Patrick Brion: Les
Secrets d’Hollywood, La Librairie Vuibert, 2013, 284pp.
Est-ce bien une lecture estivale que ces Secrets
d’Hollywood de Patrick Brion ? Ils commencent par une seconde
aurore, celle où de grands producteurs réinventent le cinéma à la disparition
du muet et lui donnent un empire mondial d’une surface jusque là insoupçonnée.
Mais ils se terminent sur le dépeçage de la plus prestigieuse des compagnies,
la Metro-Goldwyn-Mayer, dans les années 1970-1980 livré dans les plus atroces
détails et résumé par ce propos cynique du milliardaire liquidateur Kirk
Kerkorian : « La MGM n’est plus une compagnie de cinéma mais une
compagnie hôtelière. » Le grand rêve, l’usine à rêves, a vécu et ce n’est
pas seulement le Cinéma Paradiso qui a fermé ses portes, mais aussi les
studios qui l’alimentaient en fictions et en passions. Concordance de deux
disparitions sans doute, mais moments d’un devenir qui ne dira pas de sitôt son
mot final.
En dépit du prologue et de l’épilogue qui marquent les deux
bornes, le livre de Patrick Brion n’est ni un traité suivi ni une histoire
continue. C’est ce qui lui donne son coté festif et permet au lecteur d’y
tracer son itinéraire, de choisir ses portes d’entrée et ses quais de départ.
Clair et d’écriture soignée, l’ouvrage ne communique pas souvent la magie de ses
sujets, malgré l’indéniable passion du cinéma de son auteur. On peut même dire
que certains des secrets révélés sont connus dans les milieux cinéphiles. Mais
une fois la dernière page tournée, on ne peut que reconnaître la richesse des
renseignements puisés et cet art de la condensation propre à chacune des
parties.
A la fin des années 1920, le cinéma muet avait atteint
« une perfection artistique exceptionnelle » et l’arrivée des films
parlants pouvait faire craindre le pire. Ce fut la gloire des directeurs des major
companies et de leurs producteurs délégués de relever le défi et d’assurer
à Hollywood une hégémonie universelle économique et artistique. Puisant dans
bien des monographies comme dans l’ouvrage devenu rapidement un classique de
Neal Gabler, An Empire of Their Own : How the Jews Invented Hollywood
(1988), Brion narre les vies de ces Samuel Goldwyn, Carl Laemmle, W. Fox, I.
Thaelberg, Jack L. Warner…La plupart étaient juifs et débarquèrent à Ellis
Island d’Europe centrale et orientale. Ils avaient été ferrailleurs, vendeurs
de journaux, cordonniers, tailleurs…cherchant à survivre et à faire fortune. Mais
ils firent preuve d’un grand tact intellectuel. Ainsi ils engagèrent des
écrivains comme F. Scott Fitzgerald, Faulkner, J. Conrad…et collaborèrent avec
acteurs, metteurs en scène et techniciens attirés à Hollywood du monde entier.
Mot d’ordre de Louis B. Mayer : « Une grande vedette, un grand
metteur en scène, un grand sujet, une grande interprétation…N’épargnez ni
l’argent, ni le temps, ni les efforts. Ce qui m’importe, ce sont les
résultats. » « Le meilleur film possible », tel est le but
unique avec la possibilité évidente, et toute humaine, de se tromper.
Ces grands destins de producteurs, nous les voyons à
l’œuvre dans quelques films et non les moindres : Greed (1924), Freaks
(1932), The Wizard of Oz (1939), Gone with the Wind (1939), Casablanca (1942), Singin’
in the rain (1951), Othello (1952)…Chaque
œuvre oscille entre plusieurs choix et devient le centre de plusieurs combats.
Elle est un défi collectif, artistique et financier, où nul ne détient le
monopole du bon choix. Le génial Von Stroheim a tourné un « monstre »
inutilisable et non destiné pour les salles (42 bobines pour 8
heures de projection). David O. Selznick, le producteur d’Autant en emporte
le vent, achète les droits du roman la semaine de sa parution faisant fi du
« box-office poison » du sujet, la guerre de Sécession. Cherchant à
se libérer des studios (et même à venger son père qu’ils ont ruiné), il est
contraint au compromis. Les metteurs en scène se succèdent (5 au moins) et le
choix des acteurs est à lui seul une longue histoire. Même lors du début du
tournage, on ne savait pas comment allait se terminer Casablanca et on
avait préparé 2 fins, pour ne pas parler des autres déboires. Mais exceptionnelle
efficacité de Hollywood : « De toutes les hésitations, erreurs et
modifications qui ont pu se faire jour pendant la production, rien ne
transparaît dans le film achevé, un évident chef-d’œuvre ».
Outre les films riches en péripéties, nous avons droit dans
ces Secrets à des portraits de metteurs en scène (Vincente Minnelli
auteur à part entière quel que soit le film qu’on lui proposait ; Albert
Lewin passionné de peinture) et à des épisodes intéressants de l’histoire de
l’Amérique : une savoureuse histoire de la censure et des moyens de la
contourner avec un chapitre sur le code Hays (1930)[1], un éclairage hétérodoxe des prises de position politiques lors du
maccarthisme[2]
Nous avons surtout droit à l’illustration
et défense d’un acteur magnifique qui n’a cessé de renaître (The Godfather puis Apocalypse Now)
et d’un homme noble qui n’a cessé de s’affirmer, Marlon Brando.
Le cinéma a beau dépendre d’innombrables conjonctures,
connaître des avatars, il reste, selon le propos d’Erich Von Stroheim,
« le seul medium capable de reproduire la vie telle qu’elle est. » Et
ce n’est peut être pas assez dire.
.
[1] Pour contrecarrer les ligues de la vertu
et les ligues féminines, les majors ont choisi une « personnalité au
dessus de tout soupçon », Hays qu’elles contrôlaient par le salaire et
l’institution pour superviser l’application du code d’autocensure. Mais celui-ci
incita les auteurs à trouver les moyens
d’inventer et de se faire subtils pour le contourner.
[2] Des metteurs en scène comme John
Ford, Franck Capra…pourtant républicains et droitiers prirent position, par intégrité
morale, pour Mankiewicz contre Cecil B. De Mille dans l’affaire du « serment de
loyauté » au peuple américain. Mais curieusement, après l’avoir écarté, Mankiewicz
demanda aux syndiqués de le signer pour « l’enterrer ».
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