Le Liban est-il un mythe
ou une réalité ? ou un État schizophrène passant continuellement du rêve
d’être une république distincte par ses élites et son peuple et digne comme
telle de veiller aux destinées des nations à la réalité d’une entité incapable
de se gouverner elle-même et toujours en quête d’une puissance ou d’un
consensus international qui lui apportent de l’extérieur la paix, l’intégrité
du territoire et la sécurité ? Dans le livre composé par lui pour rendre
compte des deux années de présence du
Liban au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies comme membre
non permanent et comme représentant de
la communauté des États arabes (il fut élu pour les années 2010-2011, le 15 octobre 2009 par 180 voix sur 193, succédant
à la Lybie 2008-2009 et au Qatar 2006-2007 et retrouvant un siège qu’il occupa
en 1953-1954), l’ambassadeur Nawaf Salam relate la question telle qu’elle se
posa en termes d’opportunité politique à l’approche de la candidature du pays
au siège onusien alors que l’ élection était déjà acquise suite aux appuis et
aux ralliements. « Certains hommes
politiques libanais, relayés par bien des analystes et des éditorialistes, ont
appelé le gouvernement à retirer la candidature du Liban sous prétexte qu’il
n’avait aucun intérêt à faire partie du Conseil de sécurité car cela ferait de
lui un objet de pressions facile et approfondirait ses dissensions internes (…)
Telle fut aussi l’attitude de quelques grandes puissances qui intervinrent
auprès des responsables de Beyrouth pour revenir sur une candidature posée en
1996 et qui avait fait son chemin en ralliant à elle les pays arabes (1997),
le groupe asiatique et l’organisation du congrès islamique (2008). Elles
affirmaient que le siège convoité ne serait d’aucune utilité au Liban et peut
être craignaient-elles que sur des dossiers sensibles il s’écarte de leurs
intérêts ou positions. » Mais se ranger de ces avis, poursuit Salam, « ne
signifiait rien de moins, pour le concert des nations, que l’un des termes de
l’alternative suivante : ou bien le Liban est un État failli ou bien son
gouvernement est d’une totale impuissance. » Pour l’avoir compris en
2009, les présidents Suleyman et Siniora « ont soutenu le projet
jusqu’à son terme, jusqu’à l’élection. »
l'ambassadeur Nawaf Salam parlant au nom du Conseil de Sécurité
Quel bilan tirer donc de l’occupation de ce siège pendant 2
ans? Salam ne nie pas « la pertinence de certaines craintes formulées
par ceux qui émettaient des réserves », mais pour ajouter que « toute
décision politique comporte avantages et désavantages ». Il enchaîne
en dressant l’inventaire suivant : « La présence du Liban au
Conseil de sécurité fut pour notre pays l’occasion de montrer à tous les États
du monde, et du haut de l’instance internationale suprême, qu’il est en train
de retrouver sa vitalité et de redevenir un état doté d’une politique étrangère
indépendante et capable de prendre part à l’élaboration des décisions internationales.
Alors que l’image dominante du Liban était celle d’un pays divisé, envahi,
repaire du terrorisme local et international, champ idéal pour ‘la guerre des
autres’, il devenait un acteur de plein pied. Il n’était plus un simple dossier
sur la table du Conseil de sécurité, mais devenait un décideur derrière elle. »
Confronté à l’idée que le Liban ne cessa pas durant cette
période d’être survolé quotidiennement par l’aviation militaire israélienne,
que les 2 résolutions 1559 (2004) et 1701 (2006), pour ne pas parler d’autres
plus anciennes, n’étaient pas pleinement appliquées et faisaient l’objet de
débats au sein du Conseil, l’ambassadeur -conforté par les arguments réitérés
dans ses discours et mémorandums qui tous insistent sur les droits
imprescriptibles du Liban, sur sa politique en faveur de l’application des
résolutions internationales, sur le consensus libanais vis-à-vis des questions
majeures, sur les agressions permanentes
d’Israël à tous les échelons- rétorque : « Les 2 années passées au
Conseil de sécurité ont permis à la délégation permanente du Liban d’exposer
son point de vue et de plaider sa cause directement, sans recours à des
intermédiaires, comme d’aider à amortir les pressions internationales qui
s’exerçaient parfois sur le pays. » Il narre comment le Liban fut à
cette époque objet d’attentions de bien des états et combien les émissaires
nationaux qui avaient besoin de sa voix pour les votes concernant leur cause venaient le solliciter, ce qui le pourvoyait d’ « d’une plus
value internationale. » Mais surtout il montre comment un certain
doigté diplomatique permettait, dans la question du Tribunal spécial pour le
Liban par exemple, de sauvegarder les principes du Droit tout en ménageant la
délicatesse du consensus (ou de l’absence de consensus) libanais sur le sujet
(détails in pp. 124-126 de l’ouvrage).
Le Liban jouirait-il d’une quelconque aura dans le monde
comme se plaisaient à le penser certains Libanais avant la guerre et même
au-delà et à quoi serait-elle due ? « D’une part, la crédibilité
du Liban est toujours très grande dans la plupart des pays arabes et la haute
qualification de ses diplomates continue à être reconnue par ces pays qui l’ont
souvent éprouvée dans les instances
internationales et ailleurs. D’autre part, le Liban, plus qu’un autre, a
l’oreille de bien des pays même occidentaux. » Puis il ajoute,
abordant une question de fond : « Comme le Liban est au centre
d’une région continuellement embrasée et comme c’est un petit pays et la proie éventuelle des visées d’Israël, il lui
est nécessaire de se doter d’une diplomatie agissante et de maintenir une forte
présence dans les instances internationales qui aident à le protéger et
viennent compléter la nécessité de renforcer son unité nationale et de développer
ses forces de défense. »
Quelles ont les faits marquants des années 2010-2011 et
quelle a été la politique libanaise à leur égard ? « Ce fut une
période riche en événements et intense en activités (réunions, visites sur le
terrain, déclarations et résolutions) de la part du Conseil de sécurité. Elle
fut prédominée par les questions arabes de la Palestine au Soudan en passant
par la Libye et la Somalie. Comme le Liban était le seul membre arabe du
Conseil, on peut imaginer l’ampleur de ses responsabilités et la variété de ses
interventions. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la place qu’y ont
tenues les questions thématiques et transnationales relatives à la préservation
de la paix dans le monde et des moyens de l’évaluer et de l’améliorer…Ainsi durant
sa première présidence du Conseil (mai 2010) la délégation libanaise consacra une séance
pour débattre du ‘dialogue des cultures pour la paix et la sécurité
internationales’ en raison de son expérience propre dans ce domaine et en
raison de l’importance qu’a prise cette question après le 11 septembre
2001 : images stéréotypées de l’islam, haines de l’Autre, déni du
pluralisme, du dialogue et de la tolérance. Durant sa seconde présidence
(septembre 2011), elle consacra un débat de haut niveau à ‘la diplomatie
préventive’ qui cherche non à endiguer les crises ou même à les résoudre mais à
les empêcher par une meilleure performance du Conseil dans leur dépistage, par
la collaboration intense avec les organisations régionales, par la
consolidation des liens avec les forces vives des diverses sociétés civiles. Le
Liban chercha, en conséquence, à réfléchir dans son activité ses
‘responsabilités internationales’ tout en cherchant à les concilier avec la
quête de ses propres intérêts et de ceux des autres pays arabes. »
« Outre les débats concernant le Liban, outre ceux
sur la Palestine qui fit l’événement à trois reprises (projet de résolution
contre la colonisation israélienne, agression des forces de l’état sioniste
contre la ‘flotte de la liberté’ qui se dirigeait vers Gaza, présentation de la
candidature de la Palestine aux Nations Unies), 3 questions litigieuses furent
au centre des discussions et des pressions. Le dossier nucléaire iranien et le
vote de nouvelles sanctions contre l’Iran (juin 2010) : Le Liban s’est
abstenu non seulement pour des raisons internes, non seulement parce que tel
était le climat arabe prédominant sur la question, mais parce que telles
étaient ses convictions sur ce point à savoir que le dialogue doit prévaloir
sur les sanctions, que tout le Moyen Orient doit être soustrait aux armes
atomiques et que chaque pays a droit à l’énergie nucléaire civile. Suite au
soulèvement libyen, le Liban a parrainé les résolutions 1970 et 1973 (mars
2011). Cette dernière se distinguant par l’appel à protéger par tous les moyens
les civils des bombardements, le Liban fit en sorte que son texte exclut expressément
toute occupation, sous n’importe quelle forme, d’un territoire libyen. Enfin la
« dissociation » du Liban
(août 2011) a rendu possible une déclaration du président du Conseil
désapprouvant les atteintes aux droits de l’homme en Syrie pratiquées à une
large échelle par le pouvoir ainsi que son usage de la force contre les civils.
Cette
notion de « Disassociation » qui dans sa version arabe de « na’î
bil nafss » fait couler beaucoup d’encre « a été utilisée pour la
première fois par la diplomatie chinoise en 1974 à l’heure où Pékin ne voulait
pas prendre partie dans le conflit frontalier irako-iranien. C’est une forme de
neutralité. En effet, une déclaration du président du Conseil de sécurité
requiert l’unanimité des 15 membres. En optant pour la
« dissociation », le Liban a ainsi permis à la déclaration exprimant
le consensus international de voir le jour sans devoir formellement s’y
rallier ; de même, en s’abstenant lors
du vote du premier projet de résolution concernant la Syrie, la priorité était
clairement donnée à l’unité et à la stabilité internes du pays. »
***
L’entretien avec Nawaf Salam pourrait être infini. Nous
avons passé outre bien des détails savoureux qui pourraient jeter des lumières
sur les ficelles diplomatiques et les termes propres à la profession. Après
tout ne vient-il pas de publier un ouvrage à justification éducative qui veut
faire bénéficier les prochaines générations de son expérience et de celle de
son équipe ? Mais pour toutes les précisions, il faut se reporter au livre
même qu’il vient de faire paraître.
Pour en revenir à la question posée au début de ce texte,
nous pouvons découvrir dans le bilan newyorkais comment des hommes de bonne
volonté peuvent transformer une semblance de schizophrénie en tâche à
accomplir, en problèmes à résoudre et en pôles à rapprocher par des chaînons intermédiaires,
si éloignés qu’ils soient. A la place maintenue et développée du Liban dans les
sphères internationales, il faut ajouter aux mérites de notre ambassadeur deux autres
vertus: l’action dépensée et inaperçue en faveur de la continuité de l’État (collaboration avec 3 premiers
ministres différents) et le savoir-faire déployé pour veiller à l’unité nationale.
Par les temps qui courent, ces vertus sont précieuses et rares
Le Liban au conseil de
sécurité 2010-2011 (Lubnân fî majliss al’amn 2010-2011), Sous la direction
de Nawaf Salam, Dar al Sâqî, 2013.
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