouvrages datant de la seconde moitié du IIème siècle h.) ont été découverts, bouleversant les connaissances sans avoir été pleinement exploitées ; de nouvelles méthodes et hypothèses ont été élaborées. Ces mises à jour, loin cependant de créer un consensus parmi les islamologues sur l’histoire, le texte et la mise par écrit du Coran, font aujourd’hui que nulle théorie ne réussit à créer l’unanimité. Sur la datation de la vulgate officielle qui pose problème en raison des sources tardives qui en parlent les premières, Ibn Saad(229h.) et al-Bukhârî (256h .), on a pu répertorier quatre points de vue contemporains : elle daterait du temps du calife ‘Uthmân (F. Schwally), de celui de l’omeyyade ‘Abd al-Malik (A. Mingana), du début du IIIème siècle de l’hégire (Wansbrough), de celui du prophète (J. Burton).

Mais au-delà des querelles entre méthodes « critique » et « hypercritique » qui divisent les orientalistes, des éléments internes au texte coranique posaient déjà problème aux savants musulmans médiévaux comme les « lettres isolées » qui ouvrent certaines sourates, ainsi que des expressions et des termes au sens indéterminé ou à l’origine inconnue (jizya ‘an yad, al-samad, hanîf…) Il faut ajouter à cela que « la tradition textuelle islamique renferme des zones d’ombre et des contradictions discrètes mais significatives ». Tous ces aspects posent problème et réintroduisent l’histoire et les luttes politico-religieuses dans une version qui n’a pu recevoir la reconnaissance unanime des musulmans que plusieurs siècles après le Message lui-même.

La richesse du Dictionnaire se manifeste, outre par les compléments indispensables que forment références bibliographiques, glossaire, index, cartes, chronologie comparée…, au double plan de l’établissement des entrées et de la structure des articles. Au premier palier, nous trouvons à coté des notions théologiques, eschatologiques, cosmologiques, juridiques, anthropologiques, morales…, des personnages nommés dans le Coran, et des sciences traditionnelles relatives au texte sacré, des entrées qui traitent de personnages, d’institutions, de faits dans leur rapport à lui (Occident et Coran, Philosophie islamique, Exégèse contemporaine…) Au niveau des articles, la plupart cherchent, avec clarté, concision et érudition à trouver une voie entre un sens premier à découvrir et la pluralité des interprétations historiques.

Bien que ce Dictionnaire survole partiellement quinze siècles d’histoire multiforme et de traditions stratifiées, il donne l’heureuse impression de se tenir à une aube et de veiller au développement du jour.

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