Sunday, 9 October 2016

PALMYRE : LÉGENDES ANCIENNES ET CRIMES NOUVEAUX











Annie et Maurice Sartre: Palmyre Vérités et légendes, Perrin, 2016, 268pp.

          On a beau s’être rendu plusieurs fois à Palmyre, avoir lu des brochures et des livres sur son histoire, l’image en demeure floue suite aux superpositions de récits plus ou moins légendaires, souvent insérés dans des idéologies politiques ou des romans d’ambition et d’amour. Annie et Maurice Sartre, dont l’autorité n’est plus à démontrer sur l’Orient hellénistique et romain, ont publié, en 2014, Zénobie de Palmyre à Rome et ont suivi avec minutie les chemins du mythe de la souveraine guerrière particulièrement à partir de Pétrarque et du XIVème siècle. Henri Laurens en a dit tout le bien dans L’Orient littéraire (janvier 2015). Le présent ouvrage, Palmyre Vérités et légendes, écrit durant les affres de la guerre actuelle, se montre d’une parfaite et courageuse lucidité politique quant au régime encore en place et à ses pratiques. Son utilité et sa pertinence sont extrêmes. Il cherche à balayer les lieux communs tout en faisant partager l’état actuel des connaissances sur les questions les plus importantes. Il n’essaye de cacher ni les « ignorances » ni les « doutes » recouvrant des  périodes longues et des domaines entiers. Il s’acquitte de la tâche avec agrément jusqu’à la dernière page. Quant aux légendes charriées, elles vont de la Bible et de Pline l’Ancien jusque des ouvrages parus la veille et écrits par les plus éminents historiens.
          Le nom de Tadmor est attesté au début du IIème millénaire av. J.-C. ; sans doute, un toponyme présémitique. Mais les traces d’occupation humaine, que les eaux abondantes de la source Efqa expliquent, remontent au VIIème. De la préhistoire à la cité et des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs,  les sondages sont encore rares et les vestiges à trouver et à analyser.
          En l’absence de textes écrits et de traces des dieux honorés (indispensables pour définir les peuples de l’antiquité), l’origine des Palmyréniens n’est pas un problème simple. Ce sont des sémites avec un fond de population araméen « identique pour l’essentiel à la population sédentaire de la Syrie intérieure ». Une composante « arabe » (terme utilisé péjorativement par les Grecs et Romains pour les nomades) a pu s’y ajouter, et des emprunts de dieux et échanges matrimoniaux ont certainement eu cours. Mais la langue écrite à Palmyre reste l’araméen, en une variante locale avec une écriture propre, non l’arabe. Et pas de traces dans l’oasis d’inscriptions ou de dieux parthes et perses.
          Palmyre n’est pas une cité tampon entre les deux grands empires romain et parthe. Depuis l’an 17 ap. J.-C. au plus tard, elle est intégrée au premier et de nombreux empereurs s’y rendent, Germanicus fils de Tibère, probablement le premier, en 19. Sa langue officielle est le grec bien que l’araméen prédomine : plus de 3000 inscriptions contre près de 600 en grec et -« phénomène quasi unique » dans l’Empire- de nombreuses inscriptions bilingues, plus rarement trilingues. Comme dans toute la Méditerranée orientale, le latin n’est utilisé que dans l’armée et à titre privé par les administrateurs romains. Sous les Sévères (vers 212-214), à l’instar d’autres cités syriennes, Palmyre devient « colonie romaine », et obtient ainsi le statut juridique favorable du droit romain qui l’assimile au territoire de Rome et la fait jouir des privilèges de l’Italie : titre recherché et chichement accordé parce qu’il fait perdre des revenus au trésor impérial. Quelques décennies plus tard, elle acquiert le titre encore plus prestigieux de « métrocolonie », « mère des colonies » qui lui donne une prééminence sur les proches cités semblables.
          La structure « tribale » de Palmyre donne lieu pour les Sartre à la critique de Paul Veyne qui conçoit la cité sur le modèle des « villes arabes(…)La Mecque ou Médine du temps de Mahomet ». Le mot « tribu », même s’il sert à désigner des institutions très différentes et qu’on ne sait pas toujours en quel sens il est employé, ne se réfère pas uniquement ou principalement aux nomades. Par « tribus de Palmyre », les textes désignent « l’institution habituelle de répartition des citoyens d’une cité grecque ». « Civiques » pour les distinguer des « familiales », elles sont sédentaires, au nombre de quatre et leurs noms traditionnels n’ont pas grande importance. L’autorité de leurs grandes familles paraît reposer, tout à la fois, sur la richesse foncière et le contrôle d’un sanctuaire majeur. Palmyre, comme la plupart des villes de Syrie de l’époque possède l’organisation politique et administrative d’une Polis grecque.
          La « perle du désert » doit sa fortune à sa situation sur la route la plus directe entre la Méditerranée et les vallées du Tigre et de l’Euphrate. L’atout majeur de ses habitants est d’organiser techniquement la traversée du désert, de bien connaître les routes, d’élever chameaux et chevaux, d’entretenir de bons rapports avec les tribus nomades. L’anachronisme de  « république marchande » à l’italienne ne peut lui être appliqué.
          Odainath n’est pas sénateur de Palmyre, car la ville n’a qu’un conseil municipal ; il l’est de Rome. Il vainc les Perses et prend le titre de leur souverain, « roi des rois ». Assassiné en 267,  sa veuve Zénobie est « reine » en vertu de la victoire, mais ne l’est pas de Palmyre qui n’est pas un royaume. Etendant son pouvoir sur la Syrie, l’Arabie, l’Egypte et l’Asie mineure, elle ne cherche pas l’indépendance de sa cité ou un empire d’Orient, mais veut proclamer son fils âgé d’une dizaine d’années Imperator de Rome. Aurélien s’est imposé à la tête de l’empire en 270 par la force de ses troupes et n’est pas plus légitime. Eût-elle réussi, elle aurait eu le destin des « impératrices syriennes » dont la première fut l’émésienne Julia Domna épouse de l’africain Septime Sévère (193-211) et mère de deux empereurs. Mais en 272, Aurélien entreprend la reconquête, triomphe des Palmyréniens, capture Zénobie et l’emmène pour l’exhiber à Rome. Il ne détruit pas la ville comme on l’a prétendu, mais celle-ci ne retrouvera plus l’éclat des trois premiers siècles pour des raisons économiques propres à l’empire. Les routes du commerce passant au nord par Edesse et Nisibe devenaient moins éprouvantes que le désert.

          La dernière partie de Palmyre Vérités et légendes - en deçà des péripéties de la prise de la « perle du désert » par Daesh, des crimes et destructions de l’OEI, puis de la « libération » de la cité - pointe du doigt les pillages et barbaries du régime (la ville est l’une de ses 4 plus importantes prisons) et signale la collusion des  2 protagonistes(simulacres de combats, transfert des prisonniers et des archives des renseignements, ventes de pétrole…) Elle met à nu un comportement vindicatif, brutal et obscurantiste: « Une partie du riche patrimoine d’Alep a été détruit sciemment, volontairement, pour punir une ville rebelle…Le largage de barils de TNT sur le superbe musée de mosaïques de Ma‘aret en-Noman alors que l’attention du monde entier était tournée vers Palmyre, fin mai 2015, est un acte volontaire, calculé, sans aucune utilité militaire… » Elle dénonce « la destruction du système scolaire » par les Assad. Mais le livre entier ne cesse de clamer son amour pour la Syrie et sa passion pour l’intégrité de son patrimoine culturel.       

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