Stéphane Malsagne: Sous
l’œil de la diplomatie française, Le Liban de 1946-1990, Préface de
Jean-Pierre Filiu, Geuthner, 2017, 338pp.
Le
titre de l’ouvrage n’est pas sans rappeler celui de Maurice Barrès, Sous
l’œil des barbares (1888), mais il n’y faut pas voir de sous-entendus. Le
livre de Stéphane Malsagne n’observe pas seulement près d’un demi-siècle
d’histoire libanaise, il éclaire aussi ceux qui en sont les témoins, les
diplomates français dont l’action participe souvent des événements. Né en 1970,
professeur d’histoire du Moyen-Orient à l’université de Versailles et à
Sciences-Po, l’auteur a signé un ouvrage remarqué sur Fouad Chéhab (Karthala-IFPO,
2011) et édité le journal au Liban du
Père Lebret[1].
Sa présente recherche bénéficie de l’ouverture des archives diplomatiques du
Quai d’Orsay relatives à notre pays jusqu’à la fin de la guerre en 1990. A
l’intérieur de cadres conceptuels solides, et tout en produisant une documentation
riche en faits et en chiffres, il réussit le pari de capter l’attention du
lecteur profane et d’entretenir un récit attachant malgré les traits sombres et
sanglants de nombreuses années retracées.
Une
fois dégagées de leur gangue mythique (celle qui les fait remonter à 1000 ans),
les relations franco-libanaises parviennent à garder leur charge symbolique et
émotionnelle. L’Etat du Grand- Liban fut proclamé par le général Gouraud le 1er
septembre 1920, mais l’indépendance de la République en novembre 1943, ainsi
que l’évacuation des troupes françaises achevée en 1946, ne sont pas allées
sans heurts avec la puissance mandataire. Il n’est jusqu’aux relations
diplomatiques entre les 2 pays qui n’aient été retardées, par le général De
Gaulle, en vue de l’obtention d’un traité d’État à État refusé par les
Libanais. Claude Cheysson, ministre des relations extérieures parle en avril
1983 de « culture commune » et affirme : « Le Liban fait
partie pour nous de notre famille » ; le président Gemayel va plus
loin: le pays du cèdre fait « partie intégrante du patrimoine
culturel français ». Cela explique, peu ou prou, pourquoi le Liban est le
seul pays arabe à n’avoir pas rompu avec la France suite aux guerres de Suez et
d’Algérie et pourquoi la France n’a jamais fermé son ambassade à Beyrouth aux
plus noires des journées d’affrontements et d’invasions. Dans son ampleur, la
question demeure : « Pourquoi la France cherche-t-elle coûte que
coûte à maintenir des relations privilégiées avec son ancien
Mandat ? »
Proclamation du Grand Liban par le général Gouraud, le 1/9/1920 |
Le
23 mai 1946, Armand du Chayla est le premier « Envoyé extraordinaire et
plénipotentiaire » de la France à Beyrouth. Il y reste jusqu’en 1952 assistant
à la guerre de Palestine, à l’armistice et à l’afflux des réfugiés (1948-1949),
représentant une France seule puissance occidentale bienveillante et amie
du Liban et ayant toujours « la cote d’amour » des Libanais, mais
méfiant à l’égard d’un président de la république qu’il présente comme chef de
« clan » responsable de la « stagnation » du pays.
L’ambassadeur est un diplomate ; il a rallié De Gaulle à Londres comme le seront ses
successeurs jusqu’à Hubert Argod
(1975-1979). Un rapport d’inspection évoque sa « dignité pleine de
simplicité et de gentillesse ». Il installe la légation à Clémenceau, gère
divers problèmes relatifs au parc domanial français, se rapproche de toutes les
composantes libanaises et fait d’une Résidence des pins embellie le lieu de
rencontre privilégié des notabilités du pays. La réception du 14 juillet en ce
lieu symbolique et central, revient comme un leitmotiv dans les divers
chapitres, à l’exception des années 1982-1991 où il fut presque déserté, pour
mesurer non seulement le prestige de la diplomatie française, mais aussi la
diversité de ses contacts.
Malsagne
divise son livre en 3 parties consacrant chacune à chaque ambassadeur un
chapitre, assignant aux divers collaborateurs leurs rôles, soulignant l’influence
propre des « conseillers orientaux » (Antoine Rozek et François Abi
Saab, facilitateurs et intermédiaires dévoués). On regrette cependant l’absence
de mention de Georges Schehadé qui œuvra dans les institutions culturelles
françaises[2],
fut proche des diplomates et dont les vers à Charles Lucet[3]
et autres poésies seront lus et les pièces jouées bien après disparitions et
oublis, ainsi que l’omission de grandes figures de la culture française au
Liban qui ne semblent avoir droit à être citées que si elles sont assassinées.
Des
premières années de l’indépendance au
départ du président De Gaulle (1946-1969) règne « l’âge d’or ».
L’action des diplomates n’y est pas
simple puisqu’elle doit contrecarrer une double influence, celle de
l’arabisme montant exalté par Nasser et la guerre d’Algérie, et celle des
anglo-saxons, principalement les Américains qui cherchent à étendre leur
influence politique, économique et culturelle. Mais l’ « appui
inconditionnel » du Général au
Liban contre les agressions israéliennes et son prestige arabe après 1967, ainsi que la
francophilie du président Chéhab et son « gaullisme », à l’heure de
la tentative de construction d’un État moderne, étendent et renouvellent le
rayonnement de la France à toutes les communautés libanaises.
La
seconde période couvre les mandats de Pompidou et de Giscard d’Estaing
(1969-1981) et voit les assises de l’État libanais ébranlées, les positions de
la France rognées par les États-Unis et Damas, le pays sombrer dans la guerre
« civile » (1975-1977) et souffrir l’occupation partielle d’Israël
(1978). Les représentants de la France n’épargnent leurs efforts dans aucun
domaine et cherchent à ne pas mécontenter un camp en satisfaisant un autre[4].
Leur fin est tout autant la préservation
de l’unité, de la souveraineté et de l’indépendance du Liban que la défense des
positions privilégiées de la France. La
mission De Murville-Gorse (novembre 1975), la participation capitale à la FINUL
(1978)… sont des initiatives importantes. La France s’engage aussi dans une
politique palestinienne de dialogue avec l’OLP. L’Iran khomeyniste fait
irruption. Cette partie se clôt par l’assassinat de l’ambassadeur Louis
Delamare, le 4 septembre 1981, à quelques mètres d’un barrage syrien et à 5
jours de la rencontre Cheysson-Arafat à Beyrouth (30 août). Le traumatisme
sécuritaire s’installe, mais les ambassadeurs ne cesseront de remplir leur
mission au péril de leur vie.
De
1982 à 1990 et de l’invasion israélienne à l’accord de Taëf et à l’exfiltration
du général Aoun, le Liban connaît la période la plus sombre de son histoire. La
France des 2 mandats Mitterrand est particulièrement active sur la scène proche-orientale,
elle est présente militairement dans le pays, assure la protection des 2 évacuations
de l’OLP (Beyrouth 1982 et Tripoli
1983), soutient la légalité libanaise… Les attentats, les assassinats et les
enlèvements réduisent cependant son champ d’action. Mais «le professionnalisme,
le courage et le sens du devoir » ne cesseront d’animer ses principaux
représentants[5].
L’exposé
qui précède ne rend pas justice à la globalité, densité et précision du livre de Malsagne. Avouons, pour
nous décharger, qu’il donne l’envie
De vivre encore et de connaître
Notre histoire jusqu’à la fin (Aragon)
Notre histoire jusqu’à la fin (Aragon)
[1] Lebret (Louis-Joseph): Chronique de la
construction d’un État. Journal au Liban et au Moyen-Orient, Geuthner,
Paris, 2014.
[2] L’ami de Gabriel Bounoure fut secrétaire
de l’Ecole Supérieure des Lettres de sa fondation en 1944 à 1949.
[3] Charles Lucet, conseiller à l’ambassade du temps d’A. du Chayla.
“Ils ne savent pas qu’ils ne vont plus revoir
Les vergers d’exil et les plages
familières… »G. Schehadé, Poésies II,1948.
[4] Les propos du ministre français des
affaires étrangères, Louis de Guiringaud (16/10/1978) imputant aux seuls
chrétiens la responsabilité des affrontements d’Achrafieh quelques jours après
la résolution 436 du Conseil de Sécurité mettant sur le même plan l’armée
syrienne et une milice locale (6/10/1978) furent du plus mauvais effet sur le
camp chrétien.
[5] “Devenu très dangereux, le poste de
Beyrouth ne se refuse pas et fascine sans doute pour un diplomate
français. » Malsagne : Sous l’œil…p. 261. Le mandat de
l’ambassadeur à cette phase ne dépasse pas deux ans.
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