Friday 15 October 2010

Waraq al Sham, collage dédié par Chafic Abboud à Adonis


Avec Adonis (né en 1930), les relations de la poésie avec les arts plastiques prennent des proportions autres, désormais multiples et planétaires. Résidant une partie de l’année à Paris et reconnu comme l’un des plus grands poètes de notre temps, les peintres venus rencontrer son verbe novateur, visionnaire et riche de traditions séculaires sont non seulement arabes (Mona Saudi, Marwan, Etel Adnan, Dia Azzawi, Fateh Moudarres…) mais internationaux (Soulages, Vélickovic…) Il devient même une école d’apprentissage pour de jeunes peintres de talent, nombreux pour illustrer ses recueils. Lui-même d’ailleurs s’essaie aux collages dès le début des années 1990 et parvient, à partir des éléments les plus épars et le plus souvent sur fond d’écriture arabe lisible ou illisible, à créer un style reconnaissable et un monde enchanté.
Chafic Abboud (1926-2004) résida lui aussi longuement à Paris dont il est un des représentants les plus originaux de son école de peinture : des formes et des couleurs suaves décomposées par la lumière et enlevées par elle dans une œuvre où l’équilibre et la rationalité sont indéniablement présents, perceptibles mais difficiles à définir. Son amour du livre et son attachement à la culture arabe, il les avait démontrés dans un superbe ouvrage paru à Beyrouth en 1970, où il calligraphia, orna et mit en pages une anthologie des « Maqâmât » (Séances) de Hariri (XI-XII èmes siècles).
Le collage offert par Abboud à Adonis trouve son origine et son matériau dans leurs relations personnelles et leurs échanges. Le peintre insistait à rouler lui-même ses cigarettes et pour ce demandait à son ami poète de lui amener de Damas ces papiers ultrafins enveloppés dans des couvertures bleues et rouges appelées communément « daftar dukhan » et dont le dessin et la calligraphie n’ont pas changé depuis des décennies. Pour l’en remercier et sans doute fasciné par une tradition artisanale ininterrompue, fidèle à une référence arabe ancestrale, sensible à un chromatisme issu de la décadence ottomane, Abboud entreprit ce collage.
Dans ce royaume bleu clair où les formes son décomposées jusque l’infime sans perdre leurs lignes, où les lettres arabes sont omniprésentes et le rouge orange cantonné, le motif principal du daftar resplendit d’une identité propre, lieu d’ancrage sensuel et métapolitique.

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