Monday, 6 April 2009

AVA GARDNER: LA FEMME QUI INTERPRETA SA VIE





















Lee Server : Ava Gardner, Biographie, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Charles Provost, Presses de la cité, 612pp, 2008.

La biographie fournie et bien documentée, « la plus exhaustive à ce jour », que Lee Server vient de consacrer à Ava Gardner commence et se termine par la description de son enterrement sous la pluie en 1990 et l’évocation des parapluies noirs autour du cercueil. Mention obligée à l’un de ses plus célèbres films, La comtesse aux pieds nus, mais signe aussi de l’unité profonde de sa vie et de ses films car plus peut-être qu’aucune autre déesse de l’écran, Ava s’est laissée être, passant du vécu quotidien, où elle se sentait « plus vivante » après le coucher du soleil, à ses plus grands rôles avec un naturel simple et tout de charme, emmenant d’un registre à l’autre sa beauté parfaite, sa fragilité inquiète et cette soif sans artifice et sans frein de la vie et de l’amour.

Ava Gardner venue de nulle part (née en Caroline du Nord en 1922), sans éducation ni expérience, a fait des apparitions cinématographiques dès 1941. Mais c’est en ‘femme fatale’ dans The Killers (1945) de Robert Siodmak où débutait Burt Lancaster, qu’elle ‘creva’ l’écran et dépassa d’un coup toutes « les beautés du mal » des précédents films noirs. « La douce complexion ivoire de sa peau » était d’une blancheur si pure qu’elle servit à régler tout l’éclairage de l’œuvre et à en éliminer tous les demi-tons gris entre la lumière et le noir.

Après quelques films où ses interprétations se firent plus convaincantes sans lui enlever totalement ses doutes sur son métier d’actrice, un metteur en scène amoureux l’amena à une terre et à un rôle. La terre, c’est l’Espagne des corridas, des toréadors, du flamenco…à laquelle elle resta longtemps liée dans sa vie comme dans ses films et qui, par ses deux respirations sensuelle et mystique, épousait si bien sa beauté et ses audaces. Le rôle, c’est celui de son existence même : disponible, accueillante et pourtant inaccessible ; universellement convoitée mais insatisfaite et toujours en quête. Albert Lewin avec Pandora and the Flying Dutchman (1951) a créé une légende et un film culte même si les opinions sur l’œuvre ont divergé, les anglo-saxons étant fort réservés, la critique parisienne acclamant sa beauté visuelle, son onirisme et ses allusions provocantes.

The Barefoot Contessa de Joseph Mankiewicz venait trois ans plus tard étendre et approfondir dans un cadre semblable le même rôle et le même personnage : il narre, à partir de sa fin tragique et de multiples perspectives, l’itinéraire de Maria Vargas, danseuse dans un cabaret madrilène appelée à évoluer dans le monde si cruel du cinéma et des grandes fortunes sans renoncer à sa fière liberté, à sa sauvage innocence et à la recherche de l’amour absolu. Par sa seule présence charnelle et un visage propre aux inquiétudes par son angélisme et sa volupté, l’actrice compose d’instinct son propre rôle, usant plus profondément de l’inspiration et de la divination que des tours du métier.

Nous avons mentionné les films construits pour Ava Gardner à partir de sa vie. Mais nombre de ses rôles de Mogambo (1953) à The sun also rises (1957) tiré du roman de son ami Hemingway dont elle partagea nombre de ses passions sur les terres de Castille et de Catalogne firent le délice des spectateurs et lui donnèrent une énorme popularité. Le biographe raconte comment Bhowani Junction (1956) de George Cukor dont certaines séquences sont toujours éblouissantes et où Ava se dépassa dans le rôle sensible et érotique de l’anglo-indienne Victoria Jones était un film exceptionnel à tous points de vue et comment les coupes et les modifications de Hollywood le dénaturèrent.

A partir de 34 ans, âge fatidique pour une star américaine de l’époque, le vieillissement, l’alcool, une vie d’excès et de débauche, l’absence de vanité et de soins, entament la perfection plastique d’Ava. Une blessure au visage due à une chute de cheval la tourmente et lui fait craindre caméras et journalistes. Mais pas une de ses apparitions sur l’écran dans des navets ou des films moyens qui ne les ait illuminés à un degré ou à un autre. Il lui restait cependant, comme à Titien, Chateaubriand ou Turner de connaître une dernière faste époque. Elle la dut à John Huston qui démêla dans son charme mature, « son mélange de sex-appeal, de tristesse et d’agressivité » le personnage dont il a besoin pour The Night of the Iguana (1964) ; Le Mexique remplaçait alors l’Espagne. Deux autres collaborations s’ensuivirent.

Pourquoi lit-on une biographie d’actrice ? A supposer qu’Ava appartienne au groupe, nullement pour ses litanies de liaisons dont l’une (la relation avec Sinatra) fut nommée ‘l’idylle du siècle’. Peut-être pour tenir le collier dont Flaubert disait que ce qui le faisait, c’était le fil et non les perles. Probablement pour prolonger les films vus dans les arcanes de la vie. Et, pourquoi pas, pour pouvoir citer ces mots mis par Houston dans la lettre posthume du Judge Roy Bean (1972) à Lily Langtry alias Ava : “ Si j’ai été un gentleman sur cette Terre, c’est bien grâce à vous ! J’ai l’honneur de vous avoir adoré. »

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