J. -B. Pontalis: Elles. récits ; 200pp ; Gallimard, 2007.
Ce livre aux allures bien modestes est une véritable joie estivale. Mais il faut à son endroit se défier des apparences car le temps mis à le terminer ne correspond pas au nombre limité de ses pages, vu l’atmosphère dense de chaque texte et la volupté goûtée à en espacer la lecture. Au bout du compte, les séparations, les déceptions, les contretemps et les ruptures n’auront pas manqué à un livre de quiétude, de réconciliation et d’acceptation complice de la vie.
Il est difficile d’appeler récits la quarantaine de textes d’inégale longueur dont est formé l’ouvrage, certains, dont surtout les premiers et le dernier, faisant plus figure d’impressions ou de notes. Quant au titre lui-même Elles, il est riche de deux leurres : celui d’omettre l’importance des noms, les véritables (Nicole Angel), ceux qu’on cache, ignore, ou invente, ceux comme Nausicaa dont on répète les dernières syllabes « pour que ce nom…comme notre amour ne connût pas de fin », auxquels on tient fût-ce contre la promesse de devenir immortel ; cet autre de couper les femmes des hommes épris d’elles et des relations où les deux parties s’engagent donnant aux diverses histoires leur chair vive.
S’il est une indéniable unité du livre, un thème dont les morceaux sont des variations, celle-ci est perpétuellement glissante pour le bonheur du lecteur comme pour la richesse de l’ouvrage. S’agit-il d’un livre sur les femmes : « Des femmes tout simplement heureuses d’être des femmes, différentes des hommes et chacune différente d’une autre et d’autant plus aimables qu’elles ne cherchent pas à être aimées ou à plaire à tout prix. » ? ou du harem personnel, imaginaire et réel, d’un homme « maigre et lunetteux », recruté tout autant dans le cinéma (les stars « si lumineuses dans les salles obscures »), les romans, les peintures (avec une prédilection pour Bonnard), que dans les péripéties de toute une vie ? ou encore de la Femme « qui échappe », interdite à une quête infinie, changeante et imprévisible, tour à tour indifférente et aimante, exagérément célébrée par les poètes, mais presque seule capable du Très haut amour ?
Mais, dans les plis du sujet affiché et traité avec tact et amour sinon passion (le terme est péjoratif pour Pontalis), ne sommes-nous pas en présence d’une autobiographie éclatée, saisissant l’auteur aux diverses périodes de son existence, indiquant les dates de ses lectures, relatant son émerveillement lors de la découverte à six ou sept ans du corps lisse de la femme, telle rencontre à dix-neuf ans, ses amours en Egypte, l’enseignement de la philosophie, une pensée de vieillesse au pont Neuf ? Fort heureusement les frontières qui séparent l’autre de soi sont des plus insaisissables et un vague sentiment peut conduire à penser sienne une histoire qui ne l’a pas été. L’impression psychologique se transmue donc en artifice littéraire : « Transposer le je en il et parfois le il en je est un procédé que j’utilise volontiers. » Quand l’auteur va au cœur de ses noeuds intimes, au malentendu originel, c’est pour dresser la Nécrologie d’une inconnue : « ça pourrait être ma mère. Ça ne l’est pas. Elle lui ressemble par certains traits. J’en ai transformé la plupart…Il m’a fallu inventer une mère à la fois proche et différente de la mienne. »
Les personnages des récits ne sont pas seulement Pontalis, ses amis et analysants. Ce sont aussi des individus ou des couples tirés de l’histoire (Louise et Gustave, Sigmund Freud, Paul Valéry et Catherine Pozzi) et pris dans des narrations policières dignes de Sophocle. Ce sont également des êtres littéraires qui prennent sous leur coupe les êtres réels pour leur servir de modèles ou leur dessiner des stratégies : Swann et Odette, Mme de Rênal et Mathilde de La Mole, Constance Chatterley et sa « poétique du toucher »…L’auteur d’Après Freud n’est pas seulement «l’un des rares psychanalystes sachant écrire » (Assouline), mais aussi un écrivain qui cherche à subvertir, l’une par l’autre, la littérature et la psychanalyse.
Livre imbibé d’humour, nourri de réflexions, d’interrogations et de réponses, savoureux de ne pas prétendre à une originalité forcée, Elles dégage, sans lourdeur ni dogme, une morale de consentement à la vie et à l’amour malgré les abandons, les déchirements, les rendez vous manqués, le déclin fatal et la mort. La culpabilité n’y a point de place et un lieu de choix y est ménagé pour le rêve. Mais ce qui rachète le tout, c’est la perpétuelle éclosion et la continuelle émergence du vivant, ce que notre Schehadé aurait appelé « la goutte d’eau des naissances. »
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