J.-B. Pontalis: Le songe de Monomotapa, Gallimard, 2009, 166p.
Après deux ouvrages consacrés à la fraternité (Frère du précédent, 2006) et à l’amour (Elles, 2007), le nouveau livre de Pontalis, qui emprunte son titre à une fable de La Fontaine impliquée dans un souvenir partagé, porte sur l’amitié et semble clore un triptyque. Le sujet traité n’est pas le plus facile pour un psychanalyste : pèse sur lui, en effet, un «quasi-silence freudien, et presque rien depuis ». L’auteur rapporte que le thème a été souvent envisagé comme sujet de numéro pour La Nouvelle Revue de Psychanalyse qu’il a créée et animée ; mais si le projet n’a jamais vu le jour, c’est peut être qu’obscurément l’équipe de rédaction pressentait que l’approfondissement de ce qui la liait menaçait sa cohésion. La rupture serait-elle donc au bout de l’amitié sommée de livrer ses secrets ? L’ouvrage ne sous-estime pas les obstacles (dont cette « illusion » : accéder à la vérité de l’ami), mais se veut un acte de foi en son objet même.
Pontalis est né en 1924. C’est donc à l’âge de 85 ans qu’il achève ce livre serein et si mature mais où la sève n’est jamais en panne et où l’agilité de l’esprit s’avère entière. Pour délimiter son champ et différencier l’amitié de l’amour, il met en relief la prétention (impossible) du second à la « plénitude de la satisfaction » et son destin à vivre de cette insatisfaction même; l’amitié, elle, serait plus modeste et n’exigerait pas totalité ou perfection ; elle détiendrait « ce privilège d’ignorer les intermittences du cœur comme les tourments de la passion amoureuse » ; mais le glissement de l’un à l’autre reste possible surtout entre un homme et une femme. Tous deux dépaysent donc et portent hors de soi, mais l’amitié le fait à un degré moindre. Mais à elle l’avantage d’être toujours réciproque, alors qu’il vit principalement dans un « décalage horaire » et en des temps différents.
Avec une attention particulière aux mots venue tout autant de la psychanalyse que de la longue fréquentation de la chose littéraire, et une qualité de réflexion acérée par la formation philosophique, Pontalis renouvelle ses précédentes performances: commettre un petit livre attachant, vivant, plein d’enseignements et d’interrogations, un écrit où s’effacent bien des frontières, celles qui séparent les domaines précités, celles qui délimitent vécu et lectures, celles qui coupent un récit de ses enseignements, celles qui éloignent le vagabondage de la recherche planifiée… On peut mesurer de multiples façons les dimensions d’un livre. Celui-ci, si succinct, devrait l’être par la peur éprouvée par le lecteur à le terminer ou à finir chacun de ses courts chapitres.
Topographie des domaines de l’amitié (les hommes et les lieux, la camaraderie de parti scellée par un pacte secret, les collègues de travail, les compagnons imaginaires…), de ses âges (l’adolescence est l’une de ses meilleures saisons, mais toutes les périodes y sont favorables), de ses durées (longue ou « l’espace d’un instant »), de ses péripéties (naissance et dissolution ou possible passage à l’inimitié) et de ses formes ( les partis pris de dire, de ne pas dire, de tout dire…); fragments de journal des relations d’une vie ( des premiers amis rencontrés dans la lecture de ce qu’on appelait alors des albums à la tristesse ressentie par ce qu’ont de répétitif les réunions de vieux copains) ; portraits d’amis célèbres (J.P. Vernant ; Jean Pouillon ; Michel Cournot ...) ou inconnus ; notes et commentaires de lectures littéraires (l’amitié qui outrepasse les classes sociales chez Tolstoï ) ; tentatives pour saisir ce qu’a en propre la Philia; récits pourvus d’une logique propre et ménageant un suspense particulier, association libre d’idées, variations et /ou improvisations sur un thème rendu musical…Le livre de Pontalis, bien tissé pour utiliser un terme qu’il affectionne, soulève nombre de questions qu’il laisse non résolues, ce qui ne contribue pas peu à son élégance et à sa fraîcheur. Il est courant d’associer maturité et achèvement. Un tel écrit incite à penser que la maturité est dans l’inachèvement.
L’amitié, en cet ouvrage, installe sa scène sur un arrière fond et la monte sur un sol. L’arrière fond est la mort, une mort désormais à l’horizon du quotidien, mais que l’ami, comme elle venu d’ailleurs, aide à affronter. Le sol est l’écriture car non seulement elle est le milieu naturel et culturel où se meut notre auteur-éditeur, mais elle est le tissu même dont sont nouées ses rencontres et relations, voire l’être fondamental de ses amis. Réciproquement, « qu’est-ce que je cherche en écrivant un livre ? » sinon à faire d’un inconnu « un ami intime ».
Nous sommes désormais proches de Blanchot (L’entretien infini, 1969 ; L’amitié, 1971) cité une seule fois, mais encore loin du Derrida de Politiques de l’amitié (1994) qui met en épigraphe le mot « tres-familier » d’Aristote selon Montaigne : « O mes amis, il n’y a nul amy ». A l’exception du récit du lien Freud-Fliess rapporté et analysé, Pontalis lisse l’amitié en amoindrissant ses ambitions et en édulcorant ses orages. C’est là un parti pris… qui nous a procuré d’excellents moments.
Après deux ouvrages consacrés à la fraternité (Frère du précédent, 2006) et à l’amour (Elles, 2007), le nouveau livre de Pontalis, qui emprunte son titre à une fable de La Fontaine impliquée dans un souvenir partagé, porte sur l’amitié et semble clore un triptyque. Le sujet traité n’est pas le plus facile pour un psychanalyste : pèse sur lui, en effet, un «quasi-silence freudien, et presque rien depuis ». L’auteur rapporte que le thème a été souvent envisagé comme sujet de numéro pour La Nouvelle Revue de Psychanalyse qu’il a créée et animée ; mais si le projet n’a jamais vu le jour, c’est peut être qu’obscurément l’équipe de rédaction pressentait que l’approfondissement de ce qui la liait menaçait sa cohésion. La rupture serait-elle donc au bout de l’amitié sommée de livrer ses secrets ? L’ouvrage ne sous-estime pas les obstacles (dont cette « illusion » : accéder à la vérité de l’ami), mais se veut un acte de foi en son objet même.
Pontalis est né en 1924. C’est donc à l’âge de 85 ans qu’il achève ce livre serein et si mature mais où la sève n’est jamais en panne et où l’agilité de l’esprit s’avère entière. Pour délimiter son champ et différencier l’amitié de l’amour, il met en relief la prétention (impossible) du second à la « plénitude de la satisfaction » et son destin à vivre de cette insatisfaction même; l’amitié, elle, serait plus modeste et n’exigerait pas totalité ou perfection ; elle détiendrait « ce privilège d’ignorer les intermittences du cœur comme les tourments de la passion amoureuse » ; mais le glissement de l’un à l’autre reste possible surtout entre un homme et une femme. Tous deux dépaysent donc et portent hors de soi, mais l’amitié le fait à un degré moindre. Mais à elle l’avantage d’être toujours réciproque, alors qu’il vit principalement dans un « décalage horaire » et en des temps différents.
Avec une attention particulière aux mots venue tout autant de la psychanalyse que de la longue fréquentation de la chose littéraire, et une qualité de réflexion acérée par la formation philosophique, Pontalis renouvelle ses précédentes performances: commettre un petit livre attachant, vivant, plein d’enseignements et d’interrogations, un écrit où s’effacent bien des frontières, celles qui séparent les domaines précités, celles qui délimitent vécu et lectures, celles qui coupent un récit de ses enseignements, celles qui éloignent le vagabondage de la recherche planifiée… On peut mesurer de multiples façons les dimensions d’un livre. Celui-ci, si succinct, devrait l’être par la peur éprouvée par le lecteur à le terminer ou à finir chacun de ses courts chapitres.
Topographie des domaines de l’amitié (les hommes et les lieux, la camaraderie de parti scellée par un pacte secret, les collègues de travail, les compagnons imaginaires…), de ses âges (l’adolescence est l’une de ses meilleures saisons, mais toutes les périodes y sont favorables), de ses durées (longue ou « l’espace d’un instant »), de ses péripéties (naissance et dissolution ou possible passage à l’inimitié) et de ses formes ( les partis pris de dire, de ne pas dire, de tout dire…); fragments de journal des relations d’une vie ( des premiers amis rencontrés dans la lecture de ce qu’on appelait alors des albums à la tristesse ressentie par ce qu’ont de répétitif les réunions de vieux copains) ; portraits d’amis célèbres (J.P. Vernant ; Jean Pouillon ; Michel Cournot ...) ou inconnus ; notes et commentaires de lectures littéraires (l’amitié qui outrepasse les classes sociales chez Tolstoï ) ; tentatives pour saisir ce qu’a en propre la Philia; récits pourvus d’une logique propre et ménageant un suspense particulier, association libre d’idées, variations et /ou improvisations sur un thème rendu musical…Le livre de Pontalis, bien tissé pour utiliser un terme qu’il affectionne, soulève nombre de questions qu’il laisse non résolues, ce qui ne contribue pas peu à son élégance et à sa fraîcheur. Il est courant d’associer maturité et achèvement. Un tel écrit incite à penser que la maturité est dans l’inachèvement.
L’amitié, en cet ouvrage, installe sa scène sur un arrière fond et la monte sur un sol. L’arrière fond est la mort, une mort désormais à l’horizon du quotidien, mais que l’ami, comme elle venu d’ailleurs, aide à affronter. Le sol est l’écriture car non seulement elle est le milieu naturel et culturel où se meut notre auteur-éditeur, mais elle est le tissu même dont sont nouées ses rencontres et relations, voire l’être fondamental de ses amis. Réciproquement, « qu’est-ce que je cherche en écrivant un livre ? » sinon à faire d’un inconnu « un ami intime ».
Nous sommes désormais proches de Blanchot (L’entretien infini, 1969 ; L’amitié, 1971) cité une seule fois, mais encore loin du Derrida de Politiques de l’amitié (1994) qui met en épigraphe le mot « tres-familier » d’Aristote selon Montaigne : « O mes amis, il n’y a nul amy ». A l’exception du récit du lien Freud-Fliess rapporté et analysé, Pontalis lisse l’amitié en amoindrissant ses ambitions et en édulcorant ses orages. C’est là un parti pris… qui nous a procuré d’excellents moments.
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