Joseph
Noujaim prenait un soin particulier de ses recueils, mais ils étaient depuis
longtemps introuvables en librairie. Il voit, plus de trente après sa mort, son
œuvre poétique réunie grâce à un nombre de fidèles dont le préfacier Joseph
Sayegh. (Shi‘r Joseph Noujaim, Dar Nelson, 2014, 416pp.) L’événement mérite
d’être signalé, s’agissant d’un poète authentique et d’une voix originale et
classique.
Noujaim est né à Cana (Sud Liban) et partagea
sa vie entre Beyrouth et Paris. Ses émissions radiophoniques nocturnes sur les
poètes et poétesses arabes restent mémorables ainsi que ses cours
d’enseignement. Son existence brève (1928-1983) fut dominée par l’accord avec
une œuvre exigeante vouée au culte de l’éros, des sens, de la femme (avec une
prédilection manifeste pour le vocable et le sujet « bint » (fille)),
de l’ivresse, de la poésie.
Sa
première œuvre est une tragédie en vers,
Absalon (1953) composée dans le sillage de Qadmous et surtout de Bint
Yaftah de Saïd Aql : sujet puisé dans la Bible, drame familial centré
sur l’amour et la révolte filiaux, mètres classiques, leçons de Racine et du
symbolisme français retenues...Cet écrit paraît pour la première fois en
ouvrage après ne l’avoir été à l’époque qu’en épisodes dans la revue Al
Hikma de Fouad Kenaan. Sont publiés ensuite les recueils Jassad
(Corps), 1960, Takht (Couche), 1969, Al Qasîda al mal‘ûna (Le
poème maudit), 1970, Banâtt (Filles), 1973. Un dernier recueil posthume
leur est aujourd’hui ajouté.
Le
projet mallarméen de « reprendre à la musique son bien » est commun
aux poètes de Rindala et de Jassad, mais pour le second la lune a
disparu et il ne reste que la nuit. D’où l’atmosphère sensuelle liée au mal et nourrie de transgression qui tend sa poésie et
taille dans des mètres arabes maîtrisés et l’élection d’affinités sonores son
parfait correspondant.
Dessin de César Gemayel illustrant Jassad
NOIR ET ROUGE
La nuit est seulement part
de ma confidence
J’en fais ostentation en
toute malfaisance
Seigneur de la route je m’enfouis
En perpétuelle déviance
J’ai accepté pour lieu
Le noir jeté sur ma
conscience
J’y puise des plaisirs
Criant ardents à ma
mouvance
Et l’ivresse saccage mes
nerfs
Par une coupe gorgée d’impudence
Servie par la générosité
de Dieu
Dans l’âge le plus rance
Biens relevant de l’invisible
Versés sur l’exubérance
La déité se met presqu’à la
traîne
Quand, en sacralité, la
souillure avance
Un univers en vues implore
grâce
Criant : « Monstrance! »
La mettre à nu est petit jeu
Sur couche en transe
Je la dégage de son âme
Et m’évanouis en turbulence
Je la couvre de baisers,
je la hume, je me jette
Sur un corps débordant d’insistance
Sur une chair de miel et
d’amertume
Sur un encens dont épuise
la fragrance
Hommage à ses seins !
Je suis comblé !
Dépouilles d’âme : Recherchez
délivrance!
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