Monsieur le Conseiller,
Chers amis,
Chère Hind
J'ai cherché à
résister à un vers arabe ancien qui s'imposait à moi, mais ce fut vain. Le voici en guise de commencement:
ليست كمن يكره الجيرانُ
طلعتَها ولا تراها لسرّ الجارٍ تختتلُ
[Elle n'est pas de celles dont les voisins détestent l'allure et aux aguets de leurs secrets tu ne la vois pas. (Al A'châ Maymûn b. Qays)]
Je ne le cite pas pour mettre à l'épreuve l'arabe timide
des diplomates français ici présents. Je ne le fais pas seulement pour évoquer
les qualités les plus patentes de Hind, le charme, l'élégance et la discrétion,
je le fais principalement pour attirer l'attention sur l'un des points de
rencontre des cultures arabe et française, cet art de la litote qu'on a dit si
caractéristique du classicisme français et que je trouve ici consommé dans le
vers de cette ode antique. Car il s'agit de 2 cultures ce soir et il s'agit
d'une personne qui essaie de les joindre tout en étant en harmonie avec leurs
aspirations profondes et en les incarnant avec un naturel distingué.
Avec Hind, c'est toujours la
même chose: on commence par en tomber amoureux et on finit par être pourchassé
pour un nombre de signes, un point virgule, un titre hermétique, une date
butoir...
J'ai connu Hind en 2004 quand
elle s'affairait, cavalier seul, à Francfort pour l'année du livre arabe avec
les qualités qu'on lui connaît et où elle était littéralement persécutée par
des responsables du ministère de la culture libanais en raison probablement de
sa probité et autres vertus. La voici aujourd'hui 12 ans plus tard, un des
points de passage obligés de toute francophonie voire de toute activité
culturelle à Beyrouth & plus loin. Du cavalier seul au Chevalier des Arts
et des lettres, c'est un peu le même territoire, le même profil, la même
course, mais quel chemin parcouru, quelle destinée dirais-je ! Il faut en
ce point savoir gré à Alexandre Najjar qui a permis à Hind d'être elle même et
ajouter, en éloge aux 2, d'être devenu partiellement elle.
Hind s'active aujourd'hui dans
la francophonie en passionaria nomade jamais anonyme toujours combattante
passant d'une ville à l'autre et d'un pays au suivant. Elle contribue par des
touches discrètes à tel ou tel ou tel salon du livre, telle compétition sportive, telle
manifestation culturelle...
Elle coordonne le comité de
rédaction de L'Orient littéraire avec nous, Alexandre, Charif, Jabbour,
Georgia, Ritta, moi même ...le gros lui incombe et elle réussit à force de
travail et de tact au milieu de buissons d'égocentrismes médiatiques et
culturels, de mers de procrastination...Son pouvoir s'est étendu avec son acharnement
à la tâche, sa présence continue, l'affermissement de son jugement et cette
modestie qui ne lui fait pas craindre conseils et collaboration. Et quand la
décision est prise, c'est dans le gant de velours la main de fer.
Elle anime à l'ombre
d'un Alexandre Najjar aux préoccupations multiples -mais dont la confiance et
la générosité sont inouïes- une maison d'édition, L'Orient des livres,
nouvellement créée pour mieux faire connaître les auteurs libanais en France et
même pour repérer de nouveaux talents et continuer à consacrer d'autres.
L'association avec Actes Sud, Sindbad et notre ami Farouk Mardam Bey dont nul
n'égale les efforts pour faire connaître en France le plus beau et le plus
varié des échantillons littéraires arabe est un choix sûr et la meilleure des
garanties.
D'une fidélité
à toute épreuve (on peut poser la question aux Samir Frangieh), sa profonde
réussite reste de conjuguer, dans la vie comme dans ses diverses activités une
libanité ferme, sourcilleuse quant à la souveraineté et aux libertés, un
arabisme sûr de ses valeurs et ouvert, un appui aux peuples en lutte pour leurs
droits, et une appartenance méditerranéenne où la francophonie tient sa juste
place et son éminente valeur.
Et croyez moi,
ce n'est pas une mince affaire.
* A l'occasion de la nomination de Hind Darwish au grade de Chevalier des Arts et des Lettres, le 11 mars 2016 à l'Institut francais du Liban, Beyrouth.