Le livre des déserts Itinéraires scientifiques, littéraires et spirituels. Sous la direction de Bruno Doucey, Bouquins, 1231 p., Robert Laffont.
A l’heure où la désertification progresse et où le manque d’eau menace et en cette année 2006 déclarée par l’UNESCO Année des déserts et de la désertification, faut-il conjurer les aires nues ou au contraire les exalter ? A cette question, la réponse du maître d’œuvre de l’ouvrage qui a projeté « un livre capable de poser les problèmes dans leur globalité sans céder aux mirages d’une fascination… » ne manque pas d’ambiguïté. Placée sous le signe de la connaissance, sa démarche se veut à la fois scientifique et littéraire, encyclopédique et nomade, produisant des études savantes et inédites sur les espaces arides et rassemblant un florilège impressionnant quant à l’identité des auteurs, la diversité des thèmes et la saveur des textes.
En vue d’une synthèse pluridisciplinaire, Bruno Doucey, écrivain et directeur éditorial des Éditions Seghers, a réuni sous sa conduite des spécialistes reconnus, géographes, météorologues, géologues, biologistes, ethnologues, historiens mais aussi des théologiens, des poètes et des écrivains pour composer Le livre des déserts, un ouvrage de près de mille deux cents pages comprenant de nombreuses cartes, des croquis et quelques photos.
Le livre est conçu en cinq parties. La première rédigée par le géographe Alain Morel introduit aux régions désertiques, les localise à la surface de la planète, décrit leurs régimes quant à la température, l’action du vent et de l’eau, le façonnement des reliefs, la présence de nappes phréatiques…Une typologie des déserts (« un milieu hostile à une vie qui s’amenuise ou disparaît » selon l’expression de Th. Monod) en ressort qui relativise notre conception habituelle cantonnée au Sahara, à la péninsule arabique et autres ergs et regs du Tropique du Cancer: Il est des déserts littoraux, de sable, continentaux, de haute altitude, de milieux polaires. C’est à peine si les grands fonds marins, bien en deçà de la surface ensoleillée des océans ne sont pas évoqués.
La deuxième partie traite des grands règnes de la nature en milieu désertique : le règne minéral (A.Morel), la flore (A-C. Benchelah et M.Maka) et la faune (C. Boudier). Nous avons droit ici à la fascinante description des stratégies d’adaptation que mettent en place animaux et végétaux pour survivre dans ces milieux à dominante minérale : la plante qui se désaltère en captant la rosée du matin ; les graines qui attendent des dizaines d’années en terre une averse qui tombe; la vipère qui prend la couleur et l’aspect du support pour surprendre sa proie ; l’antilope qui se procure de l’eau en broutant sans avoir besoin de s’abreuver ; le poisson pulmoné capable de survivre à l’assèchement total des points d’eau…
Dans la troisième partie, la présence de l’homme dans les milieux arides se place au centre de la recherche. Essentiellement traitée par un passionné du monde touareg, Edmond Bernus, elle s’ouvre sur l’évocation d’un Sahara lacustre et verdoyant dans lequel ont vécu des hommes préhistoriques et duquel bien des traces restent, celles de plantes, d’animaux, d’armes, de puits, de cités et de nécropoles, d’inscriptions et de peintures rupestres : « le désert est un musée, un palimpseste où sont inscrites en surface les activités successives des hommes ». Suivent deux chapitres, l’un sur l’homme dans sa tentative d’apprivoiser le désert et d’utiliser ses ressources (l’eau, le sel, la végétation…) et l’autre sur la civilisation du désert : la vie pastorale, l’habitat, les arts (les musiques touarègues ont droit à un exposé indépendant dû à F. Borel). Cette partie se clôt sur un des plus grands défis contemporains : la désertification. Sait-on que dès à présent un homme sur trois vit sur des terres arides ?
La quatrième partie opère un glissement subreptice et traite du désert comme pôle d’attraction des Occidentaux, explorateurs et conquérants, écrivains, peintres, penseurs, chercheurs, hommes et femmes « entre sagesse et folie ». Le désert n’est plus une réalité, mais un mythe, ou plutôt une réalité transfigurée par les mythes et vécue ou recréée comme telle. Sept portraits dominent cette partie très fournie et principalement due à Ch. De Montigny, G. Conan A. de Meaux et B. Doucey parmi lesquels Isabelle Eberhardt, T.E. Lawrence, W. Thesiger, Bowles et Le Clézio.
« Le Désert des mystiques » est le point d’orgue et la ligne de fuite du livre. Ici viennent se rejoindre les sources et les aboutissements, la naissance des religions et les tentatives pour les épurer, les élans vers les terres de soif (le monachisme, Charles de Foucauld…) et les mouvements pour le salut universel. Le désert ouvre à l’ascèse, l’infini, la transcendance. Aussi le trouve-t-on, depuis Akhenaton, à la source de tous les monothéismes et aujourd’hui encore dans le cœur permanent du judaisme, du christianisme et de l’islam. Après des exposés sur les deux premiers de la plume de X.de Chalendar, J-L. Maxence et M. Gansel, Salah Stétié achève l’ouvrage par un magistral « l’Islam en ses déserts » où l’itinéraire du nu à l’Un emprunte des chemins linguistiques, historiques, poétiques, mystiques sans ignorer exquises digressions et nécessaires contrepoints.
Une « anthologie pour une lecture nomade » sert de leitmotiv à l’ouvrage et vient se glisser dans chacun de ses méandres. Deux cent cinquante pages empruntées à toutes les littératures du monde et regroupant anciens et modernes, auteurs connus et moins connus, textes célèbres et moins célèbres font de l’approche du Désert une entreprise humaine toujours recommencée, par delà les générations, les langues, les domaines cloisonnés, les discours univoques. Partie sans doute infime d’un immense ensemble, elles montrent que la nullité d’un lieu est inversement proportionnelle aux forces et facultés de l’homme qu’elle libère.
Nous avons parlé au début de l’article de la réponse ambiguë de l’ouvrage à la question du rapport de l’homme au désert. D’où vient l’équivoque ? Du fait que le désert menaçant dans son avancée même reste fascinant pour objective et scientifique que soit son approche. « Car cette terre cruelle est capable d'envoûter quiconque ose s'y aventurer, bien plus profondément qu'aucune autre région clémente de notre planète », comme l’a noté Wilfred Thesiger dans Le Désert des Déserts.
Par ailleurs, quelques commentaires nous sont inspirés par cet ouvrage éclairant et démesuré. Le lecteur arabe qui ne retrouve même pas ses Venises (Palmyre, Pétra…) est dépossédé par ce livre d’un désert qu’il croyait lui appartenir seul, qui tient une si grande place dans sa culture, où vous étiez son invité et aviez droit à sa munificence. L’affirmation de Stétié selon laquelle l’Arabie est « la quintessence du désert » (p.1083) ne compense pas totalement la perte. La consolation vient peut être de la place éminente tenue par les Arabes dans l’anthologie nomade, du poète préislamique Tarafa au romancier contemporain Ibrahim Al-Koni en passant par Ibn Hawqal, Idrisi, Ibn Arabi et de nombreux autres. La part des Arabes à la culture universelle n’est pas, pour une fois, ignorée.
Une lacune demeure et de taille : Ibn Khaldoun, le penseur qui a donné ses lettres de noblesse théoriques au nomadisme et qui a intégré les badou dans le cycle général de l’Histoire. Cette absence signale une omission plus générale, celle de peuples du désert (Cananéens, Ammorheens, Araméens, Arabes…) délaissant l’aridité de leur sol pour fonder de nouvelles civilisations sur des terres plus clémentes. Entre « l’éternité » naturelle, les petits groupes et les grands créateurs, ce pan culturel fait faille.
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DESERT INUTILISE
A trop vouloir posséder le désert, on le perd comme une poignée de sable.
Le propre du désert est de laisser sur sa soif. Le Livre des déserts tient cette gageure et le désert demeure au delà, terre d’absolu, d’ascétisme, de continuité.
Le désert assure aux Arabes une double continuité : dans le temps, étant toujours à l’arrière-plan de leurs préoccupations littéraires, voire au centre de leur inconscient esthétique et de leur vision du monde; dans l’espace, où les Arabes se retrouvent au voisinage de peuples dont bien des artistes et des âmes inquiètes sont fascinés par leurs déserts et tentés de répondre à leurs appels.
Le projet fou de chanter le désert et de le conjurer.
Un désert plus pur, le désert des déserts ; la quintessence du désert :
Attirés par ce que Saint John Perse appelle «l'envers et comme le spectre de la mer».
Lawrence d’Arabie est devenu Lawrence du désert.
La moallaqat de Labid aurait été préférable a celle de Tarafa pcq elle donne les 3 aspects du D : la nature, le groupe et l’individu ; (A. Miquel :Du désert d’Arabie…p.29)+ les 5 principes du code du D :hilm(« bizarre compose de grandeur d’âme et de rouerie »v107-108 au pluriel Ahlam),liberté, plaisir, virilité, generosite).
Manque un chapitre qui aurait été le pendant de L’Empire des steppes de Grousset et ou seraient narrées les formes diverses de l’empire du désert.
Salifu al-abadi , a été traduit par Berque par «passe du toujours » puis par « passe de toujours ».
On constate heureusement l’absence de Bachelard : car le D intègre les 4 éléments sans appartenir a l’un d’eux.
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