Friday 3 August 2018

LES SIXTIES DECENNIE DES REVES FOUS














WOODSTOCK 1969
Gérard de Cortanze: Dictionnaire amoureux des Sixties, Plon, 2018, 720 pp.


                Gérard de Cortanze, prix Renaudot 2002 pour Assam, essayiste et critique littéraire, nous offre moins un dictionnaire amoureux des Sixties qu’un dictionnaire personnel de ces  années réputées folles. Ses réserves quant aux événements et nouveautés de la période sont nombreuses, qu’elles datent du vécu d’alors ou du présent où l’absence de nostalgie prévaut. Quand la décennie est proche de son terme, il peut la qualifier d’ « heureuse » : soit qu’il évoque le changement de style des conférences de presse présidentielles en France : « La hauteur gaullienne n’est plus. 69, c’est la fin du lyrisme et de la grandeur de la France »;  soit qu’il assiste à la fin tragique d’une génération américaine éprise de liberté et d’amour dans Easy Rider, le film si représentatif de Dennis Hopper (1969). 


DE GAULLE EN IRLANDE (mai 1969)
   
Personnelle, l’œuvre l’est car on peut suivre à partir de ses méandres  la trajectoire de l’auteur, dresser son portrait, évoquer sa généalogie. De Cortanze est d’ascendance aristocratique italienne : le père est piémontais et la mère napolitaine ; du moins Françoise Mallet-Joris en convainquit Edmonde Charles-Roux d’abord sceptique. On peut le suivre d’adresse en adresse, vivre avec les siens dans la villa familiale de son père directeur d’usine (occupée) en mai 68. Pour narrer ce mois crucial, il propose 4 saynètes « entre l’opérette et la chanson comique » où l’élève comédien prend peur et ses distances, et termine l’inutile  « récréation » avec son père dans la grande manifestation qui remonte de la Concorde à l’Etoile (30 mai).    Donc un garçon plutôt rangé et passionné de livres et de lecture.  Aucun programme télévisé de l’ORTF n’échappe à ses commentaires, des « Dossiers de l’écran » à « Cinq colonnes à une » ; il préfère Balzac et Malraux au Nouveau roman, se demande aujourd’hui comment il a pu « s’engager tête baissée dans (l)es étranges combats » du structuralisme, de Tel Quel, des Cahiers du cinéma soixante-huitarde…
La personnalisation du Dictionnaire n’est pas sans séduire un lecteur comme moi né presque la même année que l’auteur (1948 et 1947). Il m’est facile d’imaginer l’avoir croisé  à  « la Mecque du cinéma » (la rue Champollion), à là cinémathèque Chaillot ou à la Joie de lire (librairie Maspero), utile de comparer la chute de certains événements (assassinat Kennedy), feuilletons (Les Incorruptibles), modes (minijupe, drugstore, coupe de cheveux), nouveautés culturelles (Livre de poche, design, Nouvelle Vague) sur des contemporains en contrées diverses et lointaines, gai de mesurer l’ampleur d’une mondialisation pour laquelle les Sixties furent une époque charnière (premiers pas sur la Lune). Parfois la contradiction des idées et des sentiments entre les deux bords est totale (guerre des Six jours).
On ne cesse de fouiller et de trouver dans ce Dictionnaire, panier inépuisable pour la mémoire. A côté de l’itinéraire d’un passage de la petite enfance à l’adolescence, des affinités personnelles pour Hugues Aufray ou Raquel Welch, nous trouvons des entrées inattendues (Papier hygiénique, Purée Mousline, Vide-ordures) et des articles exhaustifs nourris aux meilleures sources de l’érudition. Les singularités survenues (Hula hoop, Laser, Greffe du cœur) n’occultent pas la place des synthèses (consommation, contestation, La société du spectacle). Les replis français occupent des pages importantes (Nouvelle société ; Oui, mais ; Poulidor, Académie), mais la scène des Sixties est essentiellement mondiale et bouleverse un ordre au profit d’un nouveau en perpétuelle redéfinition.
La décennie 1960  se trouve au cœur des « Trente Glorieuses » (1945-1973), période de forte croissance et d’enrichissement général.  Les ménages investissent dans l’automobile, l’électroménager, achètent des téléviseurs et vont de plus en plus en vacances (Club Méditerranée). C’est aussi l’ère des transistors. Les premiers supermarchés voient le jour et les publicités prennent d’assaut les décors et les ondes. Les Baby-boomers sont déjà montés et en 1968 le tiers des Français ont moins de 20 ans. Les jeunes font la tendance et s’imposent dans la mode. Le statut de la femme, libérée d’une partie de ses tâches domestiques, entame sa progression. La vitesse tue sur les routes (un des réseaux les plus vétustes d’Europe) 11000 personnes et fait 230,000 blessés en 1962. De la génération yéyé aux barricades du Quartier latin, l’insatisfaction rêve, cherche ses voies et ses modes d’expression. Le foisonnement culturel et artistique est à son comble.
Les Sixties sont riches d’une « thématique » et d’une « mythologie ». On les trouve dans le Pop art, raillé et célébré dès sa naissance, ubique dans l’industrie et la culture; chez Andy Warhol, « un vrai rebelle, génial, inventif, underground et postmoderne », « l’artiste le plus représentatif des années 1960, le plus complet, le plus complexe… » Mais c’est éminemment la musique et les chansons qui portent et transportent l’esprit de l’époque. Les jeunes rompent avec les codes coutumiers, s’approprient l’univers par le rêve, s’écrient avec les Beatles : Revolution.
Le Rock’n roll, né aux Etats-Unis au début des années 1950, y remplace le jazz procédant par emprunts multiples à diverses traditions. Il cesse en quelques années d’être anglo-américain pour devenir universel, investir les capitales de Paris à Tokyo en passant par Pretoria. Des troupes comme les Beatles, les Rolling Stones, les Doors, les Who… révolutionnent la musique et donnent au genre ses lettres de noblesse. Le festival Woodstock, où Richie Havens et Jimmy Hendrix s’illustrent merveilleusement, assemble 500 000 hippies, dure 3 jours (15-18 aout 1969) et réunit 32 groupes. Des idoles naissent. San Francisco et Londres s’imposent sur les cartes de l’amour et de la liberté. Le Protest song passe de la lutte pour les droits civiques (Bob Dylan) à l’accueil de la contre culture et débordera la décennie dans l’opposition à la guerre du Vietnam. De nouvelles drogues circulent, de nombreux chanteurs  meurent d’overdose et le terme psychédélique naît pour indiquer la  « fusion simultanée des crypto-cultures de la drogue et de la musique ».

Ex-fan des sixties 

Où sont tes années folles, nous chante toujours Gainsbourg.