Friday 22 August 2014

FOUCAULT EN L’ENTRETIEN







Quand j’écrivais au début de l’été 1979 à Michel Foucault afin de lui demander un entretien pour le An Nahar al‘arabî wa addûwalî, hebdomadaire qui paraissait alors en arabe à Paris et cherchait essentiellement à permettre au premier quotidien de Beyrouth An Nahar de se soustraire à la pesante présence syrienne dans la capitale libanaise, il ne parut pas empressé de répondre. Ses prises de position sur le soulèvement iranien continuaient à susciter des remous et pas seulement dans les milieux parisiens, mais il pensait avoir dit son mot final sur la question quelques mois plus tôt[1]. Et sans doute avait-il été « malade »[2] et restait-il fatigué, comme il ne cessa de le rappeler durant notre entretien. Ce n’est qu’après l’intervention d’un ami commun, Mahmoud Hussein[3], qu’il se décida à me rencontrer et m’écrivit une lettre[4] pleine de prévenance multipliant les dates et proposant son propre appartement pour lieu. Tout au long de l’interview, outre son extraordinaire prodigalité de parole, il se montra d’une incroyable délicatesse prenant en considération mon ingénuité dans la profession[5] et cherchant à apporter aide et conseil sur le déroulement matériel de la conversation et de son enregistrement. Il fit preuve de grande patience et ne cessa de dire les questions pertinentes alors qu’elles auraient pu lui paraître inconvenantes. Mais sans doute fut-il surpris de la variété des problèmes abordés et agacé de voir l’entretien se prolonger outre mesure. Il invoquait sa fièvre et son incapacité à poursuivre pour mettre fin à la séance, mais m’assurait que ce qui avait été déjà allait bien au-delà des pages requises pour un entretien dans un hebdomadaire[6]. Mais ce que je trouve toujours inouï, c’est qu’à peine venait-il d’invoquer un épuisement  manifeste, son  propos retrouvait toute sa vigueur et sa pensée ne connaissait aucun fléchissement, voire gagnait en ardeur surtout quand il voulait combattre les mésinterprétations de ses énoncés.




          Le rayonnement de Foucault parmi les intellectuels arabes, à Paris comme dans leurs capitales, était très grand : on l’admirait pour sa science et sa rigueur ; on suivait de près la place nouvelle et centrale qu’il donnait au pouvoir dans son discours et sa redéfinition du rôle de l’intellectuel à l’heure où les partis marxistes étaient en perte de vitesse. Ses interventions ponctuelles pour les prisonniers, aliénés, immigrés et contre le racisme… étaient applaudies surtout que nombre d’entre elles étaient plus ou moins coordonnées avec le mouvement maoïste qui faisait paraître La cause du peuple et avait beaucoup œuvré pour les mouvements palestiniens dans les milieux populaires français. Mais, d’une part, leur affinité historique en tant qu’intellectuels arabes inquiets sur la place de leurs pays dans le monde allait à une vision globale de l’impérialisme et des moyens de l’affronter. D’autre part, l’absence de prise de position publique de  Foucault  sur la question palestinienne, toujours centrale pour eux, les laissait insatisfaits.[7] 
          Les prises de position de Foucault à l’égard du soulèvement iranien, de septembre 1978 à février 1979, puis les débats qui se prolongèrent   jusqu’en mai de la même année, tombèrent au milieu d’un désarroi arabe politique et intellectuel. Les accords de Camp David signés le 26 mars 1979 redistribuaient la donne dans la région et le traité de paix avec l’Egypte ouvrait à Israël et son armée les portes de Beyrouth (juin 1982). L’islam semblait apporter un nouvel espoir, mais après des décades de sécularisme, de progressisme et de communisme, l’intelligentsia arabe pouvait-elle s’y rallier sans méfiance ? Nous ne pouvons nullement dire que le point de vue de l’auteur de Surveiller et punir sur ce qui se passait à Téhéran et autour guidait les intellectuels de l’autre bord de la Méditerranée, mais il les accompagnait et les réconfortait en déminant le champ des questions posées. Foucault le savait qui en fait mention dans l’entretien, fidèle à l’idée qu’on ne peut prendre la place des intéressés et parler en leurs noms : « Mais encore une fois, cela c’est le problème des musulmans, ce n’est pas le mien. Le problème pour les musulmans est de savoir si effectivement à partir de ce fond culturel et de cette situation actuelle et du contexte général, il est possible de tirer de l’Islam et de la culture islamique, quelque chose comme une forme politique nouvelle. »[8] Par ailleurs, en prenant fait et cause pour un soulèvement populaire impliquant des millions de moyen orientaux, il donnait des gages de sympathie et d’appui à une population arabo musulmane dont « l’élite » était sevrée par ses silences sur la question palestinienne. Plus loin et sur le plan théorique cette fois, Foucault posait des questions aussi générales que les rapports de l’Islam et de l’Occident, de la Révolution et de la religion, de la volonté et du droit, et allait plus loin que les « secteurs déterminés » et les « points précis » - auxquels il aurait pu confiner les interventions de « l’intellectuel spécifique »[9]- pour rejoindre le plan de l’universel. Certes Foucault ne manque pas d’arguments pour dériver sa prise de position contre tout pouvoir usurpatoire, quelle qu’en soit l’étendue, de sa figure de « l’intellectuel spécifique ». Il en profite même pour la radicaliser et l’élever à celle de capteur des fragilités d’une société.  Après avoir évoqué, dans notre entretien, les expériences du physicien, de l’historien et du sociologue, il affirme : « Alors c’est vrai que lorsque qu’on parle de l’Iran, du Vietnam, à quel titre est-ce qu’on le fait ? Je ne crois pas que ce soit quitter sa position d’intellectuel spécifique que de dire, moi en tant que gouverné, j’estime qu’il y a un certain nombre de choses qu’un gouvernement ne doit jamais faire. »[10]Ces propos peuvent ou non convaincre, mais l’aura de Foucault en 1978-1979 ne souffre plus de ses anciennes  limites. Quant à la réussite du soulèvement iranien dans la réalisation des objectifs mis en avant par le penseur français dans sa couverture des événements, elle incombait aux acteurs eux-mêmes ; l’enjeu pour des millions de personnes, et pour l’islam lui-même, allait bien au-delà de sa spéculation.






* * *
          Dans ce qui va suivre, il ne saurait être question, pour moi, ni d’évaluer la nouveauté propre à cet entretien, ni d’en voir les rapports, aboutissements et  prolongements avec les œuvres et cours de Foucault ou d’autres penseurs. D’autres se sont acculés à cette tâche, dans les pièces de ce dossier, avec une science indéniablement plus étendue. Ce que je voudrais tenter, c’est de saisir ce qu’a de propre cet entretien ou ce qu’a de propre Foucault en son entretien. Ce moyen de communication « embarrasse », en 1968, l’auteur-professeur parce qu’il constitue une forme non « statuaire de parole» : ni écriture, ni enseignement, ni conférence ou exposé: « Je me demande quelle sorte de choses je vais pouvoir dire. »[11] Une dizaine d’années plus tard, les choses ont sans doute changé et Foucault n’a cessé de multiplier ses interviews.[12]
          Le propre de la parole, dans l’entretien, est de se livrer à l’heure où la pensée est encore à un stade expérimental, où elle ne peut se dire mûre ou définitive, ou elle est tenue d’improviser. Humilité devant les assertions passées : « Or il m’a semblé, à tort ou à raison, et là je me suis peut-être tout à fait trompé… » (p. 5) et les hypothèses émises: « Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. » (p. 16) ; affirmation de la difficulté des questions traitées et de la nécessité de la discussion et de l’échange;[13] révélations psychologiques sincères ou intégrées dans une dramaturgie ;[14] revendication de la liberté actuelle et future : « je vais y répondre, comme ça sans être sûr que ma réponse soit la bonne et sans être sûr que je m’y tiendrai toujours. » (p. 17) sans renoncer à une extrême exigence : « Si je n’ai pas répondu clairement, c’est que je n’ai pas répondu du tout. » (p. 31).
          En mettant quelque peu de coté le contenu de l’entretien, et en nous attachant à la seule forme, nous y voyons se déployer des registres divers de discours qui ne sont évidemment pas absents de l’œuvre proprement dite mais y sont plus intégrés et mieux maîtrisés. Foucault commence par être un conteur et nous délivre le récit de son aventure iranienne. Se plaçant à sa fin (quitte à promettre de revenir plus tard sur certains épisodes polémiques marquants), il lui assigne un commencement (théorique, cela n’est pas anodin) : la lecture du livre de Bloch « peu connu » et posant un problème capital. Il ne manque pas d’évoquer les hasards de la route (« à la faveur d’un accident et d’une convalescence »). Cette origine initiatique ne vient qu’ensuite rejoindre les réalités proprement politiques (le soulèvement de masse) et intellectuelles (l’inadéquation des schémas occidentaux pour interpréter l’événement). D’où cette volonté d’aller voir, de chercher à comparer, de mettre à l’épreuve. « Voilà. », dit-il, à deux reprises (p.2).
          Cette poétique de la narration ne marque pas seulement le début de l’entretien, mais ruse dans les dédales proprement spéculatifs. Interrogé sur les trois concepts qui ont été au centre de ses écrits sur l’Iran, ses réponses se font échelonnées. Le premier, celui de Volonté générale, Foucault l’a vu ou cru le voir, « c’est un phénomène qui a frappé tout le monde » (p. 5) et qui est étranger aux occidentaux habitués aux démocraties représentatives. Le deuxième, le gouvernement islamique, il l’a entendu. Ses interlocuteurs lui en parlaient. « Voilà c’est ce qu’on m’a dit. » (p. 8) Le flou et l’équivoque en soi de cette notion empreinte et porteuse d’espoir éveillent l’inquiétude (p. 7). Le dernier concept, la spiritualité politique, c’est surtout ce qu’on lui a fait dire en dénaturant sa pensée et en fabriquant des faux à partir de ce qu’il n’a dit ni  écrit : « la phrase que j’ai dite était celle-ci : j’ai dit que ce que j’avais trouvé là-bas, c’était quelque chose comme la recherche d’une spiritualité politique, et je disais que cette notion qui maintenant est pour nous tout à fait obscure, qui était tout à fait claire, familière au XVIème siècle…Bon, y a pas de quoi fouetter un chat. »(pp. 9-10) L’intrigue policière tombe sur un non crime ou un non événement ou une assertion presque banale, mais dévoile une clique de faussaires et de sots pour qui aucun mot n’est assez fort, même celui de fous[15]. Dans la controverse, blessé comme il le dit d’un Occident qui fait de lui « une espèce de prophète lui-même fanatique » (p.12), Foucault retrouve une autre veine où il passe maître, la polémique acerbe. Bien des formules lapidaires utilisées ici  en donnent d’excellentes illustrations.
          On pourrait, à partir des multiples registres de discours qu’on trouve dans cet entretien, continuer à déplier les diverses figures de Michel Foucault  à l’œuvre dans sa parole: le reporter d’idées curieux de ce qui se passe dans le monde et investissant son savoir pour mieux le comprendre ; l’intellectuel qui cherche à redéfinir sa fonction en dressant des ponts entre le spécifique et l’universel ; le partisan des révoltes qui veut être le  fragilisateur des stabilités sociales, des immobilités historiques et  appuyer l’invention contre ce qui paraît naturel et nécessaire et allant de soi ;  l’historien relativiste, armé d’analogies, qui ne peut se confondre avec son objet d’étude,  mais qui ne peut lui être étranger et hostile ; le philosophe qui cherche à remonter du soulèvement à ce qui le fonde, la volonté, et qui rencontrant là d’autres philosophes (Sartre, Fichte) tente de se repositionner  par rapport à des systèmes naguère inconciliables avec sa pensée; l’occidental qui ne rend pas publique sa position religieuse ; l’esthète épris de l’ivresse du soulèvement et l’admirant en lui-même et par lui même, l’artiste compatissant emporté par la parole lyrique et la dominant (pp. 35-36), le moi dans sa singularité irréductible[16]
          Cette multiplicité étalée doit trouver son contrepoint, En relisant, plus de trente ans après, cet entretien auquel j’ai participé, je suis frappé par la force qu’il garde et dégage. Le texte ne cesse de s’interroger et de nous interroger. Sa tension, malgré la fatigue qui pointe parfois, ne tombe jamais grâce à la fougue de la parole et à la vigueur de la pensée. Mais surtout Foucault a su lui imprimer une indéniable unité. Le propos se regroupe tout entier autour de l’idée de soulèvement, envisagé dans ses réalités collective et  individuelle, concrète et idéelle. Son rapport à la religion, l’islam actuel ou le christianisme médiéval, s’inscrit dans l’histoire et en retire sa relativité, ses espérances et ses échecs. La rébellion pervertit la relation de pouvoir, s’inscrit en elle et ne cesse de s’opposer à ses excès, de lui indiquer des limites et de s’ériger en droit. Le rôle des intellectuels, issu de leur chantier propre, est d’aider à bousculer les stabilités. Ce soulèvement requiert une assise philosophique et il ne peut la trouver que dans une volonté distincte du désir et de la raison, mais agencée avec la conscience.
          Belle leçon et bel exercice sous forme d’entretien !        




[1] « Inutile de se soulever ? », Le Monde, 11-12 mai 1979, repris in Dits et Écrits, T. II, pp. 790-794.

[2] « J’ai été malade puis absent. », écrit-il dans sa lettre du 20/7/1979.
[3] Mahmoud Hussein est le pseudonyme commun à 2 intellectuels égyptiens qui ont signé ensemble de nombreux ouvrages : Adel Rifaat et Bahjat anNâdî.
[4] Cf. le fac-similé de la lettre reproduit ici.
[5] Je venais de soutenir ma thèse de doctorat et me présentais, après quelques articles, pour mon premier entretien, ce dont il avait été averti.
[6] Foucault tenait ostensiblement à ce que je réussisse dans ma tâche. Axel Honneth le caractérise bien en parlant d’ « une froideur analytique mêlée de sensibilité compatissante. » Critique, Août septembre 1986, p. 803.



[7] Didier Eribon rapporte (Michel Foucault, 1989, Champs biographie, 2011, p. 377) que dans le comité de défense des droits des immigrés, une tension prévaut souvent entre les travailleurs arabes des « Comités Palestine » et Foucault quand ils souhaitent que la dénonciation du racisme soit élargie à Israël. Il ajoute : « Mais Foucault, comme Sartre d’ailleurs a toujours été fermement pro-israélien. Et il le restera toujours. » Dans Paul Veyne (« Le dernier Foucault et sa morale » in Critique, août septembre 1986, p.935), Foucault semble mettre sur le même plan les 2 choix israélien et palestinien. 
[8] P. 14. Plus loin, il dit: “je crois qu’ils [les musulmans d’Europe]  suivaient avec sympathie. Mais je crois que leur mutisme était lié au fait qu’ils sentaient que pour l’Islam, la partie qui se jouait est très grosse, très importante. »
 
[9] « Les intellectuels ont pris l’habitude de travailler non pas dans l’universel, l’exemplaire, le juste-et-le-vrai-pour-tous, mais dans des secteurs déterminés, en des points précis où les situaient soit leurs conditions de travail, soit leurs conditions de vie (le logement, l’hôpital, l’asile, le laboratoire, l’université, les rapports familiaux ou sexuels). Ils y ont gagné à coup sûr une conscience beaucoup plus concrète et immédiate des luttes. Et ils ont rencontré là des problèmes qui étaient spécifiques, non universels, différents souvent de ceux du prolétariat ou des masses(…)  c’est ce que j’appellerais l’intellectuel spécifique par opposition à l’intellectuel universel.» Dits et écrits, 1977, II, p. 154.
[10] P. 34.
[11]  Michel Foucault: Le beau danger, Entretien avec Claude Bonnefoy, EHESS, 2011,  p. 26.

[12] Je dois à Julien Cavagnis ce rappel.
[13] « Le point si vous voulez le plus difficile sur lequel on peut discuter. »(p.6) ; « de toute façon je ne suis jamais très sûr de ce que j’avance, et j’aimerais beaucoup que l’on puisse avoir des échanges, des discussions, et que les gens qui ne sont pas d’accord puissent manifester leurs désaccords et poser leurs questions etc. » (p. 33)

[14] « Vous savez je ne saurai pas vous dire grand chose parce que j’ai l’esprit lent. »(p. 25) ; « J’ai dit ça ? C’est un texte ? » (p. 27);
[15] «Vous savez, sans doute je ferai un jour une étude sur les réactions incroyables des Français quant à ma position sur ce qui s’est passé en Iran (…) ça a été tout à fait fou. Vraiment les gens sont sortis d’eux-mêmes. » (p. 9)
[16] « J’essayais de définir un peu, sinon la position de l’intellectuel, parce que après tout je ne vois pas pourquoi je ferai la loi aux intellectuels, je n’ai jamais fait la loi à personne, mais enfin, ce que j’essayais de faire c’est ce que j’avais dans la tête. »(p. 28)

ENTRETIEN INEDIT AVEC MICHEL FOUCAULT 1979






Cet entretien d’août 1979 a longtemps été inédit en français. Il n’a été publié dans sa langue originelle qu’en 2013 dans la luxueuse revue annuelle lyonnaise Rodéo précédé et suivi  d'un dossier bien fourni. Aujourd’hui en août 2014 il reparaît dans une nouvelle et belle traduction arabe due à Ahmad Beydoun dans la revue beyrouthine Kalamun.

Sur les circonstances de cet entretien, cf. notre article publié dans Rodéo 2013 et sur ce blog et intitulé « Foucault en l’entretien », août 2014. 



FS : Si on parle de l’Iran : près de dix mois ont passé, n’est-ce pas, depuis votre première prise de position sur la révolution iranienne, prise de position qui a d’abord scandalisé et ensuite fortement marqué les milieux intellectuels français. Ces dix mois ont assisté au départ du souverain iranien et à la tentative des mollahs d’installer un gouvernement, possibilité que vous aviez évoquée et à laquelle vous aviez refusé de réduire le soulèvement iranien.
Ailleurs dans le monde ce fut le soulèvement nicaraguayen, le drame des réfugiés indochinois… Il est peut-être temps d’évaluer rétrospectivement vos diverses prises de position à l’égard des questions iraniennes.
Qu’est-ce qui vous a porté à vous intéresser à l’Iran ?

MF : Tout simplement la lecture d’un livre déjà ancien que je n’avais pas encore lu, et que, à la faveur d’un accident et d’une convalescence, j’ai eu le temps de lire avec soin l’été dernier et c’est le livre de Ernst Bloch Le  Principe Espérance[1] .
Ça m’a beaucoup frappé, parce que c’est un livre qui est finalement assez peu connu en France, a eu relativement peu d’influence, et qui me paraît poser un problème tout à fait capital. C’est-à-dire le problème de cette perception collective de l’Histoire, euh, qui commence à se faire jour en Europe au Moyen Age sans doute, et qui est la perception d’un autre monde ici-bas, la perception que la réalité des choses n’est pas définitivement instaurée et établie mais qu’il peut y avoir, à l’intérieur même de notre temps et de notre histoire, une ouverture, un point de lumière et d’attraction qui nous donne accès, dès ce monde-ci, à un monde meilleur.
Or cette perception de l’Histoire est à la fois un point de départ de l’idée même de Révolution et, d’autre part, une idée d’origine religieuse. Ce sont essentiellement des groupes religieux et surtout les groupes religieux dissidents qui, à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance, ont porté cette idée que, à l’intérieur même du monde d’ici-bas, quelque chose comme une Révolution était possible. Voilà. Alors, euh, ce thème m’a beaucoup intéressé car je le crois historiquement vrai, même si Ernst Bloch ne donne pas de tout cela une démonstration très satisfaisante en termes de science historique. Je crois que c’est une idée, qui est tout de même…

FS : C’est une idée due au XVIème siècle mais à des groupes religieux.

MF : Oh ça commence bien avant le XVIème siècle puisque finalement les grandes révoltes populaires du Moyen Age avaient déjà, étaient déjà organisées autour de ce thème.
 ça commence dès le XIIème/XIIIème siècle, mais évidemment ça éclate surtout aux XVème/XVIème siècle et ça traverse toutes les guerres de religion. Euh, alors si vous voulez, j’étais en train de lire ça, lorsque tous les jours les journaux m’apprenaient qu’en Iran, il était en train de se passer quelque chose qui était un soulèvement, un soulèvement qui avait pour caractère de n’être manifestement pas commandé par une idéologie révolutionnaire occidentale, qui n’était pas non plus commandé ni dirigé par un parti politique, ni même par des organisations politiques, qui était un soulèvement véritablement de masse : c’était tout un peuple qui se dressait contre un système au pouvoir, et enfin dans lequel l’importance du phénomène religieux, d’institutions religieuses, de la représentation religieuse était tellement patente… Alors il m’a semblé qu’il y avait là un rapport entre ce que je lisais et ce qui était en train de se passer. Et j’ai voulu aller voir. Et j’ai vraiment été voir ça comme un exemple, une épreuve de ce que j’étais en train de lire dans Ernst Bloch. Voilà. Donc, si vous voulez, le fait que j’ai été là-bas, avec un œil, si vous voulez, conditionné par ce problème du rapport révolution politique et espérance ou eschatologie religieuse. Voilà.

FS : Et à partir de cette vision n’est-ce pas, qui était au départ une vision théorique, vous avez été une seule fois en Iran ?

MF : Non deux fois.[2]

FS : Vous avez été à deux reprises ?

MF : Au total 5 semaines, quoi, 5 ou 6 semaines.[3]

FS : Et là-bas vous avez rencontré un large échantillon de gens ?

MF : Large ? Vous savez comme un occidental, et dans une période comme celle-là, peut rencontrer. C’est-à-dire que j’ai vu bien sûr les milieux universitaires de Téhéran. J’ai vu à Téhéran un certain nombre de jeunes gens et jeunes filles qui n’étaient pas des universitaires ou n’étaient plus des universitaires, euh, qui étaient actifs dans le mouvement révolutionnaire à ce moment-là. J’ai rencontré certains mais finalement assez peu de représentants du personnel politique. J’ai rencontré un certain nombre de personnes qui allaient devenir des gens importants du nouveau régime, à savoir Dr Mehdi Bazargan, Dr. Kazem Sami Kermani[4]

FS : Oui

MF : Et puis j’ai été à Qom, j’y ai rencontré Chariat Madari[5]. Et puis j’ai été à Abadan. Et j’ai rencontré là un petit groupe d’ouvriers (…). J’ai rencontré aussi des gens des administrations à Téhéran. Bien sûr, je n’ai absolument pas vu ce qui se passait en province.

FS : Seulement dans les grandes villes.

MF : Je ne connais donc que, je n’ai donc vu des choses qu’à Téhéran, Qom et Abadan.

FS : Et une fois donc sur place, quelle était pour vous la spécificité du cas iranien ?
Confirmait-il ou infirmait-il vos conclusions ?

MF : Si vous voulez je crois que, à ce moment-là et dans beaucoup d’analyses en Europe, en France en tous cas, on voyait cette idée que finalement la déculturation de l’Iran sous l’effet du régime dictatorial du Chah, l’industrialisation trop hâtive et un modèle occidental trop hâtivement imposé, cette déculturation avait fait … , et puis la désorganisation aussi, la désorganisation politique, avaient fait que l’Islam était devenu en quelque sorte le vocabulaire commun et minimum dans lequel le peuple iranien exprimait des revendications qui étaient au fond des revendications sociales et politiques. Autrement dit, n’étant pas capable d’avoir un discours révolutionnaire, une idéologie révolutionnaire, une organisation révolutionnaire au sens occidental du terme, et bien ma foi, il se serait replié sur l’Islam. C’était ça une interprétation que j’ai souvent entendue, rapportée autour de moi, et c’est cette interprétation que j’ai crue inexacte. Car il m’a semblé que ce n’était pas en quelque sorte un simple véhicule, que l’Islam n’était pas dans ce mouvement un simple véhicule pour des aspirations ou des idéologies qui, au fond, seraient autres. Ce n’était pas à défaut de mieux qu’on aurait utilisé l’Islam pour mobiliser les Musulmans. Je crois qu’il y avait effectivement dans ce mouvement qui était un mouvement très largement populaire, des millions et des millions de gens acceptaient de s’affronter à une armée et à la police qui était évidemment toute puissante, il me semblait qu’il y avait là quelque chose qui devait sa force à … ce qu’on pourrait appeler une … une volonté à la fois politique et religieuse, un peu à la manière de ce qui pouvait se passer en Europe aux XVème / XVIème siècle lorsque par exemple les Anabaptistes à la fois se révoltaient contre le pouvoir politique qui était en face d’eux et trouvaient la force et le vocabulaire de leurs révoltes dans une croyance religieuse, une aspiration religieuse sincère et profonde. Voilà et c’est cela que j’ai essayé de dire.

FS : et donc, je vais là un peu vous interroger sur les principales notions qui, je crois, ont fait l’essentiel de vos préoccupations théoriques vous interrogeant sur l’Iran. C’est-à-dire, essentiellement trois concepts, vous me direz s’il y en a d’autres : celui de volonté générale, celui de gouvernement islamique et celui de spiritualité politique. On pourrait prendre ces trois. Donc ce qui vous a frappé, au début surtout, c’est l’existence d’une volonté générale portée par un peuple et vous dites que vous croyiez que c’était une abstraction, que ça n’existait, comme Dieu, que dans les livres et là vous la voyez sur place.

MF : Si vous voulez, avec mon expérience d’Européen, j’ai toujours vu la volonté générale déléguée, représentée ou confisquée par un personnel politique, par des organisations politiques ou par des leaders politiques. Et je crois que, soyons cyniques avec nous-mêmes, que de Gaulle ait représenté la France en 1940, c’est peut-être un fait mais je sais bien, tout enfant que j’étais à l’époque, que la volonté générale des Français n’était pas portée de ce côté-là (rires). Et disons : la représentation de la France par de Gaulle c’était, c’est un phénomène qui était politiquement souhaitable et qui a été historiquement fécond mais dans la réalité ce n’est pas tout à fait comme ça que ça s’est passé (rires). Dans nos démocraties où les députés, ministres, présidents de la République, parlent au nom de la collectivité, de l’Etat et de la société, la volonté générale, c’est tout de même quelque chose que l’on sent rarement.

FS : Oui mais

MF : Et dans les groupes politiques qui se prétendent détenteurs des aspirations fondamentales de la population, on trouve beaucoup de bureaucratie, beaucoup de leadership, beaucoup de hiérarchie, beaucoup de confiscation de pouvoir, etc. Or il m’a semblé, à tort ou à raison, et là je me suis peut-être tout à fait trompé, que vraiment quand, au mois de septembre, les Iraniens sont descendus dans la rue devant les chars, ils y descendaient, non pas forcés ou contraints par quelqu’un, ce n’était pas un groupe de gens qui s’exposait à leur place, euh, parce qu’il aurait été détenteur de leur identité, non c’était eux, ils ne voulaient pas, ils ne voulaient plus du régime subi. Et ça, même sans avoir été en province, je crois que c’est un phénomène qui a frappé tout le monde comme on a pu le constater à Téhéran et un peu partout en Iran. Et d’après ce que je vous ai dit en tout cas collectivement les gens ne voulaient plus de ça.

FS : Et quelle était, n’est-ce pas, la caractéristique de cette volonté générale ? Sur quoi elle était basée ? C’est seulement sur le refus du souverain?

MF : Alors c’est là en effet le point si vous voulez le plus difficile sur lequel on peut discuter. On peut, on pouvait se dire tout simplement : ils ne voulaient plus de ce régime et c’est à cela seulement que se résumait cette volonté générale. Or je crois, et là je me trompe peut-être, qu’ils voulaient effectivement autre chose. Et cet autre chose qu’ils voulaient, justement, ce n’était pas  ni un autre régime politique, ni un régime de  mollahs, plus ou moins implicitement ; ce qu’ils voulaient, ce qu’ils avaient dans le fond de la tête ou si vous voulez au bout de leur regard quand ils risquaient tout de même quasi quotidiennement leur peau dans ces manifestations, il me semble que ce qu’ils cherchaient, c’était une espèce d’eschatologie, enfin, la forme que prenait cette volonté générale ce n’était pas la forme d’une volonté d’État ou d’organisation politique, c’était, me semble-t-il, une sorte d’eschatologie religieuse.

FS : qui serait réalisée aussi sur terre ?

MF : Oui enfin, si vous voulez, c’était ça qui donnait forme et force à leur volonté et pas simplement un refus du régime actuel sous forme de dégoût devant la pagaille, la gabegie, la corruption, la police, les massacres. Bon. Cela prenait aussi une forme, c’était en gros une eschatologie religieuse.

FS : Alors à propos de gouvernement islamique dans votre « Lettre ouverte à Mehdi Bazargan »[6], vous dîtes que c’est le mot gouvernement dont on en a déjà assez, alors plutôt c’est pas le mot islamique qui vous fait peur mais alors vous dîtes que entre ces deux termes il pourrait y avoir réconciliation, contradiction, ou seuil de nouveauté[7]. Alors est-ce que vous pouvez évoquer ces diverses possibilités et peut-être vers laquelle d’entre elles on est en train de s’acheminer ?

MF : Bon alors, je crois que, en effet, dans cette notion de gouvernement islamique, il y avait beaucoup d’équivoque, euh beaucoup d’ambiguïté. Et à dire vrai quand j’ai posé la question, car tout le monde me parlait du gouvernement islamique, de Sami Kermani à Chariat Madari, en passant par Mehdi  Bazargan, tout le monde me disait ce qu’on veut c’est un gouvernement islamique, et quand on leur demandait en quoi cela consistait, la réponse était très vague, floue. Et même garanti d’une promesse de faire quoi que ce soit qu’ait pu faire Chariat Madari, c’est pas tellement rassurant, c’est pas parce qu’on a dit : « on respectera les minorités ! », c’est pas parce qu’on a dit : « on tolèrera même les communistes ! » que pour ça il faut être rassuré. Je pense même qu’il faut être inquiet, quand on entend ça. Mais ce n’est pas simplement ça. Il me semble que par gouvernement islamique, les gens, comme ça, dans leur masse, cherchaient, pensaient à quelque chose qui était essentiellement une forme au fond non politique de coexistence, une manière de vivre ensemble, et qui ne ressemble en aucune manière à une forme, disons occidentale, de structuration politique. Or, c’était vraisemblablement intenable sous cette forme. Ce vers quoi on risque d’aller, c’est bien entendu un gouvernement entre les mains des mollahs. Et quand je disais : est-ce que la contradiction, possibilité d’un seuil nouveau, je voulais dire est-ce qu’il est possible, à partir de quelque chose d’aussi équivoque en soi, d’aussi flou, et qui risque aussi vite de tomber dans un gouvernement des mollahs, est-ce qu’il est possible d’élaborer quelque chose ? Et est-ce que les circonstances, les pressions de tous ordres, politiques, économiques, militaires, diplomatiques, permettront à l’Iran d’élaborer une solution…
Il me semble qu’il y avait au moins un point commun entre tout le monde, quand on parlait d’un gouvernement islamique, que ce soit les ouvriers d’Abadan, Chariat Madari, Bazargan…, et qui ont un point commun qui était d’essayer de trouver des formes de coexistence, des formes sociales, des formes d’égalité, etc, qui ne soient pas le modèle occidental.

FS : et est-ce qu’on pourrait appeler cela, n’est-ce pas, sans faire référence à quelqu’un, une sorte de société sans Etat ?

MF : Si vous voulez, oui, oui, oui, absolument. Absolument. Encore une fois tout était très vague et nécessairement très confus.

FS : Mais, c’est-à-dire, est-ce que l’Islam qui en général est présenté, qui s’est présenté lui-même parfois, comme à la fois une religion et Etat, est-ce que cette religion qui se présente comme un summum de doctrine de pouvoir n’est pas en elle-même porteuse de possibilité de limitation de tout pouvoir d’Etat ?

MF : c’est en tous cas ce qu’ils ont, ce qu’on m’a toujours affirmé là-bas. Et on m’a assuré que l’Islam étant ce qu’il est, ne pouvait en lui-même porter aucun des dangers qui sont inhérents même aux formes subtiles, réfléchies, équilibrées d’une démocratie occidentale. Voilà c’est ce qu’on m’a dit. C’est en tous cas cette espèce d’espoir, qui encore une fois dans sa forme est si semblable à ce qu’on trouve dans l’Europe du XVIème siècle. Il me semble que c’est cela qui est (…)

FS : Alors, on passe à cette notion qui ne vous vaut pas des fleurs (rires) celle de spiritualité politique. Et si vous l’expliquez un peu, n’est-ce pas, comment on politise le spirituel, et spiritualise la politique ?

MF : Vous savez, sans doute je ferai un jour une étude sur les réactions incroyables des Français quant à ma position sur ce qui s’est passé en Iran, je ne sais pas comment on a réagi dans les autres pays d’Europe mais en France ça a été tout à fait fou.
C’était l’exemple de quelque chose qui…, vraiment les gens sont sortis d’eux-mêmes. Vous comprenez pour que trois journalistes différents certainement pas médiocres, et puis arriver à fabriquer des faux sur mes propres textes en me les attribuant. Enfin fabriquer des faux avec des phrases qui n’étaient pas de moi, des textes qui n’étaient pas de moi, des mots qui n’étaient pas de moi, de me les attribuer pour démontrer que j’approuvais les exécutions des juifs, qu’on pouvait dire que j’approuvais l’action des tribunaux islamiques etc. Dans des journaux convenables. Donc, enfin, les gens sont devenus fous.

FS : Comment vous expliquez cette folie ?

MF : Ah, alors là moi j’aimerais bien vous en parler. Je n’ai pas d’explication. Et l’autre jour encore, hier, je voyais un journaliste, d’un journal, d’un hebdomadaire, je l’ai rencontré en Iran, je posais la question « comment expliquez-vous l’attitude de vos collègues ? ». C’est un juif et il m’a dit « oh, je pense que c’est la haine de l’Islam ».

FS : Il y a un livre, je le cite parce que j’en ai fait un compte-rendu la semaine passée dans le journal et qui s’intitule Orientalism[8]

MF : Oui. C’est de Edward Saïd. Je connais Edward Saïd. Je connais le livre.

FS : Ah, vous connaissez Edward Saïd !

MF : Oui c’est un livre fort intéressant.
Bon, enfin je ne sais pas, en tous cas les gens sont devenus fous. A propos de spiritualité politique ; la phrase que j’ai dite était celle-ci : j’ai dit que ce que j’avais trouvé là-bas, c’était quelque chose comme la recherche d’une spiritualité politique, et je disais que cette notion qui maintenant est pour nous tout à fait obscure, qui était tout à fait claire, familière au XVIème siècle. Bon, y a pas de quoi fouetter un chat. Plutôt on peut bien me dire : « C’est pas vrai, ils ne cherchaient pas une spiritualité politique », mais venir dire, comme on a encore dit tout récemment dans Le Monde…

FS : Claude Roy ?

MF : Claude Roy. Dans un mensonge énorme. Et dont ils ne se sont pas excusés et dont ils ne s’excuseront jamais. Mais que je subirai toujours. Je n’ai jamais personnellement aspiré, quoiqu’ils le disent, à une spiritualité politique. J’ai dit : « j’ai vu là-bas un mouvement très curieux, très bizarre, et qu’on ne peut, je crois, comprendre que par analogie avec des choses passées ici, la spiritualité politique. Vous en avez un superbe exemple, qu’on n’aurait tout de même pas oublié puisqu’il a encore une certaine actualité chez nous, c’est le calvinisme. Qu’est-ce que c’est Calvin sinon la volonté de faire passer, pas simplement une croyance religieuse, pas simplement une organisation religieuse, mais toute une forme de spiritualité, c’est-à-dire de rapport individuel à Dieu, de rapport individuel aux valeurs spirituelles, de le faire passer dans la politique. Bon euh, le calvinisme, c’était ça le projet du calvinisme, projet qui a  la forme d’un autre mouvement religieux. C’est cela qui est arrivé en Occident. C’est ce qui avait eu lieu en Occident et c’est ce qui, me semble-t-il, il y a eu dans ce mouvement de l’année 78 en Iran. Personnellement, euh (rires), je n’ai jamais pensé que la spiritualité politique puisse être actuellement, comment dire, une aspiration…

FS : une réponse

MF : … une réponse ou une aspiration possible ou souhaitable en Occident. On en est à mille lieues. La meilleure preuve qu’on en est à mille lieues c’est qu’on est obligé donc de faire des références historiques pour essayer de faire comprendre. Deuxièmement, je n’ai jamais prétendu que la spiritualité politique c’était la solution, même aux problèmes de l’Iran, car le seul fait de rappeler ce qui s’était passé en Europe du XVème et du XVIème, et bien que ça ne se mène pas comme ça, et ça conduit à des choses dures. Jamais la spiritualité politique, ça n’a été le paradis sur terre. Voyez Calvin, et la spiritualité politique de Calvin, ça a mené à quelques bûchers (rires). Bon euh voilà. Autrement dit, j’ai décrit, quelque chose que je voyais en Iran. J’ai peut-être eu tort, et là j’accepte une discussion possible. Mais vouloir me prêter, à titre d’aspiration personnelle, ce que je décrivais comme étant me semble-t-il une volonté ou une aspiration propre à l’Iran, c’est d’une malhonnêteté dont les journaux français rendent encore un son.

FS : Mais quand même vous avez décrit le mouvement avec sympathie ?

MF : …

FS : Non, moi je dis ça,

MF : Absolument

FS : et vos prises de position, c’était d’un grand confort dans le milieu que vous décrivez d’hostilité à cette révolution. Vous avez été le seul à dire quelque chose de vraiment neuf comme analyse, en disant que ce n’est pas des fanatiques qui descendent dans les rues et que c’est le retour de l’Islam.

MF : Oui, bon euh, si vous voulez, euh, d’une part, parce que je ne crois pas que l’on puisse jamais bien comprendre quelque chose à quoi on est hostile. Et si j’avais eu une espèce de sentiment d’hostilité à l’égard de tout ça, je n’y serai pas allé, parce que j’aurais été certain de ne pas le comprendre. Deuxièmement, il me semble en effet que les risques, enfin les possibilités pour que maintenant, dans les pays dits du tiers-monde, les mouvements révolutionnaires, les mouvements, si vous voulez, violents et intenses de changement social et politique, maintenant euh vont de plus en plus essayer de prendre racine sur le fond culturel de ces pays-là, au lieu d’essayer de se modeler sur l’Occident, l’Occident libéral et l’Occident marxiste. Je pense que c’est cela qui risque de se répandre. Que c’est en train de se répandre. Et ce qui se passe en Afghanistan est de ce type-là. […] Bon, il me semble qu’on a là, alors, ne serait-ce que d’un point de vue, si vous voulez, proprement historique… il faut bien prêter crédit, on peut porter attention à ce qui se passe.
 Mais enfin troisièmement, si j’ai eu de la sympathie au-delà même de cette curiosité historique et politique, c’est parce que je pense en effet que, étant donné ce qu’était le régime du Chah, d’oppression politique, économique, d’exploitation de population, d’impérialisme masqué, etc. et bien qu’un peuple tout entier se révolte, contre ce régime, c’est bien. Et je dis même très bien dans la mesure où l’Islam a au moins permis ceci, c’est que le peuple tout entier participe activement. Il s’y est reconnu. Il me semble que, jusque dans le fond de la campagne iranienne, ce mouvement a eu des échos dans la mesure même où il se référait à quelque chose que les gens reconnaissaient comme leur. Alors que le mouvement se serait fait au nom de la lutte des classes, ou au nom des libertés, je ne suis pas sûr que cela aurait eu le même écho et que cela aurait eu la même force. Voilà les raisons pour lesquelles j’ai une sympathie, mais cette sympathie n’a jamais été jusqu’à dire que, un, euh, il fallait éviter cela, deux, que ce qui allait en sortir allait être le paradis sur terre, loin de là, loin de là. J’ai simplement porté un jugement de réalité sur une force que je constatais et aux objectifs immédiats de laquelle je ne pouvais que souscrire dans la mesure où ses objectifs immédiats c’était ce renversement de ce régime impérialiste, de ce régime d’exploitation, de ce régime …

FS : … de massacres.

MF : ce régime de terreur policière.

FS : Donc, on aura peut-être l’occasion d’y revenir, vous vous situez complètement en dehors de tout ce courant que l’on nomme le retour au sacré ?

MF : Absolument. Je n’ai jamais pris aucune position euh je pense si vous voulez pour un homme occidental, en tous cas, moi, comme occidental,  je considère que mon attitude à l’égard de la religion ne regarde personne et je n’ai jamais pris aucune position politique, aucune position publique là-dessus. Je n’en parle jamais. Et je suis, si vous voulez, à la fois trop historien et trop relativiste pour avoir l’idée absurde (rires) de faire de ce que j’ai pu voir en Iran la bannière d’un prophétisme nouveau : Retournons au sacré ! Tout ça, ça ne me concerne pas de droit. Moi en tous cas je ne le fais pas. J’ai essayé de décrire ce que je voyais. Le problème est de savoir pourquoi ce qui se passait là-bas, la réalité de là-bas, a constitué une telle blessure pour l’Occident. Au point où moi qui décrivais cette réalité, dont on parlait beaucoup d’ailleurs, j’ai pu être considéré comme une espèce de prophète lui-même fanatique.

FS : Et là-dessus vous ne présentez aucune, vous n’avez aucune explication ?

MF : Non, je continue, je continue à être très, très sceptique, très embarrassé de ce qui se passe. Même, quand je parle aux gens, beaucoup bien sûr des gens qui me sont un peu proches, beaucoup sont complètement écœurés  de l’incroyable sottise, de l’aveuglement avec lesquels les journalistes  racontent toujours absolument la même chose sur ce qui se passe en Iran. Il y a une phrase qui m’a paru tellement typique de ça et c’est celle-ci : Il y a deux ou  trois mois, à un poste de radio périphérique, j’ai entendu l’information suivante: « Le régime de l’ayatollah Khomeiny vient d’annuler la commande de deux avions Concorde ou de deux… je ne sais pas, mais le gouvernement de monsieur Bazargan a assuré que les contrats seraient maintenus. »  Donc pour les contrats maintenus, on a le gouvernement Bazargan, et pour les contrats annulés, c’est le régime de l’ayatollah Khomeiny (
rires). N’est-ce pas sublime ?

FS : C’est sublime, oui.

MF : Eh ben c’est ça.

FS : Vous ne l’avez personnellement jamais rencontré ?

MF : L’Ayatollah Khomeiny ? Non. Je ne l’ai pas rencontré d’une part, parce que si vous voulez, ce qui m’intéressait était de voir ce qui se passait là-bas. Lui, l’Ayatollah Khomeiny, je savais premièrement qu’il disait peu de choses, que, d’autre part, il était un personnage politique dont les déclarations, préparées à l’avance par son entourage, devaient avoir un certain sens politique. Ce qu’il voulait dire, je le lisais dans les journaux. Je savais parfaitement qu’une conversation avec lui ne me ménerait à rien. Le problème encore une fois ce n’était pas de savoir ce qu’il y avait dans la tête des leaders du mouvement, c’était de savoir comment vivaient là-bas ces gens qui littéralement faisaient la révolution et faisaient la révolution, me semble-t-il, pour leur propre compte.

FS : Et en ce sens, pour un peu finir de cette question, est-ce que l’Islam pourrait jouer un rôle de garantie contre le despotisme comme on vous l’a dit ?

MF : Comme on me l’a dit. Alors écoutez, là personnellement je suis très sceptique. Ce scepticisme est lié premièrement à mon ignorance de l’Islam. Deux, ce que je sais de l’histoire de l’Islam n’est pas en soi plus réconfortant que l’histoire de n’importe quelle autre religion. Bon, troisièmement, l’Islam, l’Islam chiite en Iran, n’est tout de même pas une sorte de, comment dire euh, émanation directe du temps du prophète. Il y a une histoire, le clergé chiite a été lié à tout un tas de formes d’institutionnalisation, de domination ethnique, de massacres, de privilèges politiques et autres, etc. La culture, la formation du clergé chiite, c’est probable, n’est  pas très élevée. Après tout cela, je crois qu’il faut être un peu méfiant.
Mais encore une fois, cela c’est le problème des musulmans, ce n’est pas le mien. Le problème pour les musulmans est de savoir si effectivement à partir de ce fond culturel et de cette situation actuelle et du contexte général, il est possible de tirer de l’Islam et de la culture islamique, quelque chose comme une forme politique nouvelle. Ça c’est le problème des musulmans, et c’est je crois ce problème là que, très intensément, un certain nombre d’entre eux au moins, parmi les intellectuels les plus éclairés, essayaient de résoudre. C’est ce problème là que Ali Chariati a essayé de poser. C’est celui-là me semble-t-il quand j’ai parlé à Bazargan qui était sa préoccupation. C’était la préoccupation de Chariat Madari également. Et je crois que l’espèce d’attention, à la fois intense, muette et pleine d’appréhension avec laquelle les musulmans que je connais en France suivent les événements en Iran, il me semble que c’est lié à cela : si l’Iran échoue, c’est-à-dire s’il bascule totalement dans un régime de mollahs à la fois autoritaire, rétrograde, alors est-ce que ça ne va pas être le signe, l’un des signes en tous cas, que de l’Islam, que du fond de la culture islamique, on ne peut pas tirer des ressources pour la recherche d’une forme de société politique ; si l’Iran réussit alors… Parce que ce qui m’a beaucoup frappé, c’est que si les journaux français et si les Français ont dit, ont opposé tant de hargne à ce qui se passe en Iran, les musulmans en Europe se sont tus, ils n’ont pas beaucoup parlé.

FS : Mais ils suivaient avec sympathie.

MF : Oui, oui, je crois qu’ils suivaient avec sympathie. Mais je crois que leur mutisme était lié au fait qu’ils sentaient que pour l’Islam, la partie qui se jouait est très grosse, très importante.

FS : Mais quand même si …

MF : Ils doivent voir avec beaucoup de, pas de rancœur, mais d’inquiétude et d’amertume, un certain nombre de choses qui se passent actuellement en Iran

FS : Oh la, je voulais - mais je crois que ce n’est plus la peine - vous poser une question sur le rôle particulier du chiisme comme organisation et comme doctrine, bien que ce ne soit pas votre domaine. Mais alors, revenons là à une question un peu plus générale mais liée à la première, c’est-à-dire que dans le contexte de l’opinion française, le thème de l’Islam est déjà mal vu. Comment expliquez-vous cette incompréhension envers le soulèvement iranien et ce que vous appelez la peur de ce qu’il y a en lui d’irréductible ? C’est-à-dire, là on passe, n’est-ce pas, à l’idée d’irréductible.

MF : Dans l’Islam vous voulez dire ?

FS : Non, dans le soulèvement.

MF : Ah dans le soulèvement. Ah oui, ah oui !

FS : C’est une idée que vous donnez dans le dernier article du Monde[9].

MF : Oui oui.

FS : C’est un soulèvement où on risque sa vie, cet aspect-là…

MF : Oui. Bon alors je je… Ce que je voulais dire c’est ceci, c’est que, bien sûr un soulèvement a toujours et ses raisons et ses explications ; et ma foi, si tu es un historien d’inspiration marxiste, tu établis dans quelles conditions, à la suite de quelles pressions, pour quelles raisons, on se soulève. Je veux dire que saisir le moment même où ça se passe, quand on veut essayer de saisir le vécu même de la Révolution, alors je dis qu’il y a là quelque chose qui ne peut pas être rabattu sur une explication ou une raison aussi misérable qu’on soit, aussi menacé de mourir de faim qu’on puisse être, au moment où on se lève, et où on dit je préfère mourir sous les mitrailleuses que mourir de faim, il y a là quelque chose que la menace de la famine n’explique pas. Bon, il y a si vous voulez un jeu, entre sacrifice et espérance, qui, dont chacun, ou dont collectivement, un peuple, est responsable. Il établit lui-même le degré d’espérance et d’acceptation de sacrifices qui va lui permettre d’affronter une armée, une police…

FS : On va en parler je crois

MF : Et ça c’était, je crois, un phénomène très singulier qui casse l’Histoire

FS : On va parler longuement de ça. Mais pour en rester à cette question : le fait que l’opinion européenne trouve que cela est irréductible… Pourquoi l’opinion européenne est incapable d’encaisser cela, au sens où un boxeur encaisse ?

MF : On pourrait on peut s’imaginer que après les grands…, parce que finalement l’Europe a vécu, c’est-à-dire l’Européen a vécu sur le Principe Espérance qui était organisé autour de l’idée d’une révolution politique avec des partis, une armée, une avant-garde, le prolétariat etc… bon on sait à quelle déception cela a mené. Alors on pourrait imaginer que maintenant, toute forme de soulèvement, quel qu’il soit et où qu’il soit, dès lors qu’il ne prend plus ces vieilles formes comme missions, comme espérance, ça provoque à la fois une sorte d’irritation, si vous voulez une espèce de, je dirai, une sorte de jalousie culturelle. Ils ne vont tout de même pas faire une vraie révolution dans leur forme à eux, nous qui n’avons pas pu arriver à faire, à faire la révolution dans une forme à nous. Nous qui avons inventé l’idée de révolution, nous qui l’avons élaborée, nous qui avons organisé tout un savoir, un système politique, tout un mécanisme de partis… etc… autour de cette idée de révolution. Bon on peut donner cette explication-là. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai.

FS : En tous cas, il serait vrai pour certaines organisations mais ce n’est pas vrai pour ce qui ferait les troupes de choc de l’anti-iranisme.

MF : Oui

FS : Ce serait vrai pour les communistes, les gens de gauche. Pas pour la droite.
MF : Ah non ça bien sûr mais alors là, là, on va dire que c’est l’hostilité générale contre toute forme de soulèvement.
FS : Alors si vous voulez on peut passer maintenant à une chose un peu plus générale dont on a abordé la question, c’est l’idée de soulèvement. Vous parlez de l’énigme du soulèvement et vous dîtes qu’il s’agit là d’un élément hors l’histoire, vous écrivez :  « l’homme qui se lève est finalement sans explication ». Qu’entendez-vous par là ? Et pourquoi ne serait-ce pas, comme chez La Boétie, « l’homme qui se soumet » qui pose problème.

MF : Vous avez raison mais (rires) je dirai … (silence) Oui, oui vous posez une question très grave, très importante. Euh, je vais y répondre, comme ça sans être sûr que ma réponse soit la bonne et sans être sûr que je m’y tiendrai toujours. Je sens que finalement les raisons pour lesquelles un homme se soumet, on peut en trouver des milliers, vous allez peut-être me trouver très hégélien brusquement, et après tout que l’esclave préfère sa vie à la mort et qu’il accepte l’esclavage pour continuer à vivre, après tout, est-ce que ce n’est pas ça le mécanisme de tous les asservissements ? En revanche, il me paraît énigmatique, parce que justement aller absolument à l’encontre de cette espèce de calcul évident, simple, en fait qui consiste à dire, je préfère mourir plutôt que de  mourir, je préfère mourir sous les balles plutôt que de mourir ici, je préfère mourir aujourd’hui en me soulevant que de végéter sous la coupe du maître dont je suis l’esclave. Alors ce mourir plutôt que végéter, cette autre mort…

FS : Donc plutôt mourir que végéter ?

MF : Oui enfin… bon, ce choix de la mort, la mort possible, en fait, me semble-t-il, c’est quelque chose qui implique par rapport à toutes les habitudes, familiarités, calculs, acceptations, etc, qui font la trame d’une existence quotidienne, il me semble que ça constitue une lecture, et que pour une fois il est très juste et très bien que les historiens, les économistes, les sociologues, les analystes d’une société, je trouve très bien que tous ces gens là expliquent les raisons, les motifs, les thèmes, les conditions dans lesquelles se sont déroulés mais encore une fois le geste même de se soulever me paraît irréductible par rapport à ces analyses. Du fait quand je disais qu’il était hors Histoire, je ne veux pas dire que ce n’était pas hors du temps, je veux dire que c’était hors de ce champ d’analyse qu’il faut élaborer bien sûr, mais qui n’en rendra jamais compte..

FS : Et là je vois soit une évolution dans votre analyse, soit deux niveaux différents. Quand vous parlez un peu de François Furet et de son analyse de la Révolution française comme quoi il y a eu d’une part les raisons économiques sociales etc, à la Révolution, et qui ont abouti à des réformes après. Il y a le fait de la Révolution. Ça c’est un plan. Et quand vous posez l’idée de soulèvement, l’inexplicable, c’est un autre plan ? ou bien c’est le même plan ?

MF : Je crois que c’est le même plan. Je crois que si voulez que se pose le problème de l’événement révolutionnaire.

FS : Oui

MF : Les historiens depuis un certain temps en France n’aiment pas la notion d’événement. Leur problème c’est de réduire. Non il faut y revenir. (silence). La révolution c’est un événement. C’est un événement qui se vit, qui est vécu par des gens. Donc il est venu un moment où les Français ont eu conscience qu’ils faisaient la Révolution. Et ils ont fait la Révolution parce qu’ils avaient conscience qu’ils la faisaient. Qu’ils étaient en train de faire quelque chose. Quelque chose qui était politiquement important, qui brisait avec des vieilles structures, etc. Quand ils avaient écouté un discours de Danton, quand ils se réunissaient aux Jacobins, quand ils envahissaient l’Assemblée. Bon, en Iran en 78, quand les gens descendaient dans la rue, ils savaient qu’ils faisaient quelque chose, que ce quelque chose c’était une Révolution ou c’était un soulèvement, que c’était en tous cas une mise en congé de tout un pan de leur Histoire.

FS : …Mais la décision de risquer sa vie c’est quand même autre chose que de jouer du théâtre ?

MF : Bien sûr mais cette décision si vous voulez, euh, dans quelle forme, quelle forme est-ce qu’elle va prendre, c’est ça, je crois aussi, un des problèmes. Décider qu’on va mourir quand on fait la révolution, ça ne veut pas dire simplement se mettre devant une mitrailleuse et attendre qu’elle crache. Décider qu’on va mourir, ou qu’on préfère mourir que de continuer, bah ça va prendre tout un certain nombre de formes. Ça peut prendre la forme de l’organisation d’un commando ou de guérillas ; ça peut être la forme d’un attentat individualiste ; ça peut être la forme de l’appartenance à un mouvement de masse ; ça peut être la forme d’une manifestation religieuse, un défilé pour un mort, etc. Alors c’est là, si vous voulez, ce que j’appellerai la dramaturgie du vécu révolutionnaire, et indispensable à étudier. Et elle est absolument l’expression si vous voulez visible de cette espèce de décision qui fait rupture dans les continuités historiques et qui est le cœur de la révolution.

FS : Et là vous donnez à la conscience un rôle important dans l’histoire.

MF : Euh, bah ouais ouais. 

FS : La conscience des foules.

MF : Oui absolument.

FS : Alors euh une question qui s’enchaîne à la première. Dans vos ouvrages, vous semblez partir des appareils ou des dispositifs de pouvoir, ce que ne cessera de vous reprocher avec une telle rancœur un Castoriadis. C’est je crois à partir d’un entretien accordé à Les Révoltes logiques[10] que vous avez parlé de plèbe. Est-ce que l’élément soulèvement, révolte, ne fait-il pas irruption de l’extérieur dans votre œuvre et pourrait-on dire que le soulèvement iranien a joué un rôle dans l’usage de ce terme ?

MF : Ecoutez les gens sont très très bizarres. Ils n’autorisent jamais à ce qu’on parle d’autre chose que ce dont ils parlent eux-mêmes (rires). Quand je parle de dispositifs de pouvoir, j’essaie d’étudier comment ils fonctionnent dans une société. Je n’ai jamais prétendu que ces dispositifs de pouvoir constituent l’ensemble de la vie d’une société. Je n’ai jamais prétendu qu’ils en épuisaient l’histoire. Je veux dire simplement que tel étant mon objet, je veux savoir comment il fonctionne et là il me semble que les analyses de pouvoir qu’ont fait beaucoup de ces personnes auxquelles vous faites allusion, en invoquant euh l’Etat par exemple, ou en invoquant une classe sociale, ne rendent absolument pas compte de la complexité du fonctionnement de ce phénomène de pouvoir.

FS : Mais vous y aviez étudié une partie. Mais quand même, entre le fait que vous décrivez un mécanisme de pouvoir, ou un appareil, et le fait que vous montrez comment, actuellement par exemple, dans le cours sur la sexualité ou dans votre dernier entretien paru dans L’Arc[11], le pouvoir par rapport au savoir ou au désir n’est pas répressif mais politique, bah là ça devient un élément beaucoup plus intérieur, beaucoup plus inhérent  …

MF : Oui mais…

FS : … que dans Surveiller et punir, disons

MF : Euh oui en effet dans ces derniers textes…
Dans Surveiller et punir, j’essayais d’étudier ce mécanisme du pouvoir disciplinaire qui est, me semble-t-il, un mécanisme important dans les sociétés, du moins aux XVIII/XIXèmes siècles. Dans des textes plus récents, j’ai essayé d’abord de reprendre plus généralement le problème du pouvoir. J’ai essayé de montrer que le pouvoir était en fait toujours une structure de relation. Il n’y a pas le pouvoir comme substance, ou le pouvoir  ce n’est pas une propriété accaparée par une classe sociale. Ou le pouvoir, ce n’est pas une espèce de capacité qui serait produite par un appareil comme l’Etat. En réalité, il y a des relations de pouvoir, des relations de pouvoir entre les gens, entre les gens c’est-à-dire entre les agents, où l’un et l’autre, où les uns et les autres, sont dans des positions différentes, dissymétriques. Mais qui dit que…quand on dit que… le pouvoir est relation, cela veut dire qu’il y a deux termes, cela veut dire que la modification de l’un des deux termes va changer la relation. C’est-à-dire que loin de constituer une espèce de structure d’emprisonnement, le pouvoir est un réseau de relations, mobile, changeant, modifiable, et très souvent fragile. Voilà ce que j’ai voulu dire. Alors des gens comme Castoriadis n’ont évidemment absolument rien compris. Bon on ne va pas ramasser leurs objections. Faudrait se baisser trop bas.

FS : Oui donc euh. Mais c’était seulement pour voir cet enchaînement et donc on peut considérer que vous partez d’Ernst Bloch, mais l’événement d’Iran ne va pas infléchir théoriquement …

MF : Non, non, au contraire. Si vous voulez, je crois qu’une relation de pouvoir c’est une relation dynamique et qui effectivement définit jusqu’à un certain point la position des partenaires. Mais la position des partenaires et l’attitude des partenaires, l’activité des partenaires, modifient également la relation de pouvoir. Autrement dit, ce que j’ai voulu montrer simplement c’est qu’il n’y a pas le pouvoir d’un côté et puis les gens auxquels le pouvoir s’applique, parce qu’avec une hypothèse comme celle-là, ou l’on admet, ou il faut admettre que le pouvoir est tout puissant ou il faut admettre qu’il est totalement impuissant. En fait ça n’est jamais vrai. Le pouvoir n’est pas toujours puissant / impuissant. Il est en grande partie aveugle, mais il voit tout de même un certain nombre de choses, etc. Tout simplement parce qu’il s’agit en fait de comment résoudre les relations stratégiques entre des individus qui poursuivent des objectifs, se tiennent les uns les autres, limitent partiellement la possibilité d’action du partenaire mais le partenaire lui échappe, d’où une nouvelle tactique etc. C’est cette mobilité-là qu’il faut essayer de résoudre. Et tout comme il y a des moments où, si vous voulez, se produit ce qu’on pourrait appeler un phénomène de consonance dans lequel le pouvoir se stabilise et où effectivement on a bien en gros un assujettissement, une acceptation du mécanisme de domination dans une société ; il y a d’autres moments où la consonance se fait en sens inverse, et où au contraire à ce moment-là, c’est tout le réseau de pouvoir qui est bousculé.

FS : Dans l’histoire telle que vous la décrivez, il y a des pouvoirs, enfin là j’utilise les termes que vous employez dans l’article du Monde, il y a des pouvoirs que vous dîtes infinis mais non tout puissants. Il y a des soulèvements irréductibles et des droits que vous appelez aussi des lois universelles. Pouvez-vous vous expliquer  sur la nature et les fondements biologiques, rationnels, économiques, de ces trois manifestations, instances… – comment pourrait-on les appeler ? Quel est le concept qui pourrait grouper pouvoir, droit et soulèvement ? Enfin ça c’est pour donner un nom, mais c’est surtout ces trois concepts…

MF : Je vais dire ceci : c’est que, il me semble que euh, dans des systèmes comme le nôtre, c’est-à-dire dans lesquels il y a en effet non seulement des Etats avec leurs appareils, avec toute une série de techniques qui s’exercent pour arriver à gouverner les gens, la prolifération des mécanismes de pouvoir, par conséquent leur stabilisation, grâce à leur multiplication, leur raffinement, fait que euh, si vous voulez, on tend toujours à trop gouverner. C’est qu’il y a comme une loi d’excès intérieure au développement du pouvoir. 

FS : qui serait dans l’institution ?

MF : qui serait dans l’institution.

FS : avant d’être dans le désir.

MF : Oui, enfin, euh, disons, disons que le désir des individus et l’institution fonctionnent à ce moment-là comme multiplicateurs l’un de l’autre.

FS : Oui.

MF : Bon. Et que dans cette mesure-là je crois que, un des rôles fondamentaux de l’intellectuel, c’est précisément de faire valoir, en face des gouvernants, des limites générales à ne pas franchir et qui sont la garantie du non excès, enfin la garantie toujours provisoire, toujours fragile, qu’il va falloir défendre : une frontière menacée !

FS : Mais ces droits-là, ces lois, cet universel, c’est quoi, c’est la raison, c’est Kant ? C’est le monothéisme ? Vous apportez là une notion, n’est-ce pas, entre la notion de pouvoir et celle de soulèvement, vous mettez une notion, celle de droit, et on la voit, on ne s’explique pas sur ses origines dans votre optique. Qu’est-ce que le droit ? Qu’est-ce que l’universel ? Qu’est-ce que la loi ?

MF : Euh, là… cet universel dont je parle c’est encore une fois le corrélatif indispensable à tout système de pouvoir qui se met à fonctionner dans une société donnée. S’il n’y a pas une limite, eh bien il est universellement vrai que l’on va vers la domination, le despotisme, l’asservissement des individus, etç, etc. Alors à cet universel qui est un fait du pouvoir, il faut opposer un autre universel qui va prendre des formes tout à fait différentes selon le pouvoir auquel on a affaire, mais qui va chaque fois marquer précisément, qui ne franchira pas cette limite.

FS : Donc cet universel, il porte la marque de ce à quoi il s’oppose, il n’existe pas en lui-même, il est toujours le produit de cas.

MF : Oui, si vous voulez, enfin ce n’est pas…

FS : Je veux dire, il n’y a pas un « tu ne tueras pas », pour prendre un exemple ? Mais dans chaque cas précis, il y a pour la loi, des limites auxquelles elle doit s’arrêter. Comment alors est-ce qu’on les définit ?

MF : Si vous voulez, les droits de l’homme, les droits en général, ont une histoire. Il n’y a pas de droits universels. Mais c’est un fait universel qu’il y a du droit. Et c’est universel qu’il faut qu’il y ait du droit. Car si on n’oppose pas un droit au fait du gouvernement, si on n’oppose pas un droit aux mécanismes et aux dispositifs de pouvoir, alors ils ne peuvent pas ne pas s’emballer, ils ne s’auto-restreindront jamais.

FS : Donc le droit c’est quelque chose de purement négatif ? Il restreint, ce n’est pas une positivité ?

MF : Non, non, enfin là, là je parle de ces droits dont je parlais, et qu’on appelle si vous voulez actuellement les droits de l’homme. Entre les droits de l’homme et le droit positif qui est un système de droit, par exemple le régime pour une société donnée, euh ce n’est pas la même chose. Nos systèmes de droit en Occident ont essayé de se présenter comme dérivant logiquement de l’affirmation fondamentale des droits de l’homme. En fait ça n’est pas vrai. Le droit positif, c’est un certain nombre de techniques, de procédures, de règles de procédures, d’obligations, de prescriptions, d’interdictions, etc. Ce ne sont pas les droits de l’homme. D’ailleurs beaucoup de législateurs l’avaient parfaitement senti en particulier Bentham qui disait, lorsqu’on lui a parlé de la déclaration des Droits de l’homme en France, déclaration de la Révolution française, il a dit : « mais ces révolutionnaires français sont des ânes, ils ne se rendent pas compte que à partir du moment où … »

(Interruption, cassette arrêtée, changement de face)

MF : Même une loi qui serait votée par le peuple tout entier, du moment qu’elle va obliger quelqu’un à quelque chose, va empiéter sur les droits de l’homme. C’est qu’en fait entre un système de droit, un système de lois positives dans une société, et les droits de l’homme, il y a hétérogénéité. Les droits de l’homme encore une fois, cette forme d’universel jamais définie dans une forme spécifique et qui est ce avec quoi on peut marquer un gouvernement… ??? 

FS : et c’est un produit de quoi ? de la raison ?

MF : Euh, je dirai que non, c’est un produit de la volonté.

FS : Alors on arrive peut-être à la notion de soulèvement ? Le soulèvement…
 Le désir donc. Qu’est-ce qui porterait le soulèvement ? ça peut être une décision n’est-ce pas ?

MF : Oui, une volonté.

FS : ça peut aussi être une force biologique ?

MF : Vous savez, vous avez remarqué cette chose qui tout de même, comment dire, polyculturelle, vous qui connaissez bien ce qui se passe ici, vous avez remarqué que cette notion de volonté, dans la culture française actuellement, est quelque chose dont on ne parle jamais ? on parle de la raison, on parle du désir.

FS : Oui c’est un concept un peu abandonné.

MF : oui, un concept un peu abandonné.

FS : On nous avait cassé la tête avec en classe terminale, n’est-ce pas, pour nous dire que la volonté est une synthèse.

MF : c’est ça c’est ça.

FS : une fois qu’on ne la définit plus comme une synthèse, on …

MF : Alors là, vous savez je ne saurai pas vous dire grand chose parce que j’ai l’esprit lent. Mais depuis un certain nombre de mois et d’années justement, à propos de l’analyse de ces relations de pouvoir, il me semble que, on ne peut pas la mener convenablement sans faire intervenir le problème de la volonté. Les relations de pouvoir bien sûr sont toutes investies par des désirs, bien sûr elles sont toutes investies par des schémas de rationalité, et elles mettent en jeu des volontés.

FS : C’est-à-dire une synthèse.

MF : Non, je dirai, je dirai la volonté c’est peut-être justement cette chose qui, au-delà de tout calcul d’intérêt et au-delà si vous voulez de l’immédiateté du désir, de ce qu’il y a d’immédiat dans le désir, la volonté c’est ce qui peut dire « je préfère ma fin ». Voilà. Et c’est ça l’épreuve de la mort.

FS : C’est l’épreuve maximale ou l’épreuve continuelle ? Quand vous dîtes par exemple « la volonté de savoir » ?

MF : Non, non, c’est la forme terminale et extrême, ce qui vient se manifester à l’état nu lorsqu’on dit « je préfère mourir ».

FS : Alors c’est une décision purement irrationnelle ?

MF : Non non pas du tout, elle n’a pas du tout besoin d’être irrationnelle. Elle n’a pas non plus besoin d’être vidée de désir. Il y a un moment où, si vous voulez, la subjectivité, le sujet… Si vous voulez, la volonté c’est ce qui fixe pour un sujet sa propre position. Voilà.

FS : La volonté c’est ce qui fixe pour un sujet sa position, sa propre position.

MF : La volonté c’est celui qui dit « je préfère mourir ». La volonté, c’est ce qui dit « je préfère être esclave ». La volonté, c’est ce qui dit : « je veux savoir », etç…

FS : Mais quelle est la différence ici entre volonté et subjectivité ?

MF : Oh je dirai que, euh, la volonté c’est l’acte pur du sujet. Et que le sujet c’est ce qui est fixé et déterminé par un acte de volonté. Ce sont en fait deux notions qui sont réciproques l’une de l’autre, n’est-ce pas, pour un certain nombre de choses.

FS : Et on ne retombe pas là dans des formes d’idéalisme que vos études ont dissipées ? (rires)

MF : pourquoi ce serait idéaliste ?

FS : C’est un peu comme le concept d’homme…

MF : Non. Parce que …

FS : C’est très hégélien, n’est-ce pas ?

MF : je dirai que c’est plutôt fichtéen.

FS : Je connais mal Fichte.

MF : Si vous voulez, ce que je critiquais justement dans la notion d’homme, et dans l’humanisme dans ces années 1950, 1960, c’était l’utilisation d’un universel entendu comme un universel-notion. Il y aurait une nature humaine, il y aurait des besoins humains, il y aurait une essence de l’homme, etc. Et c’est au nom de cet universel de l’homme que l’on ferait des révolutions, que l’on abolirait l’exploitation, que l’on nationaliserait les industries, que l’on devrait s’inscrire au parti communiste, etc. Cet universel qui permet des tas de choses et qui supposait en même temps, d’une façon un peu naïve, une espèce de permanence trans-historique, ou sous-historique, ou méta-historique, de l’homme. Ça je crois que ce n’est pas acceptable rationnellement, et ça n’est pas acceptable non plus pratiquement. Là, je crois que on échappe à l’universalisme quand on dit que finalement le sujet n’est rien d’autre que l’effet d’une…, enfin, ce qui est déterminé par une volonté. Une volonté c’est l’activité même du sujet. A dire vrai, vous voyez, je suppose bien de qui je me rapproche à la vitesse grand V, et pas pour son humanisme mais précisément pour sa conception de la liberté, c’est de Sartre. Et de Fichte. Puisque Sartre et Fichte … Sartre n’est pas hégélien.

FS : Quand je parle d’Hegel, je pense au début de « La conscience de soi », de la Phénoménologie de l’esprit.

MF : Oui oui c’est ça, oui effectivement, il parle de Fichte, ou il est tout proche de Fichte.

FS : et oui effectivement, dans L’Etre et le Néant, il est question de l’être pour la mort.
 Alors là, on va recouper ces questions, n’est-ce pas. Vous écrivez : « être respectueux, quand une singularité se soulève, intransigeant dès que le pouvoir enfreint l’universel ». Le devoir de l’intellectuel serait-il de contrecarrer les pouvoirs quand le soulèvement est en position de faiblesse, et d’appuyer ce que vous appelez « respecter » le soulèvement, quand il est en position de force ? Et la morale anti-stratégique (bien sûr pour les lecteurs du journal, il faudra définir ce mot) ne se retrouve-t-elle pas perpétuellement déstabilisatrice, puisqu’elle fournirait un appui à des soulèvements sans fin, sans finalité. Et Hegel, comme vous le disiez dans votre leçon inaugurale ne vous attend-il pas au bout du chemin » ? (rires) En posant une morale anti-stratégique, et en fait vous êtes contre le pouvoir quand il est fort et vous êtes pour le soulèvement quand il est fort, donc …

MF : J’ai dit ça ? C’est un texte ?

FS : Non, votre texte c’est uniquement « être respectueux quand une singularité se soulève, intransigeant dès que le pouvoir enfreint l’universel ». Mais quand il y a soulèvement en Iran, vous l’appuyez et quand Monsieur Peyrefitte fait des nouvelles lois, vous vous y opposez mais …

MF : Je je je je … je ne suis pas pour le soulèvement quand il est fort, uniquement quand il est fort et pas quand il est faible. Quand on crie au fond d’une prison je suis également pour lui.

FS : Bien sûr. Mais là vous cherchez surtout à arrêter le pouvoir qui le frappe.

Et quand il y a un soulèvement en force, il vous commande le respect. En définitive c’est une conception toujours déstabilisatrice, et donc stratégique ? Enfin si ma position du problème est fausse, vous pouvez la corriger.

MF : Dans cet article auquel vous faisiez allusion, j’essayais de définir un peu, sinon la position de l’intellectuel, parce que après tout je ne vois pas pourquoi je ferai la loi aux intellectuels, je n’ai jamais fait la loi à personne, mais enfin, ce que j’essayais de faire c’est ce que j’avais dans la tête. On m’a reproché d’ailleurs souvent que je n’ai pas de politique, et que je ne dis pas par exemple : bah voilà comment devraient fonctionner les prisons, ou voilà de quelle manière il faudrait traiter la maladie mentale. Je ne le dis jamais. Et je dis ce n’est pas mon travail. Et pourquoi ce n’est pas mon travail ? Et bien parce que je pense justement que si l’intellectuel a à être comme dit Husserl, le fonctionnaire de l’universel, ce n’est pas justement en prenant une position dogmatique, prophétique et législatrice. L’intellectuel n’a pas à être le législateur, à faire la loi, n’a pas à dire ce qui doit arriver. Je crois que son rôle est précisément de montrer perpétuellement comment ce qui semble aller de soi dans ce qui fait notre vie quotidienne est en fait arbitraire et fragile et que nous pouvons toujours nous soulever. Et qu’il y a perpétuellement et partout des raisons pour ne pas l’accepter, la réalité telle qu’elle nous est donnée et proposée. Je ne sais pas comment un certain nombre de commentateurs et de critiques, plus critiques que commentateurs si vous voulez, sont arrivés à l’idée que pour moi, les choses étant ce qu’elles sont, on ne pouvait pas les bouger. Alors que j’ai fait tout le contraire. Je dis par exemple à propose de la folie, mais enfin voyons cette chose qu’on nous annonce comme une vérité scientifiquement établie et qui est l’existence de la maladie mentale, des maladies mentales, leur typologie, etc. tout ça en fait regardez un peu sur quoi ça repose, et vous trouvez toute une série de pratiques sociales, économiques, politiques, etc, et qui sont historiquement situées. Et par conséquent tout ça est très fragile. Mon projet je crois que c’est … un des rôles possibles, sinon à quoi ça sert les intellectuels, mon projet c’est de en effet multiplier partout, enfin partout où c’est possible, de multiplier les occasions de se soulever, par rapport au réel qui nous est donné, et de se soulever, pas forcément ni toujours sous la forme du soulèvement iranien, avec 15 millions de personnes dans la rue, etc. On peut se soulever contre un type de rapport familial, contre un rapport sexuel, on peut se soulever contre une forme de pédagogie, on peut se soulever contre un type d’information.

FS : C’est donc une stratégie du soulèvement. 

MF : Donc, c’est une stratégie du soulèvement. Mais pas le soulèvement global, universel et massif, sous la forme « y en a marre de cette société pourrie, jetons tout ça aux orties ». C’est le soulèvement différencié et analytique, qui montre quels sont les éléments de réalité qui nous sont, dans une civilisation, proposés comme évidents, naturels, allant de soi et nécessaires. J’ai essayé de montrer combien ils sont historiquement récents, fragiles, donc fragiles, donc mobiles, donc soulevables.

FS : Et donc comme vous l’avez expliquée, cette notion de soulèvement, mais un soulèvement perpétuel mais qui serait en définitive sans finalité, sans fin temporelle, sans finalité puisqu’il serait anti-stratégique ?

MF : C’est-à-dire je crois qu’à partir du moment où tout ce qui nous donne occasion de nous soulever, tout ce qui nous paraît intolérable, tout ce qu’on veut changer, à partir du moment où quelqu’un vient vous proposer une formule globale et générale : « je peux vous débarrasser de tout en vous fixant ce qu’il faudra accepter après », je dis c’est truqué. Il faut que les hommes inventent à la fois ce contre quoi ils peuvent et veulent se soulever et ce en quoi ils l’ont transformé, leur soulèvement. Ou ce vers quoi ils vont diriger ce soulèvement. Ceci étant à réinventer indéfiniment. Là je ne vois pas en effet le point final dans une histoire comme celle-là. Je veux dire je ne vois pas le moment où les hommes n’auront plus à se soulever. Même si en effet, on peut effectivement prévoir que les formes de soulèvement ne seront plus les mêmes : les espèces de grands soulèvements par exemple des masses paysannes, crevant de faim au Moyen Age et puis allant brûler les châteaux-forts  etc. bon, il est probable que dans les pays comme les pays occidentaux, pays industriels avancés comme on dit, bah ça ne se trouvera plus. Maintenant retournement de l’Histoire. Donc les soulèvements changeront de formes, mais avoir à se soulever … Vous comprenez, quand on prend par exemple disons les soulèvements d’homosexuels aux Etats-Unis, et qu’on les compare aux grands soulèvements qu’il peut y avoir dans un pays du Tiers-Monde actuellement crevant de faim, ou qu’il y a pu y avoir au Moyen Age, ça paraît dérisoire, mais non, je dirais : ce n’est pas dérisoire. Non pas que ces soulèvements-là ont une valeur merveilleuse que les autres n’auraient pas, mais je vais dire il ne peut pas y avoir et il n’est pas souhaitable qu’il y ait de sociétés sans soulèvements. Voilà.

FS : Et on retourne un peu au rapport de soulèvement et de religion. Entre ce mode d’Histoire qu’est le soulèvement et les formes religieuses, leur expression et leur dramaturgie, vous posez un lien d’affinité n’est-ce pas, pour employer un terme un peu hégélien - le terme est aussi employé par Deleuze. Comment expliquez-vous… Il y a un moment où vous parlez de se soulever c’est mettre sa vie en danger et que c’est très proche de ce qui peut s’exprimer beaucoup mieux par la religion que par un autre moyen d’expression.

MF : Oui, euh, là je ne saisis pas bien la question.

FS : C’est-à-dire le soulèvement en tant que tel, un soulèvement volontaire, où on risque sa vie, c’est un soulèvement qu’on ne fait pas pour améliorer par exemple des conditions de vie, mais c’est un soulèvement qu’on fait par exemple, qu’on pourrait faire au nom d’une eschatologie, ou d’un changement radical. Et alors entre ces deux pôles que sont la religion et le soulèvement, quel rapport il y a ? Et si ce rapport est permanent ?

MF : Ah, absolument pas permanent. Euh, vous avez des formes de religion et des moments dans l’histoire des rapports entre les sociétés et les religions, la religion peut jouer ce rôle-là et elle ne le joue pas. Le catholicisme au XIXème siècle, en Europe, n’a pratiquement pas eu, n’a pas offert de possibilités, de prises ou d’expressions à un soulèvement. Mais en revanche, encore une fois, au XVème siècle, si vous voulez c’est une intensification de la vie religieuse, et un désir profond d’un certain nombre d’individus d’accéder à une forme de vie religieuse, qui lui a fait bousculer et les institutions ecclésiastiques et les institutions politiques et leur rôle social. Enfin ça dépend [… Je vais vous poser une question comme ça, en off : c’est pour un journal, pour une revue ?

FS : Oui c’est un hebdomadaire.

MF : Vous savez qu’on en a déjà trente pages ?

FS : Ah bon ? Je ne sais pas …

MF : oui c’est votre première interview mais on en a déjà beaucoup trop.

FS : Ah bon ? Mais c’est parce que c’est intéressant …

MF : Est-ce qu’il y avait dans les questions que vous posez là encore, est-ce qu’il y avait des choses (silence) Si je n’ai pas répondu clairement, c’est que je n’ai pas répondu du tout.]

FS : Oui, vous n’avez pas répondu du tout. J’ai préparé mes questions trop centrées sur l’Iran …

MF : Non mais vous savez, je crois que vous avez raison, parce que c’est malgré tout quelque chose qui, qui, qui … je ne sais pas … Si je n’ai pas répondu, c’est que vous comprenez, y a un moment où on est désarmé. Je ne suis pas journaliste. Quand j’écris des textes même pour les journaux, j’écris ça un peu comme… des pages de livre. C’est-à-dire en faisant tout de même un peu attention à ce que je dis. J’écris pas ça sur les marbres,  à 4 h du matin, en un quart d’heure, bon, quand je dis : ce que j’ai vu me semble prouver que les Iraniens recherchent quelque chose comme une spiritualité politique, qui est un truc que nous on ne connaît plus, il me semble que la phrase est claire et qu’il n’y a pas à discussion. Quand on est devant des gens comme Claude Roy ou d’autres qui manipulent le texte et qui disent : « Foucault aspire à une spiritualité politique », on est devant un tel degré de mensonge, de mauvaise foi, on sait parfaitement que si on utilise, si on envoie un rectificatif, le rectificatif sera lu de la même façon, et il y aura de nouvelles falsifications, etc. Alors je me tais pendant un certain temps. Je laisse tout ça se décanter. Et puis un jour, dans un article, dans un bouquin, je ferai le bilan de tout ça, et je montrerai que c’était un tissu de mensonges. Je n’ai pas envie de rentrer dans des polémiques avec des gens dont l’inintelligence et la mauvaise foi éclatent de partout. Ceci dit j’ai peut-être eu tort, il faudrait peut-être que, chaque fois que quelqu’un qui

FS : Ah, non ça c’est pas la peine mais comme il y a maintenant toute cette histoire, d’abord l’année passée de « la nouvelle philosophie », pour laquelle vous vous étiez engagé au début, mais de laquelle vous vous êtes rétracté.

MF : Non non non je ne me suis pas rétracté parce que je n’y ai jamais été engagé, j’ai simplement dit à propos…

FS : Mais vous avez dit quelque part que vous avez été engagé plus que vous ne le vouliez

MF : ah non non

FS : Ou bien dans Le Nouvel Obs, ou bien dans L’Arc

MF : Ah écoutez je ne crois pas.

FS : Vous ne vouliez pas être mêlé…

MF : J’ai peut-être dit que je ne voulais pas être mêlé, mais j’ai simplement fait une chose, c’était un article sur le livre de Glucksmann[12] qui, je crois, est un livre important. Et surtout ses deux livres, enfin La cuisinière et le mangeur d’hommes[13]  m’a paru, sur le moment, un livre très important, et auquel on n’a pas fait le sort qu’il fallait, me semble-t-il. Bon quand le second livre a paru, je me suis dit : bon bah cette fois il ne faut pas louper le livre. Il s’est trouvé que ça a eu un écho formidable et que je n’avais pas besoin… mais le livre de Glucksmann m’avait posé des problèmes. C’est tout. Bon Glucksmann a été considéré comme un « nouveau philosophe », il s’en est défendu. Moi à la limite je m’en fous, le livre de Glucksmann m’intéresse, les autres livres des gens que l’on appelle les nouveaux philosophes ne m’intéressent pas. Si peu d’ailleurs qu’après en avoir parcouru quelques uns, j’ai cessé de les lire. Je m’en fous, ça m’est complètement égal, je sens que ce n’est pas mon affaire, et voilà. Donc je ne peux pas m’y être engagé. Mais c’est vrai que parce que j’avais dit que le livre de Glucksmann était intéressant pour des problèmes de … alors … oh mais tout ça c’est très malsain. Encore une fois, ou on fait la police des gens qui écrivent des sottises, à ce moment-là on y passe la journée, ou bien on laisse courir avec effectivement cet encombrement que les gens se sentent libres de dire absolument n’importe quoi. Et ça c’est un des problèmes de politique et de morale que je n’ai pas pu résoudre.

FS : En tous cas dans votre dernier article du Monde, il y avait encore un certain nombre de questions posées ici, il y a énormément de problèmes soulevés et qui mériteraient une plus ample réflexion.

MF : Oui, oui. Mais si vous voulez toutes ces choses-là, de toute façon je ne suis jamais très sûr de ce que j’avance, et j’aimerais beaucoup que l’on puisse avoir des échanges, des discussions, et que les gens qui ne sont pas d’accord puissent manifester leurs désaccords et poser leurs questions etc. Mais à partir du moment où on rencontre en face de soi des gens qui ne procèdent que comme des procureurs en vous dénonçant comme ennemi, vendu, agent de ceci, etc. Qu’est-ce qu’on fait ? Ou les gens qui traficotent les textes et qui nous font des procès avec des dossiers falsifiés. En effet tous ces trucs-là sur l’Iran, je regrette beaucoup de n’avoir pas pu avoir, pas eu d’occasions, d’avoir avec des Iraniens ou même simplement des Musulmans, des discussions suivies. Peut-être que je me trompais mais je veux qu’on me prête exactement ce que j’ai dit et pas autre chose. 

FS : Vous distinguez deux types d’intellectuels. D’une part, l’intellectuel universel que vous présentez tantôt comme héritier de la vision marxiste du prolétariat et tantôt comme l’héritier de l’homme de justice et de loi. Et dont vous prophétisez un peu – c’est un peu compliqué – la mort. Et d’autre part l’intellectuel spécifique qui s’élabore à partir de 45. Est-ce que vos récentes prises de position sur l’Iran et la guerre du Vietnam ne vous ramèneraient-elles pas une représentation de l’universel ?

MF : Non. Alors si vous voulez euh par l’intellectuel universel et l’intellectuel spécifique, je veux dire par là que il me semble du moins dans une société comme la nôtre, en Occident, en Europe, pour jouer un rôle politique, l’intellectuel n’a pas à se décaler par rapport à son savoir, par rapport disons à sa spécialité, il n’a pas à se poser en prophète de l’humanité en général, il suffit je crois qu’il regarde ce qu’il fait, ce qui se passe dans ce qu’il fait. C’est là où l’on rejoint cette conception du soulèvement dont je parlais tout à l’heure. L’idée que le rôle de l’intellectuel c’est de montrer combien cette réalité qu’on nous présente comme évidente et allant de soi, est en fait fragile. Eh bien que ce soit le physicien, dans son laboratoire, l’historien qui connaît le christianisme dans les premiers siècles, le sociologue qui étudie une société, il me semble que tous ces gens là, peuvent parfaitement, à partir même de ce qu’il y a de plus spécial dans leur spécialité, de plus spécifique dans leur savoir, faire apparaître ces points de fragilisation, des évidences et du réel. Alors c’est vrai que lorsque qu’on parle de l’Iran, du Vietnam, à quel titre est-ce qu’on le fait ? Bon, euf, je ne crois pas que ce soit quitter sa position d’intellectuel spécifique que de dire, moi en tant que gouverné, j’estime qu’il y a un certain nombre de choses qu’un gouvernement ne doit jamais faire.

FS : Mais importe peu le gouvernement…

MF : Oui, peu importe le gouvernement
Autrement dit, ce n’est pas l’universel de l’être humain, si vous voulez, mais plutôt la généralité de ce qui se passe dans les rapports entre gouvernants et gouvernés qui permet à n’importe qui de parler de ses problèmes.

FS : Oui, mais c’est un peu spécieux…

MF : C’est un spécieux…

FS : Voltaire pourrait se dire lui-même intellectuel spécifique.

MF : Oui mais je crois alors là, là, je le pense bien volontiers, regardez les gens du XVIIIème siècle, c’était bien toujours comme ça qu’ils faisaient, à partir d’un truc tout à fait spécifique. Autrement dit, ce n’était pas je ne pense pas qu’il …, quand je parle de l’intellectuel universel et que j’essaie de m’en démarquer

FS : Par exemple, Sartre, pour vous, c’est l’intellectuel universel ?

MF : …

FS : En fait vous parlez surtout de, fin XIXème-début XXème. Mais moi, en vous disant, je pensais surtout à la période en France qui avait précédé les années 60. Vous avez parlé de la Hongrie, de la Pologne.

MF : Oui, oui je crois qu’il faut en parler. Non mais je voulais dire, ah je commence à âtre complètement fatigué.

FS : Hum, je vous embête avec mes questions.

MF : Non non non non c’est une question très intéressante que vous me posez là.. Bon, ce que je voulais dire c’est que l’intellectuel universel, si c’est celui qui veut fonctionner comme si il était le représentant d’une conscience universelle ou comme s’il était, si vous voulez, un peu, pour lui, dans son activité, d’écrivain, d’intellectuel, comme ces partis politiques qui prétendent détenir et la vérité de l’Histoire et la dynamique de la révolution, je dis : non ces intellectuels de l’universel qui ne sont que des doublets en quelque sorte des partis politiques., je n’en veux pas. En revanche l’intellectuel, qui à partir même du travail intellectuel qu’il fait, peut jouer ce rôle de fragilisateur des stabilités sociales, des immobilités sociales, historiques, politiques et économiques… Ah écoutez, je suis désolé mais je n’en peux plus !

FS : Dernière question, mais un peu en forme de défi. Cela amènera une note amusante. Je note là dans vos prises de position sur l’Iran des termes suivants : horreur, ivresse, beauté, gravité, dramaturgie, scène, théâtre, tragédie grecque, vous parlez de la fascination des événements, donc au delà de la théologie et de la généalogie, de prises de position politique, est-ce que le rigoureux Foucault ne serait-il pas un artiste de l’époque de Francis Bacon, de Rebeyrolle et de Stanley Kubrick ?

MF : Écoutez, vous me flattez en disant ça. Je vais simplement ajouter un petit truc que vous savez. En effet, on parle toujours, je ne sais pas pourquoi, j’ai la réputation d’être quelqu’un de froid, de sec, de rigide, qui ne parle que de… Mais il ne faut pas confondre celui qui parle et ce dont il parle. Il ne faut pas confondre ce qu’on dit d’une chose et le sens que l’on met à parler de cette chose. Si je démonte, si j’essaie de démonter, de la manière la plus soigneuse possible, les mécanismes de pouvoir, si j’essaie de montrer comment effectivement les relations de pouvoir ont une espèce de logique et d’enchaînement assez subtile, qui leur donnent leur force sans leur ôter leur fragilité, ça ne veut pas dire pour autant que je suis lié affectivement, d’une manière positive à ce genre-là de choses. Après tout, ce que j’ai fait sur la folie, peut aussi bien passer pour un livre très lyrique. Non ?

FS : Oui, dans votre style, dans votre style, n’est-ce pas.

MF : Si j’ai écrit ce livre-là sur la folie en essayant de montrer justement tous ces mécanismes, ce n’était pas dans un climat pour moi d’indifférence à la subjectivité folle.

FS : Oui.

MF : De la même façon pour le crime et la délinquance, etc. Non non, je ne crois pas que ce vocabulaire que vous signalez, qui effectivement n’est pas très intellectualiste, je ne crois pas que ce vocabulaire soit un apport nouveau. Je ne dis pas ça par refus de changer, j’ai changé. Mais il y a actuellement une telle mode si contraignante de la conversion, il faut s’être converti. Peut-être je me convertirai, j’ai déjà beaucoup changé, mais en tous cas ce que vous relevez là ne me paraît pas être un trait absolument nouveau.

FS : Non, je ne parle pas de sa nouveauté

MF : Ah d’accord d’accord d’accord !

FS : Mais de ces faits en tant que tels

MF : D’accord oui oui.

FS : Une manière d’aborder les choses esthétique.

MF : Oui c’est ça oui.

FS : Il y a un côté existence, c’est pas nouveau, c’est pas nouveau.
Bon je vous remercie.

MF : C’est moi qui vous remercie.














[1] [1] Das Prinzip Hoffnung, 3 vol., 1954-1959. La traduction française commence à paraître chez Gallimard en 1976. Les volumes II et III paraissent en 1982 et 1991. Les 3 tomes sont  traduits de l'allemand par Françoise Wuilmart.

[2] Du 16 au 24 septembre et du 9 au 15 novembre 1978.           
[3] En fait, moins de 3 semaines comme il ressort des dates.
[4] L’ingénieur Mehdi Bazargan fut le fondateur du Mouvement de  libération  de l’Iran en 1965  et  du Comité de  Défense des Libertés et des Droits de l’Homme en 1977. Nommé premier ministre par l’ayatollah Khomeyni dès son retour à Téhéran, il ne resta à ce poste que quelques mois (5 février-5 novembre 1979) en raison de ses idées libérales et démocratiques.   Kazem Sami  Kermani, médecin et psychiatre, dirigeait le parti JAMA allié au Mouvement de Bazargan  et affilié au Front National d'Iran.. Il fut le ministre de la santé du gouvernement Bazargan.
[5] Ayatollah considéré comme le premier entre ses pairs, Chariat Madari était pour la séparation des mosquées et de l’État et s’intéressait beaucoup aux problèmes sociaux et économiques. Suivant l’expression d’Olivier Roy, il «a èté littéralement « défroqué » par Khomeyni. » in Sabrina Mervin : Les mondes chiites et l’Iran, Karthala-Ifpo, 2007, p. 39. 
[6] Le Nouvel Observateur, 14-20 avril 1979, p. 46. ; repris in Dits et écrits, collection Quarto, Gallimard, t. II,
pp. 780-782.
[7] « Dans cette volonté d’un ‘gouvernement islamique’, faut-il voir une réconciliation, une contradiction ou le seuil d’une nouveauté ? « À quoi rêvent les Iraniens ? », Le Nouvel Observateur, 16-22/10/1978 ; repris in Dits et écrits, collection Quarto, Gallimard, t. II, pp.  688-694.

[8] l’ouvrage paraît en anglais en 1978. Sa traduction française  au Seuil en 1980 porte  le titre L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident.
[9]« Inutile de se soulever ? », Le Monde, 11-12 mai 1979, pp.1-2. Repris in Dits et écrits, Quarto, II, pp. 790-794.
[10] « Il ne faut sans doute pas concevoir la «plèbe» comme le fond permanent de l'histoire, l'objectif final de tous les assujettissements, le foyer jamais tout à fait éteint de toutes les révoltes. Il n'y a sans doute pas de réalité sociologique de la «plèbe». Mais il y a bien toujours quelque chose, dans le corps social, dans les classes, dans les groupes, dans les individus eux-mêmes qui échappe d'une certaine façon aux relations de pouvoir; quelque chose qui est non point la matière première plus ou moins docile ou rétive, mais qui est le mouvement centrifuge, l'énergie inverse, l'échappée.
«La» plèbe n'existe sans doute pas, mais il y a «de la» plèbe. Il y a de la plèbe dans les corps, et dans les âmes, il y en a dans les individus, dans le prolétariat… » in  «Pouvoirs et stratégies» (entretien avec J. Rancière), Les Révoltes logiques, no 4, hiver 1977, pp. 89-97.

[11] Michel Foucault : Vérité et pouvoir, pp16-26 in L’Arc, numéro 70, 4ème trimestre 1977, « La crise dans la tête ».
[12] “La grande colère des faits” sur Les Maîtres penseurs d’André Glucksmann, Grasset, 1977, in  Le Nouvel Observateur, 9-15 mai 1977. Repris in Dits et écrits, II, pp. 277-281.
[13] Ce livre paru en 1975 est cité dans l’entretien donné à Les Révoltes logiques cité précédemment, Dits et écrits, II,p. 421.