P. Jean Sader A.M.O. : The Art of Saliba Douaihy (Edited
by Abb. Antoine Daou A.M.O.) Anglais/arabe, 213+107pp, Fine Arts publishing,
2015.
Ce n’est pas une invitation au ravissement, mais un vrai
ravissement que procurent les toiles de Saliba Douaihy (1910-1994) dans ce
livre consacré à son art et si bien illustré. Ce sont particulièrement
les pages 73-210 de la partie anglaise (l’ouvrage est en deux langues, ce qui
veut dire que les parties arabe et anglaise ne correspondent pas exactement) où
se donnent à voir des tableaux de la période abstraite, près de 200 œuvres, qui
forment un vrai musée imaginaire. On ne cesse de les parcourir dans les deux
sens, on n’arrête pas d’en découvrir l’unité et la richesse. Les tableaux différent
peu en variant beaucoup. Ils rivalisent dans l’éblouissement et le
renouvellement, imposent cette époque dans l’ensemble de l’œuvre et cette œuvre
dans l’histoire de la peinture.
La période abstraite commence en 1950 avec le départ de l’artiste
aux Etats-Unis, peut être en parallèle avec la destinée de Gibran, peut être
sur le conseil de Georges Schehadé qui lui « murmura » un soir
dans son atelier : « Saliba, le monde nous a dépassés de beaucoup, et
nous, nous nous contentions de raconter des histoires. » Pourtant à quarante
ans, le peintre né à Ehden, qui a fréquenté l’atelier de Habib Srour (1928-1932)
avant d’aller en France parfaire sa formation à l’Ecole Nationale Supérieure
des Beaux-arts à Paris (1932-1936) et de Paul Albert Laurens, s’est déjà taillé
une place de choix aux premiers rangs de
l’art pictural au Liban. Outre sa maîtrise des conventions de la représentation
classique, de la couleur comme du dessin, il fait preuve d’une originalité
certaine dans la saisie de l’homme (particulièrement le paysan) et du paysage
libanais comme l’attestent ses huiles d’alors. Une grande opportunité lui est
donnée dès son retour au pays, celle de peindre le plafond et les hautes parois
de l’église patriarcale de Dimane. La commande le conduit à voir grand, le replonge
dans ses sources montagnardes et pieuses, l’oblige à se confronter, pour chaque
scène religieuse, aux maîtres de la peinture occidentale, classiques ou baroques.
A l’intérieur d’un grand fer à cheval qui redouble le paysage de la vallée de
la Qadicha dans laquelle l’église est située et dont les couleurs ont retenu
les leçons du fauvisme, les grands moments évangéliques se retrouvent avec des
personnages surdimensionnés en drapés somptueux. Douaihy donne à la plupart des
traits libanais et les habille selon les coutumes locales. La synthèse est puissante
même quand elle n’est pas toujours originale. Elle confirme le peintre dans la voie
de la peinture religieuse ; il ne cesse de recevoir des commandes : St
Jean Baptiste de Zghorta (1955-1956), St Charbel de Annaya (1977), Notre Dame
des Cèdres à Brooklyn (1978), Eglise maronite de Youngstone (Ohio). Pour les
réaliser, il cherche continuellement à approfondir et étendre ses sources (art
byzantin, enluminures de manuscrits syriaques, arts antiques mésopotamien et
perse…), à renouveler l’art ecclésial maronite en « l’intégrant »
dans une « synthèse libanaise en général et proche orientale
byzantino-arabo-asiatique en particulier ». Sa quête le conduit, d’une
part à apprivoiser l’architecture de la lumière dans le vitrail (si les
bombardements guerriers nous ont fait perdre les réalisations de Annaya, celles
d’Amérique restent sauves), d’autre part à donner une place visuelle importante
à la calligraphie syriaque et coufique ; elle devient un élément essentiel
au carrefour de la tradition, de la rhétorique, du mysticisme et de la
modernité figurative et abstraite.
De la période libanaise à la période new-yorkaise
(1950-1975), y a-t-il rupture ? Toute référence à l’objet est abandonnée.
La coupure est forte, indéniable, évidente. Son ampleur lui a souvent été
reprochée sous le prétexte qu’il n’a cherché qu’à satisfaire un public
différent. Mais lui-même a toujours affirmé que de nombreuses personnes qui
ignoraient tout de ses travaux antérieurs repéraient, en voyant ses toiles, un
apprentissage dans l’art sacral et que les critiques qu’il recevait dans son
atelier parlaient d’une œuvre singulière « apportée par un artiste
d’orient ». En cela, Saliba Douaihy ne diffère pas des grands peintres
abstraits qui ont cherché à affirmer la présence du spirituel en leur
art et à rattacher leur travail à une vision religieuse ou métaphysique plus
vaste.
Une approche plus profane demeure
permise et elle prend appui sur des propos du peintre réunis en cet ouvrage. Ces
toiles, toutes à l’acrylique, peintes en touches larges à la brosse et parfois
à la main, sans titres parce que sans sujets, forment, dans leur unité et leur
foisonnement, un triomphe de la surface, un hommage à la couleur, une
célébration de la vue, un éloge de la vie. Si l’on peut parler de miracle
séculier, c’est pour caractériser la facilité (toute d’apparence) avec laquelle
Douaihy a pu construire un style abstrait, entre Mondrian et Rothko, mais
indépendant de chacun d’eux et bien plus génial que le Hard-edge painting.
Il ne se restreint pas à certaines couleurs et n’exclut pas les courbes. S’il « répète une
unique forme abstraite », il ne cesse de la casser dans la joie de
couleurs audacieuses, harmonieuses ou contrastées, et de produire les possibilités infinies de
ses configurations. Comme il l’affirme lui-même, « la précision n’est pas
réellement une question de géométrie, mais une question de lumière, d’équilibre
entre différentes intensités de lumière qui crée un mouvement interne en lequel
les surfaces semblent définies avec précision. »
Outre la période abstraite, à côté
d’elle, on trouve des tableaux revisitant les paysages libanais,
particulièrement Ehden et la vallée sainte. On gagnerait à les voir rassemblés,
à les confronter à ceux qui ont précédé le long séjour américain. Ils
réinvestissent l’abstraction dans le naturalisme et font un usage nouveau des
volumes et des surfaces sans perdre la couleur locale. Curieusement, ils sont parfois
préfigurés dans ceux de la fin des années 1940. Un grand artiste ne cesse de
bousculer les lignes, de se perdre et de se retrouver.
1 comment:
Très bon article sur Douaihy.
Je travaille pour une maison editoriale et on a besoin de trouver qui a les droits pour cette toile qu'appartient à lui, donc si vous pourriez nous aider nous serions très reconnaisants avec vous.
Le toile c'est en fait un portrait de Georges Schehadé qu'on a trouvé sur le site LibanPost: https://www.libanpost.com/english/georges-schehad
Je vous remercie par avance de votre réponse.
Mónica Fernández
e-mail:
foreignrights@uv.mx
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