Hélène Carrère d’Encausse:
Le général De Gaulle et la Russie, Fayard, 2017, 288 pp.
La politique étrangère de De Gaulle a été très étudiée et
les relations franco-soviétiques des décennies 1940-1960 ne sont pas un sujet
« vierge » comme l’avoue l’auteure. Est-ce donc l’actualité qui
justifie le nouvel ouvrage de
Hélène Carrère d’Encausse : la Russie de Poutine
« s’est imposée dans le nouveau désordre mondial », « L’Etat, la
nation, la puissance sont de retour » et les leçons du Général demeurent
une « référence »? On peut, sans appuyer totalement la conclusion,
trouver dans le présent livre, amplement justifié par la connaissance de la
langue et du monde russes, par les archives ouvertes, par des entretiens et
conversations personnels, par le soin mis à confronter témoignages et analyses et
à fournir un récit limpide et bien documenté, trouver bien du plaisir à le lire
et bien des enseignements à en tirer.
Le général De Gaulle et la Russie, plus qu’un
plaidoyer pour le grand homme politique, est un hommage à lui rendu. Il ne
s’agit pas seulement de le défendre contre critiques et scepticismes touchant
telle idée ou telle initiative ou une prétendue naïveté (J. Laloy, Raymond
Aron, A. Fontaine, J. Lacouture…), mais d’illustrer « la justesse de ses
intuitions », sa « lucidité », sa «sagacité », son
dynamisme…, de montrer la cohérence de sa pensée et la victoire posthume de sa
stratégie. Cette docte admiration pour le Général ne s’investit pas dans un
exposé théorique, mais dans une histoire vivante de son action et de son
expérience où sont articulés l’art d’insérer un élément dans la fresque globale
et celui de signer des miniatures vivantes et de relater des scènes dignes d’œuvres
romanesques ou théâtrales.
De Gaulle donne évidemment la prééminence aux peuples sur
les idéologies, ce qui lui permet, en cette période où l’URSS est dominée par
le communisme, d’y voir non la patrie du socialisme, mais la Russie éternelle
« allié de revers » indispensable à la sécurité de la France.
Nietzsche disait qu’en politique internationale, l’ami n’est pas le voisin,
mais le voisin du voisin. Pour De Gaulle, l’alliance franco-russe est « comme un impératif catégorique de
la géographie, de l’expérience et du bon sens. » Mais au-delà du
contrepoids indispensable à la puissance allemande, la politique d’entente avec
ce pays, est nécessaire pour l’équilibre du Continent et pour la place de
l’Europe dans le monde.
Après une introduction brève et dense sur des siècles
d’attirance et de rejet, d’alliance et
de conflit entre la France et la Russie, le livre se déploie en 3
chapitres : les relations De Gaulle-Staline au milieu des années
1940 ; celles avec Khrouchtchev lors du retour de De Gaulle au pouvoir en
1958 et jusqu’à l’éviction du leader russe en octobre 1964 ; enfin la
politique suivie avec les successeurs jusqu’au départ du Général le 28 avril
1969. Aucune de ces périodes n’est simple, toutes sont intenses d’événements et touffues
de péripéties ; les contextes sont très différents. Mais la ligne
directrice demeure et ne fait que se préciser et s’amplifier.
Les Libanais étonnés de voir les portraits de De Gaulle et
Staline affichés ensemble en novembre 1943 pour faire front à la politique
britannique trouveront dans le premier chapitre la clef de cet épisode. Ni la
France libre, ni son chef ne sont encore confortés dans leur représentativité et
les tentatives d’isolement américaines ne facilitent pas les choses. Le Général,
devenu chef du GPRF en juin 1944, ne se rend à Moscou sur invitation qu’en
décembre. Ses tentatives pour reconquérir le rang de la France rencontrent la mésestime
de Staline pour le pays défait en 1940. L’allure des deux hommes s’oppose au
détriment du dictateur, mais son cynisme et ses bouffonneries sont d’un
terrible effet. Si De Gaulle obtient un certain effacement des communistes
français et un siège permanent au Conseil de sécurité de la future ONU, il
entérine plus sur la Pologne qu’il ne gagne sur les frontières et le statut de
l’Allemagne. Le traité d’alliance et d’assistance mutuelle conclu le 10
décembre 1944 n’empêche pas son exclusion des sommets de Yalta et Potsdam
(janvier et juillet 1945) décidée par les 3 grands.
De retour aux affaires en mai 1958, De Gaulle trouve une
situation différente : une Europe divisée en 2 blocs idéologiques mais
appelée à connaître la coexistence pacifique suite au XXe congrès du PCUS.
L’Allemagne n’est plus dans sa vision l’éternelle menace, mais un pays avec
lequel il va signer un traité d’amitié en 1963. Sa politique est double :
être le plus ferme opposant à la politique soviétique durant les crises de
Berlin et de Cuba malgré le boulet algérien et tout en préservant la
souveraineté française dans le pacte atlantique ; chercher à varier ses
interlocuteurs en appelant à « une Europe de l’Atlantique à l’Oural »,
seule garante de paix et de liberté, et en s’engageant avec l’URSS et ses
satellites dans « une politique de détente, d’entente et de
coopération ». En invitant en France Khrouchtchev, le « Moujik
débonnaire » (mars 1960), pour une longue visite, De Gaulle traite avec
lui d’égal à égal.
En 1966, après la distance prise avec le commandant intégré
de l’OTAN, rendue elle même possible par le présupposé gaullien de la
disparition du péril soviétique, le voyage du général en URSS (juin-juillet)
est un triomphe pour la politique de détente. Face à lui, le trio formé par Brejnev-Kossyguine-Podgorny
n’a pas l’aura des deux maîtres passés de la Russie, mais l’ouverture à l’est
fait école et les gouvernements allemands sont les premiers à l’imiter.
Il est toujours heureux de lire un ouvrage où De Gaulle est
souvent cité. Ce n’est pas pure nostalgie, puisque de son temps ses lecteurs et
auditeurs, même russes, s’en trouvaient ravis.
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