Dominique Fernandez: Palais Sursock Beyrouth, Préface de Yvonne Sursock Lady Cochrane, Photographies de Ferrante Ferranti et Mathieu Ferrier, Philippe Rey, Paris, 2010.
Il est une phrase de ce somptueux ouvrage qui fait courir un froid dans le dos : « Dieu seul sait ce qu’il adviendra de cette propriété, encerclée de plus en plus par d’ignobles tours(…)Elle constitue encore le seul espace vert du quartier(…)Mais elle demeurera dans le souvenir de ceux qui l’ont connue, l’image d’une époque où la civilisation et l’art de vivre faisaient partie du quotidien. » Elle figure aux dernières lignes de la préface de Lady Cochrane, héritière en troisième génération du domaine, et dont, depuis des décennies, « l’extraordinaire vitalité se fond miraculeusement dans le silence moelleux de sa demeure… », comme dit Dominique Fernandez dans un texte où l’envoûtement quasi religieux ne gomme jamais l’esprit critique. On pensait le livre un No Trepassing, serait-il un Adieu ou un prélude à Autant en emporte la Spéculation ? Les Libanais assisteront-ils comme à une fatalité, dans quelques décades ou quelques années, à la disparition du plus prestigieux palais de Beyrouth ou sauront-ils, Etat et citoyens ensemble, le défendre becs et ongles ? Ce livre est le meilleur plaidoyer pour une maison et un jardin qui, pour avoir été longtemps réservés à une élite, sont désormais inscrits au patrimoine de chacun.
Les Sursock n’appartenaient pas aux 7 familles, plus ou moins légendaires et toutes grecques orthodoxes, de Beyrouth. On relate même qu’à l’origine, on les snoba. Mais ils s’imposèrent vite comme les plus munificents, les plus attachés aux arts et aux raffinements de la vie et de la culture, et ils donnèrent leur nom au plus aristocratique quartier d’Achrafieh. Recevant les puissants de l’empire ottoman et du mandat français, ils eurent cette singularité au Liban de ne point s’occuper directement de politique (cela les conduisit, par contre, à « l’irresponsabilité » dans la vente des terres en Palestine ). Mais ils utilisèrent leurs relations pour prendre directement en main la municipalité de Sofar et donner à ce village un plan directeur qui, un siècle plus tard, en fait l’une des plus belles villégiatures de la Montagne.
Le Palais fut construit en 1850 par Moussa Sursock (1815-1886) qui s’y installa retour d’Egypte, sur les instances de son épouse Anastasia Dagher. Bâti sur une ancienne nécropole et donnant de haut sur la Méditerranée, il serait l’œuvre de maîtres maçons et non de grands architectes, ce que mettent en doute certains éléments de construction importés, en l’absence d’archives. Blanc à l’origine comme on le voit sur les photos de l’Avant guerre mondiale, Donna Maria Serra de Cassano, épouse Alfred Sursock, et mère de l’actuelle propriétaire, l’a fait recouvrir d’un enduit brun. Concentrée sur un hectare, la propriété réunit la presque totalité de la flore méditerranéenne.
La maison vaut moins par les chefs d’œuvre artistiques qu’elle recèle (a l’exception des Daoud Corm, Habib Srour, Alfred Sursock…la plupart des toiles sont de l’école de… ou attribuées à…) que par une atmosphère unique où les tapis de Turquie et de Perse, les tapisseries des Flandres, les boiseries de Damas, les cristaux de Bohême, les plafonds et les colonnades…dégagent une harmonie dont se sont nourries, sans l’égaler, la plupart des belles demeures libanaises. Fernandez affirme qu’elle fait penser à Henry James par son côté « feutré, mystérieux, crépusculaire » et à Marcel Proust pour la haute noblesse et la domesticité. Mais d’autre références plus justes seraient à trouver.
Il faut rendre enfin hommage à la photographie de Ferrante Ferranti et de Mathieu Ferrier pour le détail et le jeu de lumière de leurs prises. Comme il faut dire le plus grand bien du chemin de fer de Louise Brody (Conception et mise en page) qui vous familiarise avec une architecture complexe et vous guide par la main dans son dédale. Vous pénétrez par la porte sud qui donne sur la rue et vous montez les étages pour retrouver la façade Nord qui donne sur le jardin et la mer. Quant à l’escalier central, il ne peut qu’évoquer le film de Welles, The Magnificent Ambersons et toute la symbolique baroque à laquelle il s’attache.
Les Sursock qui ont tant fait pour aider les Libanais à se définir dans leurs goûts méritent qu’on défende vigoureusement leur patrimoine.
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