WOODSTOCK 1969 |
Gérard de Cortanze: Dictionnaire amoureux des Sixties, Plon, 2018, 720 pp.
Gérard de Cortanze, prix Renaudot 2002 pour Assam, essayiste et critique
littéraire, nous offre moins un dictionnaire amoureux des Sixties qu’un dictionnaire personnel de ces années
réputées folles. Ses réserves quant aux événements et nouveautés de
la période sont nombreuses, qu’elles datent du vécu d’alors ou du présent où l’absence
de nostalgie prévaut. Quand la décennie est proche de son terme, il peut la
qualifier d’ « heureuse » : soit qu’il évoque le changement
de style des conférences de presse présidentielles en France : « La
hauteur gaullienne n’est plus. 69, c’est la fin du lyrisme et de la grandeur de
la France »; soit qu’il assiste à la
fin tragique d’une génération américaine éprise de liberté et d’amour dans Easy
Rider, le film si représentatif de Dennis Hopper (1969).
DE GAULLE EN IRLANDE (mai 1969) |
Personnelle, l’œuvre l’est car on peut suivre à partir de ses méandres la trajectoire de l’auteur, dresser son
portrait, évoquer sa généalogie. De Cortanze est d’ascendance aristocratique italienne : le père
est piémontais et la mère napolitaine ; du moins Françoise Mallet-Joris en
convainquit Edmonde Charles-Roux d’abord sceptique. On peut le suivre d’adresse
en adresse, vivre avec les siens dans la villa familiale de son père directeur
d’usine (occupée) en mai 68. Pour narrer ce mois crucial, il propose 4 saynètes
« entre l’opérette et la chanson comique » où l’élève comédien prend
peur et ses distances, et termine l’inutile « récréation » avec son père dans la
grande manifestation qui remonte de la Concorde à l’Etoile (30 mai). Donc un
garçon plutôt rangé et passionné de livres et de lecture. Aucun programme télévisé de l’ORTF n’échappe à
ses commentaires, des « Dossiers de l’écran » à « Cinq colonnes
à une » ; il préfère Balzac et Malraux au Nouveau roman, se demande
aujourd’hui comment il a pu « s’engager tête baissée dans (l)es étranges
combats » du structuralisme, de Tel Quel, des Cahiers du cinéma soixante-huitarde…
La personnalisation du Dictionnaire n’est pas sans séduire un
lecteur comme moi né presque la même année que l’auteur (1948 et 1947). Il
m’est facile d’imaginer l’avoir croisé à
« la Mecque du cinéma » (la rue Champollion), à là cinémathèque
Chaillot ou à la Joie de lire (librairie Maspero), utile de comparer la chute de
certains événements (assassinat Kennedy), feuilletons (Les Incorruptibles),
modes (minijupe, drugstore, coupe de cheveux), nouveautés culturelles (Livre de
poche, design, Nouvelle Vague) sur des contemporains en contrées diverses et
lointaines, gai de mesurer l’ampleur d’une mondialisation pour laquelle les Sixties
furent une époque charnière (premiers pas sur la Lune). Parfois la
contradiction des idées et des sentiments entre les deux bords est totale
(guerre des Six jours).
On ne cesse de fouiller et de trouver dans ce Dictionnaire, panier inépuisable
pour la mémoire. A côté de l’itinéraire d’un passage de la petite enfance à
l’adolescence, des affinités personnelles pour Hugues Aufray ou Raquel Welch,
nous trouvons des entrées inattendues (Papier hygiénique, Purée Mousline,
Vide-ordures) et des articles exhaustifs nourris aux meilleures sources de
l’érudition. Les singularités survenues (Hula hoop, Laser, Greffe du cœur) n’occultent
pas la place des synthèses (consommation, contestation, La société du
spectacle). Les replis français occupent des pages importantes (Nouvelle
société ; Oui, mais ; Poulidor, Académie), mais la scène des Sixties
est essentiellement mondiale et bouleverse un ordre au profit d’un nouveau
en perpétuelle redéfinition.
La décennie 1960 se trouve au cœur des « Trente Glorieuses »
(1945-1973), période de forte croissance et d’enrichissement général. Les ménages investissent dans l’automobile,
l’électroménager, achètent des téléviseurs et vont de plus en plus en vacances
(Club Méditerranée). C’est aussi l’ère des transistors. Les premiers
supermarchés voient le jour et les publicités prennent d’assaut les décors
et les ondes. Les Baby-boomers sont déjà montés et en 1968 le tiers des
Français ont moins de 20 ans. Les jeunes font la tendance et s’imposent dans la
mode. Le statut de la femme, libérée d’une partie de ses tâches domestiques,
entame sa progression. La vitesse tue sur les routes (un des réseaux les plus
vétustes d’Europe) 11000 personnes et fait 230,000 blessés en 1962. De la
génération yéyé aux barricades du Quartier latin, l’insatisfaction rêve, cherche
ses voies et ses modes d’expression. Le foisonnement culturel et artistique est
à son comble.
Les Sixties sont riches d’une « thématique » et d’une
« mythologie ». On les trouve dans le Pop art, raillé et célébré dès
sa naissance, ubique dans l’industrie et la culture; chez Andy Warhol, « un
vrai rebelle, génial, inventif, underground et postmoderne », « l’artiste
le plus représentatif des années 1960, le plus complet, le plus
complexe… » Mais c’est éminemment la musique et les chansons qui portent
et transportent l’esprit de l’époque. Les jeunes rompent avec les codes coutumiers,
s’approprient l’univers par le rêve, s’écrient avec les Beatles : Revolution.
Le Rock’n roll, né aux Etats-Unis au début des années 1950, y remplace le
jazz procédant par emprunts multiples à diverses traditions. Il cesse en
quelques années d’être anglo-américain pour devenir universel, investir les
capitales de Paris à Tokyo en passant par Pretoria. Des troupes comme les
Beatles, les Rolling Stones, les Doors, les Who… révolutionnent la musique et donnent au genre ses lettres de noblesse. Le festival Woodstock, où Richie Havens et Jimmy Hendrix s’illustrent merveilleusement,
assemble 500 000 hippies, dure 3 jours (15-18 aout 1969) et réunit 32 groupes. Des idoles naissent. San Francisco et Londres s’imposent sur les cartes de
l’amour et de la liberté. Le Protest song passe de la lutte pour les droits
civiques (Bob Dylan) à l’accueil de la contre culture et débordera la décennie
dans l’opposition à la guerre du Vietnam. De nouvelles drogues circulent, de
nombreux chanteurs meurent d’overdose et
le terme psychédélique naît pour indiquer
la « fusion simultanée des
crypto-cultures de la drogue et de la musique ».
Ex-fan des sixties
Où sont tes années folles, nous chante toujours Gainsbourg.
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