Saturday 1 November 2014

PERCY KEMP EN SES COURTES HISTOIRES







Percy Kemp: Histoires courtes, L’Orient des livres, Beyrouth, 2014, 84pp.

          Si l’on en croit Leo Strauss, qui prétend avoir puisé sa grille d’interprétation dans la lecture d’Al Farâbî, philosophe ni arabe ni musulman bien qu’il prête le flanc aux deux accusations, c’est au centre d’un livre qu’on découvre la pensée secrète d’un auteur. Or au milieu de ce recueil de onze Histoires courtes parues presque toutes dans L’Orient littéraire (mais l’une dans Maison française et l’autre dans Le Monde), les contes 5 et 6 (« Mort subite » et « La paresse est mère de tous les vices ») nous font pénétrer dans l’immonde, l’urétral et l’anal pour évoquer deux stades de l’érotisme freudien. Les deux textes sont liés par la question hamletienne mais passent de « comment être et ne pas être » à «déféquer ou ne pas déféquer ». Evidemment, Percy narrateur prend des risques avec ces Histoires, mais elles sont révélatrices de ses tactiques : ne reconnaître aucune frontière, provoquer, se jouer des contraires, détourner l’érudition comme une belle mineure, se révéler et se cacher pour débusquer ennemis et amis.
          Percy Kemp, de père britannique et de mère libanaise, laisse-t-il au vestiaire, dans ces Histoires se déroulant en France, au Liban, aux Etats Unis, et surtout en Angleterre,  ses compétences pour le renseignement stratégique  et sa vocation pour le roman d’espionnage? Voire! Si de son aveu, le français lui permet d'éviter la dichotomie propre aux biculturels et de s’engager dans une troisième voie, il est à l’aise dans le binaire se jouant des classifications, se glissant dans les marges et sortant un opposé d’un autre : pauvre Emile face au « sexe faible » et quelle «souveraineté » que la misère ! Quant à sa causticité faite de drôlerie, de méchanceté, de verve satirique et de scepticisme, il faut un Oscar Wilde ou un Bernard Shaw pour trouver plus britannique.
          Sur une scène quotidienne qu’il théâtralise ( les bruits d’un immeuble devenant, par exemple, un scenario de pièce dans « Heureux qui comme Beethoven… »), Kemp rend la manœuvre plus importante que la bataille, prend les mots et les expressions à la lettre,  fait relever la tête aux comportements honteux (« un je-ne sais-quoi de nonchalant sans lequel il n’y a pas d’élégance vraie »). Souvent ses récits, pour réussir un effet d’inversion, ressemblent à ces poèmes de Victor Hugo (La douleur du pacha, Les pauvres gens…) qui opposent un texte de plusieurs pages à une phrase terminale. Une seule règle : casser le marasme des habitudes et aménager le suspense et la surprise.

          Il faut lire ces Histoires courtes comme des exercices de style, non seulement littéraires, mais vestimentaires, hygiéniques, érotiques, narratifs, intellectuels…Chemin faisant et dans un climat de gratuité, d’esthétisme et de dandysme, l’auteur a mené des raids contre la société de consommation, sans doute contre d’autres conformismes…Mais quel charme y a-t-il à repérer  son camp, à le situer sur la carte?