Nawaf Salam: Le Liban d’hier à demain, Sindbad/Actes Sud-L’Orient des livres, 2021, 176pp.
Le soulèvement libanais du 17 octobre 1919, sa générosité, son refus de la corruption et du confessionnalisme, son omniprésence sur le territoire entier de la République, enfin son refus de l’ensemble de la classe politique ont propulsé le nom et la candidature de Nawaf Salam au poste de premier ministre d’un gouvernement d’indispensables réformes. L’homme, professeur et avocat, était connu pour ses initiativesdans la plupart des cercles rénovateurs de Beyrouth au tournant du siècleet pour ses contributions sur les sujets les plus épineux. Son ambassade auprès des Nations unies (2007-2017) fut suivie avec attention et confiance. Son mandat à la cour internationale de Justice de La Haye, depuis 2018, contribue à son aura. Le resurgissement actuel « des monstres » sur la scène politique nationale avec leurs conflits et impasses au milieu d’une conjoncture catastrophique nécessitait sans doute de s’adresser à « la génération de l’espoir », à lui dévoiler le « vaste champ du possible », à lui mettre sous les yeux les travaux de plus d’un quart de siècle continuellement repensés et mis à jour.
Le Liban d’hier à demain n’est pas seulement un appel aux réformes, à des réformes amples et radicales; il les justifie en raison, les ancre dans l’histoire. D’où son côté éminemment éducatif. A cela on peut ajouter plusieurs traits liés : la modération, les tentatives de neutre objectivité, le plaidoyer permanent pour les jeunes et les femmes, le parti pris institutionnel surmontant luttes et partages factionnels. Le propos ne cherche pas une originalité retentissante. Il se veut une synthèse distinctedes thèses en cours, accueillant les plus pertinentes, nuançant les plus abruptes, leur cherchant des homologies dans le monde contemporain comme dans sa prospection d’un système électoral adéquat, fouillant les généalogies historiques en des temps reculés (les communautés) ou plus près de nous dans cette actualité qui ne cesse de nous écharper (guerre, accords, impasses). L’auteur déploie une vaste érudition, s’en autorise pour étayer ses observations et opinions, en profite pour étoffer des concepts et pondérer des analyses.
Le traitement de la crise financière et la construction d’une économie moderne sont vitales. Elles passent par la centralité de la réforme politique, l’édification d’une dawla Madaniyya « qui s’appuiera sur les valeurs d’égalité, de liberté et de justice sociale, et non sur le confessionnalisme, le clientélisme et les passe-droits. » La société libanaise est plurielle, multiconfessionnelle. Elle appelle un système ouvert qui accorde et harmonise sa richesse. Le régime confessionnel l’a fragilisée. « Le drame des Libanais reste d’être des citoyens empêchés dans un État inachevé. » Salam énumère un à un les défauts du confessionnalisme ; il en recense dix qui portent atteinte soit au citoyen, soit à l’Etat. Persévérer dans ce système ou essayer de l’améliorer sont d’une complète inutilité. Ce à quoi il faut parvenir, c’est inverser les termes de l’équation : « Il ne s’agit ici ni d’un État à construire contre les communautés, ni d’un État qui soit seulement toléré par elles, mais plutôt d’un État capable de les contenir et de les transcender. »
L’accord de Taëf a esquissé des solutions pour parvenir à la suppression du confessionnalisme affirmée dans le préambule de la constitution. Elles n’ont pas trouvé voie à l’application : Bicaméralisme ; administration déconfessionnalisée ; décentralisation administrative ; indépendance de la magistrature ; loi électorale adéquate … On lui doitd’avoir fait taire les canons. Mais en raison de sa déformation, de son application partielle, des hégémonies extérieures et du rôle dévolu aux milices de la guerre…il n’a pu mettre le Liban sur la voie de la reconstruction étatique. « À la lumière de l’expérience passée, il est bien douteux que cela puisse encore se faire rien qu’en remettant Taëf sur les rails. » La véritable déconfessionnalisation sera donc tributaire de l’émergence et du développement de nouvelles forces sociales et de nouveaux groupements politiques, à caractère non confessionnel. Le plan par étapes de la déconfessionnalisation prévu par la Constitution ne pourrait être qu’un reflet du développement de telles formations au Liban.
En attendant l’émergence ou plutôt la consolidation de telles forces, il est nécessaire de se pencher sur des dysfonctionnements de la constitution, certains anciens, d’autres nés des amendements de 1991. Sans remédier aux imperfections de Taëf, on condamne l’Accord à une mort lente mais sûre, « alors qu’il constitue toujours le fondement de la paix civile au Liban. » Il faut éviter ces blocages qui ne cessent de se répéter et qui trouvent leur source dans des imprécisions constitutionnelles, dans des déséquilibres à redresser, dans des failles à combler…La liste de Salam est convaincante et tous les litiges cités ont abouti soit à la paralysie de l’Etat soit à des dénouements à ses détriments et à ceux de ses principes fondateurs. Il est d’un grand intérêt de revenir au détail des dilemmes comme à celui des solutions proposées. L’auteur se fait fier de rechercher non une redistribution du pouvoir entre les diverses confessions, mais un renforcement du rôle des institutions constitutionnelles fût-ce aux dépens des prérogatives dont jouissent leurs titulaires à titre individuel ou communautaire. Seule la « raison des institutions » doit prévaloir.
Le livre de Nawaf Salam embrasse plusieurs champs pratiques et théoriques. Dense, souvent méticuleux, il est servi par une mise en pages aérée et reposante. La voie pour dégager le Liban de ses impasses et de ses monstres est encore ardue. Mais nous éclairent désormais des lumières et des itinéraires.
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