Friday, 8 January 2021

JOHN LE CARRE, LE POLAR, DEUX CONSTANCES AMOUREUSES



Le monde du polar aime « Périphrase et dignité » comme le signale en l’article ainsi intitulé de son Dictionnaire amoureux Pierre Lemaitre : Ténor du polar, Roi…, Reine…, Pape... John Le Carré que nous venons de perdre  et qui nous assurait tous les 2 ou 3 ans un haut divertissement de l’intelligence et de la salubrité a souvent été surnommé « le roi du roman d’espionnage ». Ce titre paraît désormais étriqué tant l’auteur se prouve un maître du roman tout courtsur les pas de Graham Greene. Dans ce Dictionnaire, Le Carré ne figure comme entrée que sous le nom de son principal personnageGeorge Smiley, petit, bedonnant, cocu, réservé mais sûr de soi La trilogie qui a rendu célèbre ce bedeau du renseignement ne porte pas son nom mais celui de son adversaire. Il n’y est même quintérimaire ou surnuméraire tout en incarnant l’intelligence même.

John Le Carré né David Cornwell (1931-2020) a été espion britannique de 1956 à 1964. De son passage dans le MI5, il retient des leçons littéraires : la suppression des redondances et la nécessité d’être clair. De la couverture diplomatique pour son travail d’agent MI6 en RFA, il garde une aversion pour l’Allemagne d’Adenauer qui perpétuediscrètement le régime nazi dans l’administration et le renseignement. Al’heure des sixties où l’on dévoile des espions traîtres opérer pour les soviétiques à l’intérieur de l’Establishment britannique (G. Blake, Kim Philby…) et faire des ravages,  il devient un « transfuge littéraire ». Si le métier d’espion est de gagner des traîtres, peut-on condamner ceux qui dans vos rangs le deviennent ? Ne vaut-il pas mieux pour tous les protagonistes trahir par la littérature que de passer à l’ennemi ? L’Espion qui venait du froid (1963) donne une notoriété internationale à l’auteur. Le Cirque lui en veut d’avoir décrit ses agents comme brutes, assassins, incompétents, mais un haut gradé qualifie l’opération berlinoise narrée « de la seule… d’agent double qui ait jamais marché ».

La Trilogie de Karla (La Taupe 1974Comme un collégien 1977, Les Gens de Smiley, 1982) impose l’auteur comme le meilleur saisisseur de la guerre froide : il en capte l’esprit tout en le déconstruisant, sort de l’ombre les luttes tortueuses des services de renseignement, monte des machinations antagoniques d’une subtilité prodigieuse, ne tombe jamais dans le manichéismeLes personnages aux prénoms évocateurs sont implantés dans leur accent, leur région, leur famille, leur éducation,  leurs espoirs et leurs mystères. Background social, virtuosité du détail, psychologie compréhensive, sens des narrations superposées ou combinées, maîtrise des dialogues, tout relève une maestria et soutient l’attention. Avant que ne tombe le mur de Berlin en 1989, Le Carré commet une œuvre autobiographique, Un pur espion (1986) où sont tramés ensemble l’appel de la trahison à tout espion, et le rapport existentiel à un père menteur et escroc.

La chute du mur et la fin de l’empire soviétique ne tarissent pas l’inspiration de Le Carré, ni ne mettent en sourdine ses prises de position éthico politiques. Sa méfiance à l’égard de la Russie de Poutine n’a d’égale que son rejet de la mainmise américaine sur la politique du Royaume UniEuropéen convaincu, il ne cesse de combattre l’ultralibéralisme,  les tentatives des multinationales pour privatiser les services de l’Etat et faire perdre à la nation son âme. Le théâtre de ses romans s’universalise : le tiers monde où les miséreux servent de laboratoire, les régions où les peuples sont massacrés et chassés de leurs terres, les nouvelles vagues migratoires…Partout l’appât du gain, des bandes rapaces sans aucun scrupule, des montages artificiels fondés sur le mensonge et l’arnaque. Face à ces ennemis, l’œuvre de fiction recourt à ses adjuvants propres : un grain de sable grippe les machinations diaboliques. C’est le potentiel humainl’humanité de l’homme faite de liberté, d’exigence éthique, de patriotisme, d’amour et d’amitié, de désir de compensation, de vengeance. Quelqu’un résisterefuse, déniche des solidarités anciennes ou nouvelles pour l’appuyer, trouve la force capable sinon de vaincre, du moins de mettre à nu la mystification.

La grandeur de Le Carré, c’est une psychologie radicale fondant une hauteur morale et basée sur elle.

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D’un amour l’autre plus ancien, celui du roman policier ancré dès l’enfance et dont la lecture me ramasse quand je tombe bas. Les revues littéraires sortent de temps en temps des numéros spéciaux sur le sujet, mais avec le Dictionnaire amoureux du polar de Pierre Lemaitre, nous trouvons une somme festive et encyclopédique, amoureuse, libre, réflexive, personnelle, autobiographique, pédagogique, foisonnante d’humour. L’auteur a signé polars et thrillers. Son roman Au revoir là-haut a reçu en 2013 le prix Goncourt et connu un chiffre record de lecteurs. En bien des années les polars auraient dû recevoir ce prix,ironise-t-il, sauf justement en cette année là !

Lemaître élucide le concept. En France, contrairement à l’Espagne et l’Italie, on oppose romans policier et noir. Dans le premier, le crime serait individuel, dans l’autre social. Autre différence : l’un vise à rétablir l’ordre, châtie le criminel, rétablit la légalité et le monopole étatique de la violence ; le roman noir relèverait de la subversion. « D’un côté Agatha Christie, de l’autre, James Ellroy. »  La séparation pour être globalement juste n’en connaît pas de fréquents renversements. Le Dictionnaire se veut rassembleur.

L’auteur dresse une brève histoire du polar dont l’acuité est utile pour servir de fil d’Ariane. Au début fut le roman d’énigme où l’enquête et la lecture doivent remonter d’indices parsemés à un criminel et à un stratagème. C’est le whodunit avec Dix petits nègres (1939) en exemple. Parmi ses déclinaisons célèbres le crime « en chambre close » [Le Mystère de la chambre jaune (1907)] et l’inverted tale on connaît le coupable mais on suit l’enquête qui y mène (série Tv Columbo).

Vient ensuite dans les années  1920 un changement d’ère : le hard-boiled accompagne un temps où le monde occidental est plus urbain que rural, connaît une explosion démographique et criminelle, la crise économique, les ravages du capitalisme. Dans cette atmosphère où prédominent sexe, violence, corruption, alcoolisme, le suspense du hard-boiled, dixit Todorov, va de la cause à l’effet alors que whodunit allait de l’effet à la cause. Le détective reste la figure emblématique dans Hammett, Chandler, Chester Himes. La vague atteint la France après guerre avec la « Série noire », collection de Marcel Duhamel,  les romans de Léo Malet, Jean Amila…

La grande nouveauté française vient avec J-P Manchette qui met « la contestation sociale au centre du polar » (F. Guérif). Le « milieu » de Simonin (joué au cinéma par Gabin) fait place aux barbouzes, à la lutte des classes, à la marginalité, dénonce les versions hexagonales de la corruption, donne figure à la banlieue. Daeninckx, Fajardie, Jonquet, J-B Pouy, d’autres, s’imposent. Le détective (personnage artificiel en France) cède la place au flic, passage « rétrospectivement cocasse » alors que la politique française « s’apprête à pédaler furieusement en sens inverse ».

Présentement, le paysage est confus et on perçoit mal ce qui peut, à part le mystère, unir les œuvres qui paraissent. Quoi de commun entre Da Vinci code et le Quatuor de Los Angeles Les raisons ne manquent pas  à la fragmentation : mondialisation de la littérature ? Essoufflement du genre ? Déboires de la démocratie ? Elles se conjuguent, sans doute.

Le Dictionnaire réunit auteurs, maisons d’édition, revues, traducteurs, collections (article instructif sur l’histoire, les vertus de la « Série noire » et lecritiques justifiées qu’on lui adresse), festivals. Il parle des romans sans « divulgâcher » leur lecture. Ce qui ne l’empêche pas de choisir, d’écarter, de rejoindre son lecteur et de s’en séparer: « Je vais …tout ramener à moi, mais si on ne le fait pas dans un ‘dictionnaire amoureux’, où pourra-t-on le faire ? » [J’ai regretté l’absence de Peter Cheyney et de Léo Malet qui ne sont que cités, été ravi de retrouver Pottsville,1280 habitants et Un nommé Louis Beretti « chef d’œuvre tout court »]. Les diverses nationalités sont présentes : l’anglaise et l’américaine bien sûr, mais aussi les Italiens, les Espagnols, les scandinaves, les Allemands, les Japonais…Des définitions utiles sont données (Pulp, Pitch…), des divisions de travail précisées (Boileau-Narcejac). Les théoriciens, historiens, critiques du genre enrichissent les articles sans avoir le dernier mot : « Je ne suis ni un analyste ni un critique et je n’ai pas toujours d’argument bien frappé pour dire qu’ils se trompent. » La BD n’est pas absente mais c’est le cinéma qui occupe la place importante. Dans « Le Parrain », il n’est question que du film et Hitchcock figure comme entrée. [Je note avec plaisir une faille: l’absence de l’Eva de Losey dans la filmographie de J.H. Chase, une belle œuvre avec Jeanne Moreau et Stanley Baker dans une Venise sous la pluie.]

L’autobiographie se mêle agréablement à l’humour dans l’article Daniel Pennac : « le parcours de Pennac est celui d’un cancre devenu professeur puis écrivain. A ce stade du portrait, je sens que je m’agace parce que la succession ‘cancre, professeur, écrivain’, c’est tout moi. Je ne comprends pas pourquoi il m’est passé devant. » Ailleurs, la voix est grave : parlant du Pike de Whitmer, « il y a des livres, comme celui-là, magiques, qui ne demandent qu’à rester en vous. Et de continuer à vous ronger l’âme. »

La dimension pédagogique de Lemaitre pour laquelle il se dit douéest souvent attestée. De Hammett à « l’écriture très sobre, quasiment dépourvue d’adjectifs » il tire le tempo : l’auteur « doit savoir comment les choses arrivent -non pas comment on s’en souvient des années plus tard- et il doit les écrire telles quelles ». D’Hitchcockil évoque des principes narratifs pour sauver une intrigue chancelante et l’importance essentielle du méchantUne éducation continue.

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Peut-on enfin boucler la boucle en réunissant Le Carré et le polar éclaté de notre temps Le polar, dit Lemaitre,  « reste l’un des derniers lieux où le mystère reste une qualité et le mensonge une voie d’accès à la vérité »Mystère et mensonge salvateurs demeurent aussi les capitaux d’écriture de Le Carré. Mais le premier s’achemine parfois vers le  découragement : « l’auteur de romans noirs doit devenir l’amant du désespoir » (Robin Cook). L’autre garde vive, arguant du potentiel humain, la flamme de la résistance et de l’espoir. 


Pierre Lemaitre: Dictionnaire amoureux du polar, Plon, 2020, 816 pp.



     

 

Friday, 1 January 2021

Joseph Sayegh, mysticité de l’impie


 

         La perte de Joseph est celle d’un ami lumineux, cordial, sensible, paternel et fraternel. Je ne cessais de lui parler l’hiver dans son autre pôle, Paris, dont « la Seine coulait dans (s)es veines » et à laquelle il a consacré une Ode (1992) et de beaux poèmes dans son Diwan occidental (1993). Ses étés, il les passait à Zahlé, notre ville natale qui ne le quittait jamais.

 Le Sannine en est l’assise, mais sa limite va au-delà des limites, où l’illimité…

Mon amour est pour Zahlé : où je suis elle est, et quand elle est l’être advient [1]

         Il n’a pas été pour moi d’un abord aisé encore que son nom m’accompagne  depuis l’enfance. En 1959, la principale librairie de la ville chasse de sa devanture tous les autres livres pour sa première œuvre, Saïd Akl et les choses de beauté. De nombreux exemplaires, sous une couverture frappante par le rouge sur blanc d’un titre calligraphié gras, annoncent une élégante exégèse de Rindala [2]Saïd ne cessera de répéter que c’est le meilleur livre écrit sur lui. Je croise parfois Sayegh dans la principale artère de Zahlé mais sa haute stature poétique s’impose définitivement avec Ann-Colyn (1973). L’édition extrêmement soignée livre une œuvre foudroyante et exigeante. Je lis et relis, de plus en plus convaincu du premier aspect, cherchant à adoucir l’autre. 

         En 2003, débute ma vraie relation avec le poète. Il cherche à publier son œuvre complète, immense m’a-t-il semblé, à Dar Annahar. Son attachement au Nahar, à Ghassan Tuéni, à Ounsi Al Hajj ne souffre  aucune ombre ; il connait de près le journal, ayant travaillé dans ses parutions annexes (Al Mulhaq, AnNahar al ‘arabî wa duwallî) à Beyrouth comme à Paris. Je le convaincs de se limiter pour commencer à l’œuvre poétique. Elle est répartie en 4 volumes selon l’ordre chronologique, mais avec des variantes, de nouveaux regroupements et beaucoup d’inédits. Je ne peux qu’apprécier, au-delà de la sympathie née de la souche  commune, un auteur généreux qui se dépense entièrement pour ses écrits, corrige les épreuves avec minutie, s’occupe  de la mise en pages, choisit le papier le plus digne, dépense ses vacances en labeur assidu.

         Ce n’est qu’avec les années que la relation se transmue en forte amitié. « L’horreur » du monde contemporain et de l’actualité libanaise incitent le « prince »[3] baudelairien, si fervent d’idéal, à des positions extrêmes qu’il est difficile de partager. Puis au fil des rencontres remonte l’homme profond, d’une transparence et d’une prodigalité intégrales. Ses fureurs sont à la mesure des déceptions. Il égrène ses souvenirs d’enfance, fait revivre son quartier à l’heure de la guerre mondiale, n’oublie pas, malgré son attachement à lui, certaines cruautés du collège attenant, relate ses combats pour assurer ses études …Pudique devant les défaillances de proches, fidèle en amitié, inquiet de vos soucis, sincère de ses avis envers vos travaux, faisant même preuve de dureté, reconnaissant pour tout effort ou gentillesse à son égard…Voyageur curieux[4], familier des arts, fin connaisseur des grands poètes, il me donne en confiance les clés de son intimité et de son œuvre, dévoile son émotivité profondément troublée par de jeunes beautés[5]. De tout cela et de bien plus encore, ses pages recomposent les intenses traces.

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Poète, journaliste « aux philippiques retentissantes »[6], essayiste féru de philosophie et de science contemporaine, éditeur, bibliophile, attaché culturel auprès de l’UNESCO (1984-1993), mécène dans la limite de ses moyens et l’étendue de ses amitiés, Joseph Sayegh (1929-2020) est un infatigable auteur qui ne cesse d’écrire et publier de l’adolescence aux derniers jours. 

De ses Œuvres poétiques  en 4 tomes épais, le  Livre d’Ann-Colyn occupe la totalité du deuxième et le foyer nodal. Les recueils précédents (Châteaux dans l’enfance 1964, Les réverbères un certain soir  1972) de facture plutôt classique rayonnent par leur « pureté » et « singularité », mettent  le poète, comme le soutient Youssef el Khal,  au rang des grands du symbolisme libanais. On y lit en filigrane quelques uns des thèmes de l’opus majeur qui l’incarne, bien qu’il fasse éclater ses critères stricts de poésie, la métrique et la rime. Dans les deux derniers volumes, Ann-Colyn, nommée ou sans l’être, revient comme un leitmotiv wagnérien.

Pour l’amoureux, « ni salut ni espoir sans la pureté de l’enfer ». « Comment sauvegarder mon réjouir de toi sans qu’il  devienne désespoir de toi ?/parce que ma joie de la beauté est grande/ parce que mon désespoir  de la beauté est encore plus grand. » Ainsi coule le flux de ce torrent puissant qu’est Ann-Colyn, à la fois admirable et débridé, vigoureux et insondable comme l’a saisi dès sa parution Ounsi Al Hajj dans un article on ne peut plus élogieux. Sayegh a retenu les leçons de Valéry[7] et de Saint John Perse[8] les confondant sous la houlette de Mallarmé[9], infini sondeur du verbe. Il réunit les conceptions contraires de Platon et de Nietzsche, le culte du beau et la primauté du corps, le temps et l’intemporel dans une vision radicalement profane, impie[10]. « Au début était le corps jusqu’à la fin des temps. » « Que le corps soit dans les cieux, comme dans les entrailles, en esprit comme en terre humaine, Alléluia ! » En plus d’un sens, Ann-Colyn est l’unité de paroxysmes opposés : dans cet hymne (Maghnât) se rejoignent culpabilité et innocence, désir et virginité, piété et sensualité[11], humilité et orgueil, unité et dualité [des amoureux], parole et silence.

 Où finit l’acte de parole débute l’acte du silence, commence l’accomplissement  

Restent ces prodiges : la puissance du souffle, l’unité de l’inspiration, l’ampleur de la phrase, la vigueur des strophes. Ann-Colyn chante une femme, la femme, l’être humain, l’amour, la vie, le cosmos… Le poète transmue sa quête existentielle (wajd, wûjûd) en investigation souveraine de l’essence du langage, des ressources et sources de la langue, de la fulgurance de la poésie.  « Formidable monument élevé au langage, ou bien à l’amour ? L’un et l’autre sans doute. Mais j’aurais tendance à croire que le poète célèbre ici l’univers à travers les sonorités des phonèmes arabe. » (J. Berque)[12]

Ann-Colyn n’a pas encore révélé tous ses dédales. Les autres recueils attendent leurs heures. L’œuvre en prose est méritoire. Un chantier pour des décennies. Joseph Sayegh ne s’est pas tu[13]!

 

 

Joseph Sayegh : Al Mu’allafât al Chi‘riyyat (L’œuvre  poétique), coffret de 4 volumes, Dar annahar, 2004.  

Joseph Sayegh: La poésie est femme ou Le Livre d’Ann-ColynHymnes et fragments choisis,Préface de Sobhi Habchi, Postface de Michel Hayek, Traduits de l’arabe par François Harfouche, Librairie d’Amérique et d’Orient Jean Maisonneuve, Paris, 2016, 112pp.

Avec Joseph Sayegh, poète libanais…poète de la France, (avec des poèmes traduits par Vénus Khoury Ghata, Laudy Aoueiss, Edouard Tarabay, Luc Norin…) UNESCO, Paris, le 28 juin 1993.  

 

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    Deux poèmes

Nuages 

Du matin à la descente du soir 

Ils  tracent et effacent le livre du ciel.

Transparence condensée dans l’azur

Elle réinvente par l’eau la lumière.

Je t’ai vue comme moi par l’illusion nourrie

Serais-tu nuages ? ou poètes ? (I, p. 435)

Etre par le regard 

Nu suis-je comme le temps

Et vagabond dans le nulle part

Derrière deux yeux

Je tends à la tendresse

Entité parmi les entités 

J’implore par tes yeux d’être (I, 417)

Traduction F.S.

 

  



[1] Zahlé Le poème, 1999.

 

[2] Recueil de Saïd Akl, 1950, sans doute le sommet de sa poésie.

[3] « Ce prince que l’horreur de son logis réveille… » Les Fleurs du mal

[4] Vienne et Venise n’ont pas de secrets pour lui. 

[5] En 2019, il publie en tirage limité, le poème de son dernier trouble créateur Choumou’ (Cierges).  

[6] Ounsi Al Hajj.

[7] Par Saïd Akl puis directement, la poésie de Joseph Sayegh doit beaucoup à Paul Valéry. Trois poèmes, au moins,   l’évoquent explicitement et lui rendent hommage : Eveillée (La Jeune Parque), III, p 133 ; Le Golfe de Jubayl (Le Cimetière marin), III, p 158 ; Au Cimetière de Valéry III, p 539. 

[8] L’empreinte de SJP se sent principalement dans Ann-Colyn. Le titre « Eloges pour une verdure marine » II, p 199 réunit plus d’un titre de l’auteur d’Eloges et d’Amers. 

[9] La Sieste de l’aspic (1964), I, pp 119-206 n’évoque-t-il pas par le titre, le satyre et la sylphide L’Après midi d’un faune ?

[10] « J’ai été un hasard, effet de convention/Je vis sans but et sans but je suis crucifié /Les plus heureuses des vérités sont les plus incroyables, celles qui mentent ! /Je fréquente mon illusion pour échapper à la folie/Pour échapper à la folie j’écris » Diwan occidental, III 353

 

 

[11] Au point de jointure de ces contradictions, ou de certaines d’entre elles, se retrouve la célébration du pied qui se manifeste à de nombreuses reprises. Valéry avait ouvert la voie avec « Les Pas ». 

[12] Il faut peut être ajouter que la langue arabe de Sayegh, si riche et si respectueuse des règles, apparaît sans sources ou racines coraniques.

 

[13] Certes la voix, le phrasé, la maîtrise de la métrique classique arabe de JS séduisaient les auditoires dans ses récitals, mais sa poésie est restée limitée aux happy few comme en témoignent les livres à lui consacrés, les nombreux hommages à lui rendus. Sa poésie est soutenue non seulement par le vocabulaire et la construction, mais aussi par la pudeur, le refus de la facilité, l’abondance des concepts, la hardiesse des positions  philosophiques. « Le toucher  infère de l’inerte son discours spirituel »