BEYROUTH EXPLOSION DU 4 AOUT 2020, 18h |
Nous
avons beau succomber sous les gravats, nous ne serons pas apprivoisés. Ni
apprivoisés, ni serviles, ni monolithiques. C’est là notre différence, notre
continuité…Il nous reste à nous instituer, au sens de nous produire ou
continuer à nous produire dans ce qui a fait notre satisfaction et dont nous
avons été volés, sans bien sûr oublier notre participation plus ou moins consciente à l’escroquerie.
Des jours noirs nous attendent,
meurtriers même, nous en avons vu les présages. Beaucoup des nôtres, les jeunes surtout, quittent et
quitteront. Nous refuserons, comme le Socrate du Lachès parlant de ceux
qui sortent du rang des colonnes pour porter ailleurs le combat, de leur refuser la vertu du courage : nous savons qu’ils nous
rejoindront par mille biais.
Des
rapaces et des incapables, maniant avec dextérité les deux crimes, ne sachant que leurs
intérêts, ont distribué à leurs partisans, après prélèvement d’une copieuse
quote-part, les mannes d’un Etat dont ils ne se soucient guère, mais qui reste la
principale source de leur pouvoir. Leur pillage, pour être agréé par le système
communautaire, se multiplie par 3, 4, 6 ou 8. On a beaucoup décrit le mécanisme. Il
continue à fonctionner. Les critiques, le krach ne font rien. L’infâme banquet
se prolonge sur fond de cataclysmes.
Dans
ce qui suit, au milieu d’une surabondance de propositions, nous exposons une
feuille de route composée de trois points. Elle reflète de nombreux assentiments sans prétendre à l’unanimité.
Elle appuie sur les difficultés que trouve le soulèvement à s’unir et à
triompher : tâches épineuses et fascinantes. Elle dégage un acte de foi
dans le Liban face à ces idéologies hargneuses de gauche et de droite plus
habiles à diffuser leur ressentiment qu’à chercher des ouvertures sociétales,
et face à des bégaiements jetés en pâture par des mouvements politiques et/ou
communautaires aux plus fanatiques de leurs adeptes.
Le
premier point qui s’impose, c’est que le renouveau ne peut naître que du mouvement populaire qui se développe à
partir du 17 octobre 2019 et ne se cache que pour réapparaître. En sa teneur
négative, il dénonce la classe politique
dans son ensemble par le slogan le plus
tenace: « Tous, c’est tous ! » Face à lui, Celle-ci, plus que jamais infatuée
d’elle-même, ne renonce à aucun de ses
privilèges, persévère dans son incompétence et ses pratiques de brigandage.
Elle n’augmente que la dose de sa prêche hypocrite, ne trouve comme moyen à son
service que l’animosité et la division communautaires, méconnaît les exigences
de l’Etat de droit, voire de l’Etat tout court. Le mouvement populaire a montré
son attachement à l’unité du pays et à son indépendance, son appui
vigoureux à ce qui fait sa
substance : les libertés, le vivre
en commun, la fraternité à l’intérieur des frontières…Il est d’autant plus arrimé
à l’égalité citoyenne que les notables le sont aux clivages et aux divisions.
S’il est donc pragmatique que les chefs d’Etat les mieux intentionnés à
l’égard du Liban cherchent un modus vivendi entre les représentants des bandes,
ils doivent savoir qu’aucune réforme profonde n’en sortira.
Ce
qui précède accroît les responsabilités du mouvement populaire et de ses avant
gardes dans la quête du renouveau. Jusqu’à présent la
créativité des Libanais s’arrête au seuil du politique, soit qu’ils font preuve de fidélité inconditionnelle à leurs Zaïms («
Pourquoi, s’interroge pertinemment l’un d’eux,
tiennent-ils plus aux enfants de leurs chefs qu’aux leurs propres ? ») soit que leurs
meneurs se soient donné la facilité de solutions formelles, démagogiques, inadéquates,
iniques (laïcité jacobine inapplicable, Liban circonscription électorale unique
…)
L’unanimité ne manque pas autour
de quelques principes fondamentaux : « Le peuple est la source
des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté » (Préambule de la
Constitution) ; la discrimination communautaire source d’inégalités,
répressive de libertés personnelles et politiques, principale source de
corruption et d’Etat failli et soumis doit être abolie ; une loi
électorale équitable (assortie d’un contrôle des armes, finances et
information) est le point de passage de toute reconstruction du pays et de tout
renaissance. Mais le nouvel imaginaire radical doit tenir compte des
réalités du pays, des régions, des communautés, bref du pluralisme
caractéristique et équilibré du Liban. La tâche n’est pas facile. Une
décentralisation régionale élargie et des référendums à double majorité,
nationale et locale, viendraient à point
pour consolider les nouvelles institutions.
Si les réformes politiques sont au centre de
notre exposé et forment notre deuxième point capital, la condition pour y
parvenir (le 3ème de la feuille) est une révolution individuelle : l’accord
des collèges nés du soulèvement et incapables jusqu’à présent d’unifier leur
vision et leur action. Il faut aller au-delà des mégalomanies, des narcissismes
(plus proches, comme on l’a dit, de la haine que de l’amour de soi), des
visions partielles, des esprits de clan…Le chemin est ardu, il ne mettra jamais
fin aux contradictions, aux discussions, aux interrogations, aux doutes, à la
pensée critique.
Notre pays sera, comme toute
société moderne, une société fragile et sereine avec des modèles universels
incertains. Mais c’est le prix à payer par la liberté et l’indépendance, pour
l’égalité, la justice, la créativité et le bien vivre.
Publié in numero special L'ORIENT LITTERAIRE, septembre 2020
Publié in numero special L'ORIENT LITTERAIRE, septembre 2020
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