Annie et Maurice Sartre: Palmyre
Vérités et légendes, Perrin, 2016, 268pp.
On a beau s’être rendu plusieurs fois à Palmyre, avoir lu
des brochures et des livres sur son histoire, l’image en demeure floue suite
aux superpositions de récits plus ou moins légendaires, souvent insérés dans
des idéologies politiques ou des romans d’ambition et d’amour. Annie et Maurice
Sartre, dont l’autorité n’est plus à démontrer sur l’Orient hellénistique et
romain, ont publié, en 2014, Zénobie de Palmyre à Rome et ont suivi avec
minutie les chemins du mythe de la souveraine guerrière particulièrement à
partir de Pétrarque et du XIVème siècle. Henri Laurens en a dit tout le
bien dans L’Orient littéraire (janvier 2015). Le présent ouvrage, Palmyre
Vérités et légendes, écrit durant les affres de la guerre actuelle, se
montre d’une parfaite et courageuse lucidité politique quant au régime encore
en place et à ses pratiques. Son utilité et sa pertinence sont extrêmes. Il
cherche à balayer les lieux communs tout en faisant partager l’état actuel des
connaissances sur les questions les plus importantes. Il n’essaye de cacher ni
les « ignorances » ni les « doutes » recouvrant des périodes longues et des domaines entiers. Il
s’acquitte de la tâche avec agrément jusqu’à la dernière page. Quant aux
légendes charriées, elles vont de la Bible et de Pline l’Ancien jusque des
ouvrages parus la veille et écrits par les plus éminents historiens.
Le nom de Tadmor est attesté au début du IIème
millénaire av. J.-C. ; sans doute, un toponyme présémitique. Mais les
traces d’occupation humaine, que les eaux abondantes de la source Efqa
expliquent, remontent au VIIème. De la préhistoire à la cité et des
chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs, les
sondages sont encore rares et les vestiges à trouver et à analyser.
En l’absence de textes écrits et de traces des dieux
honorés (indispensables pour définir les peuples de l’antiquité), l’origine des
Palmyréniens n’est pas un problème simple. Ce sont des sémites avec un fond de
population araméen « identique pour l’essentiel à la population sédentaire
de la Syrie intérieure ». Une composante « arabe » (terme
utilisé péjorativement par les Grecs et Romains pour les nomades) a pu s’y
ajouter, et des emprunts de dieux et échanges matrimoniaux ont certainement eu
cours. Mais la langue écrite à Palmyre reste l’araméen, en une variante locale
avec une écriture propre, non l’arabe. Et pas de traces dans l’oasis
d’inscriptions ou de dieux parthes et perses.
Palmyre n’est pas une cité tampon entre les deux grands
empires romain et parthe. Depuis l’an 17 ap. J.-C. au plus tard, elle est
intégrée au premier et de nombreux empereurs s’y rendent, Germanicus fils
de Tibère, probablement le premier, en 19. Sa langue officielle est le grec
bien que l’araméen prédomine : plus de 3000 inscriptions contre près de
600 en grec et -« phénomène quasi unique » dans l’Empire- de
nombreuses inscriptions bilingues, plus rarement trilingues. Comme dans toute
la Méditerranée orientale, le latin n’est utilisé que dans l’armée et à titre privé
par les administrateurs romains. Sous les Sévères (vers 212-214), à l’instar
d’autres cités syriennes, Palmyre devient « colonie romaine », et obtient
ainsi le statut juridique favorable du droit romain qui l’assimile au
territoire de Rome et la fait jouir des privilèges de l’Italie :
titre recherché et chichement accordé parce qu’il fait perdre des revenus au
trésor impérial. Quelques décennies plus tard, elle acquiert le titre encore
plus prestigieux de « métrocolonie », « mère des colonies »
qui lui donne une prééminence sur les proches cités semblables.
La structure « tribale » de Palmyre donne lieu
pour les Sartre à la critique de Paul Veyne qui conçoit la cité sur le modèle
des « villes arabes(…)La Mecque ou Médine du temps de Mahomet ». Le mot
« tribu », même s’il sert à désigner des institutions très
différentes et qu’on ne sait pas toujours en quel sens il est employé, ne se
réfère pas uniquement ou principalement aux nomades. Par « tribus de
Palmyre », les textes désignent « l’institution habituelle de
répartition des citoyens d’une cité grecque ». « Civiques » pour
les distinguer des « familiales », elles sont sédentaires, au nombre
de quatre et leurs noms traditionnels n’ont pas grande importance. L’autorité
de leurs grandes familles paraît reposer, tout à la fois, sur la richesse
foncière et le contrôle d’un sanctuaire majeur. Palmyre, comme la plupart des
villes de Syrie de l’époque possède l’organisation politique et administrative
d’une Polis grecque.
La « perle du désert » doit sa fortune à sa
situation sur la route la plus directe entre la Méditerranée et les vallées du
Tigre et de l’Euphrate. L’atout majeur de ses habitants est d’organiser
techniquement la traversée du désert, de bien connaître les routes, d’élever
chameaux et chevaux, d’entretenir de bons rapports avec les tribus nomades.
L’anachronisme de « république
marchande » à l’italienne ne peut lui être appliqué.
Odainath n’est pas sénateur de Palmyre, car la ville n’a
qu’un conseil municipal ; il l’est de Rome. Il vainc les Perses et prend
le titre de leur souverain, « roi des rois ». Assassiné en 267, sa veuve Zénobie est « reine » en
vertu de la victoire, mais ne l’est pas de Palmyre qui n’est pas un royaume. Etendant
son pouvoir sur la Syrie, l’Arabie, l’Egypte et l’Asie mineure, elle ne cherche
pas l’indépendance de sa cité ou un empire d’Orient, mais veut proclamer son
fils âgé d’une dizaine d’années Imperator de Rome. Aurélien s’est imposé
à la tête de l’empire en 270 par la force de ses troupes et n’est pas plus
légitime. Eût-elle réussi, elle aurait eu le destin des « impératrices
syriennes » dont la première fut l’émésienne Julia Domna épouse de l’africain
Septime Sévère (193-211) et mère de deux empereurs. Mais en 272, Aurélien
entreprend la reconquête, triomphe des Palmyréniens, capture Zénobie et l’emmène
pour l’exhiber à Rome. Il ne détruit pas la ville comme on l’a prétendu, mais
celle-ci ne retrouvera plus l’éclat des trois premiers siècles pour des raisons
économiques propres à l’empire. Les routes du commerce passant au nord par
Edesse et Nisibe devenaient moins éprouvantes que le désert.
La dernière partie de Palmyre Vérités et légendes - en
deçà des péripéties de la prise de la « perle du désert » par Daesh,
des crimes et destructions de l’OEI, puis de la « libération » de la
cité - pointe du doigt les pillages et barbaries du régime (la ville est l’une
de ses 4 plus importantes prisons) et signale la collusion des 2 protagonistes(simulacres de combats,
transfert des prisonniers et des archives des renseignements, ventes de
pétrole…) Elle met à nu un comportement vindicatif, brutal et obscurantiste:
« Une partie du riche patrimoine d’Alep a été détruit sciemment,
volontairement, pour punir une ville rebelle…Le largage de barils de TNT sur le
superbe musée de mosaïques de Ma‘aret en-Noman alors que l’attention du monde
entier était tournée vers Palmyre, fin mai 2015, est un acte volontaire,
calculé, sans aucune utilité militaire… » Elle dénonce « la
destruction du système scolaire » par les Assad. Mais le livre entier ne
cesse de clamer son amour pour la Syrie et sa passion pour l’intégrité de son
patrimoine culturel.
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