« L’enjeu véritable
de toute lutte est la liberté opprimée, que cette oppression se nomme
colonialisme, occupation, despotisme personnel, qu’elle s’exerce par les
détenteurs de capitaux au dépens de la main d’œuvre ou qu’elle soit la domination d’une majorité
parlementaire qui abuse de son pouvoir. »
Michel Zaccour
(1896-1937): Liban d’aujourd’hui (Lubnân al-yawm), préface d’Henri
Zgheib, Editions de la Fondation Michel Zaccour, 2017.
Connaît-on assez Michel Zaccour ? 2 biographies lui
ont été consacrées, l’une en arabe par F. S. Akl et R. Honein, l’autre en
français par Alexandre Najjar (traduite en arabe et en anglais) ; un choix
de son périodique Al Maarad (1921-1936)
a été recomposé en 2 volumes dans la police et la mise en pages de l’époque
(1999). L’opinion a été alertée, mais il fallait approfondir. Ce que le présent
ouvrage - qui assemble une anthologie de ses articles, éditoriaux et discours,
enrichie d’une iconographie de belle qualité - met en relief, ce sont les
options personnelles d’un homme politique illustrées par son écriture et ses
interventions orales. « Un journaliste doublé d’un député », se
définissait-il lui-même à partir de 1929.
L’importance de Michel Zaccour est multiple. Elle est
d’abord dans le témoignage capital sur une période cruciale, qui pour être
proche n’en est pas moins peu connue : l’Etat du Grand Liban (1920-1926)
et la première décennie de la République libanaise (1926-1937). On ne veut pour
preuve de cette méconnaissance que la confusion que font les notes du livre
entre hauts commissaires et gouverneurs du Grand Liban (Trabaud, Vandenberg,
Cayla). Elle est ensuite dans l’engagement de Zaccour dans son époque qui ne se laisse
pas réduire aux clivages habituels et les bouscule tous, irrévérencieux et
droit. Elle est aussi dans le courage et la rigueur politique et morale d’un
patriote porté par un combat qu’il ne cesse de servir dans des péripéties confuses.
Elle est enfin (mais on pourrait ne pas s’arrêter là) dans l’art consommé d’un
journaliste et d’un tribun, écrivain véritable, qui sait aller à l’essentiel,
se servir de vers et de fables pour
délivrer son message et cibler son but.
Dès la promulgation de la charte du mandat syro-libanais
(24/7/1922), Zaccour écrit : « Nous appartenons au parti de la
République libanaise et à ceux qui réclament un président de la république
libanais et un gouvernement national dont l’allure s’accommode avec le
véritable mandat libre proclamé au nom de la France par M. Poincaré ». La
position est claire, même si elle est peu partagée par les Libanais d’alors, isolationnistes
ou irrédentistes : le Grand Liban est une entité indépendante de ses
voisins, étendant une Moutassarrifiyya autonome ; il doit être gouverné
par ses citoyens, aptes à lui choisir son régime et à l’administrer ; le
mandat de la France est de conseiller les Libanais et non de régir leur pays.
Zaccour est francophone et francophile, mais non aux dépens de l’indépendance
nationale ; il pense même que l’amitié
des Libanais pour la France doit être un argument supplémentaire en faveur de leur
autonomie. Il ne cesse, par ailleurs, d’insister sur « l’intérêt du
voisinage, des traditions, de la langue, de la fréquentation » avec les
Syriens dans le combat « loyal et fidèle » des deux pays pour l’indépendance.
« L’enfant terrible », comme l’appellent les
autorités françaises aux commandes, ne cesse d’instruire le procès du mandat.
Il lui reproche sa politique « expérimentale » et sans consistance,
si couteuse pour les habitants « en argent, en sang et en âmes ». Il
y voit un régime plus pernicieux que la colonie et le protectorat car il donne
l’illusion de l’indépendance et ne fait que déléguer le pouvoir de Paris à des
fonctionnaires envoyés sur le terrain. La mise en accusation ne ressort pas
seulement de la théorie ; elle
s’étend à chaque acte, nomination et décision contraires à la volonté
nationale. On peut citer en exemple sa campagne menée contre la fusion (’Idghâm
) ou création de tribunaux mixtes, composés de magistrats français et
libanais : « Que signifie l’ ’Idghâm ? il est plus proche
du remplacement des tribunaux nationaux par des tribunaux étrangers(…) »
Que reproche Zaccour au président Emile Eddé qui veut être
« un dictateur réformateur » et court-circuiter les débats
parlementaires qui font obstacle à sa politique? « La dictature ne peut
être utile à un pays sous mandat parce que le mandat est une forme de dictature
et que toute dictature qui se met à son ombre est faible et
squelettique… » (21/6/1936)
La notion de constitution peut servir de fil d’Ariane pour
comprendre la pensée politique de Michel Zaccour et il n’est pas fortuit que
son combat se soit associé au bloc destourien qui tire son nom de la loi
fondamentale (destour) qu’il cherche à réinstaurer. Au nom de ses principes
indépendantistes, Zaccour s’était insurgé contre la manière dont la
constitution de 1926 a été élaborée et contre les pouvoirs qu’elle accordait
à la puissance mandataire; il avait soutenu qu’elle devrait être discutée et
votée par une constituante libanaise élue dans ce but ou qu’au moins le conseil
représentatif en place tienne compte des requêtes des diverses parties
libanaises, ce qui n’a pas été le cas (4/11/1926 et 20/2/1927). Mais une fois
la constitution promulguée, notre homme sera toujours son ardent défenseur tout
en affirmant qu’elle peut et doit être amendée. Lors de sa suspension en 1932
par le haut commissaire français, il écrit : « La constitution est
l’emblème de la dignité nationale et le fondement de la liberté et de
l’indépendance… les Libanais dignes et honorables respectent leur constitution,
la défendent et n’acceptent pas sa substitution. » Avec les députés Farid
Khazen et Camille Chamoun, il adresse à Damien de Martel un mémoire demandant
« le retour à la vie constitutionnelle normale » (28/10/1934) ; puis
avec Hamid Franjié, il revendique « toutes ses attributions », un
traité avec la France et l’entrée du Liban à la S.D.N (2/3/1936).
Connaître Michel Zaccour incite à le connaître plus
profondément, à retrouver une intégrité, une dignité et une hauteur de vues qui
ne sont plus de mise dans le pays du cèdre, à respirer un air de liberté et
d’indépendance sans lesquelles point de salut…tout en se posant bien des
questions sur ce pays, son peuple et sa destinée.
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