Talal al-Husseini: Az
zawâj al madanî; al haqq wal ‘aqd ‘ala al arâdî allubnâniyya (Le Mariage
civil; Le droit et le contrat sur le territoire libanais) Dar al Saqi, 176pp, 2013.
L'ouvrage de Talal al-Husseini sur Le Mariage civil aurait
pu se lire comme le récit d'un combat juridique et d'une victoire au Liban du
droit, de l'Etat, de la citoyenneté et des jeunes générations avides de liberté
et d’égalité si la densité du propos, la rigueur de l'écriture, l'étendue de l'enquête
historique ne donnaient à ce livre mince une toute autre ampleur.
L'argumentation déployée ici a servi de fondement juridique au premier mariage
civil contracté entre deux Libanais sur le sol de leur patrie en 2012 et le ministre
de la justice, après avis positif de la
haute instance consultative de son ministère (11/2/2013), a confirmé la validité
d'un tel contrat entre citoyens libanais n'appartenant pas à une communauté de
statut personnel. Le ministre de l'intérieur
à qui il ne revenait pas de se prononcer sur la légalité ou non légalité
d'un tel acte, surtout après avoir sollicité la même institution et reçu le
même avis, a fini par signer l’enregistrement du premier mariage contracté (25/4/2013),
mais non sans quelque confusion et contradictions dans les termes. Quand une
guerre est gagnée, il faut encore la gagner, disait un stratège.
À l'heure où la distance va grandissant au Liban, pour ne
pas mentionner l’ailleurs arabe, entre Théorie et perspectives de reformes éclairées,
d'une part, et pratiques politiciennes décadentes, obscurantistes et sectaires, de l'autre, la contribution de
Talal al Husseini ouvre, pour les partisans du renouveau, une brèche et montre,
pour les réprobateurs d'un ordre apparemment muré et soumis aux forces du fait
accompli, un chemin. On peut voir aussi comment la précision de
l’argumentation, l’attention portée aux textes législatifs reliés à leur
arrière-plan historique, les liens tissés entre points de détail et tableaux
d’ensemble, entre lois et histoire, le soin donné au langage comme moyen
d’expression concis et exigeant et comme objet d’étude…ont fait du mariage
civil sur le sol libanais, pour personnes ayant rayé des registres d’état civil
leur appartenance à une communauté, une thèse que nulle personne de bon sens et
de droite intention ne peut refuser. L’auteur justifie son recours à « des
connaissances linguistiques, logiques et historiques » par la nécessité de
contrecarrer une « mentalité communautaire bien ancrée ». Dans sa
préface, il ramasse son plaidoyer (et résume son livre) en 8 propositions raisonnées,
denses, nettes, adroitement articulées et très difficiles à réfuter.
Le
droit au mariage civil, le Libanais le puise dans le préambule de la
constitution qui stipule dans son point (b) que le Liban est « engagé
(multazim)…par la
Déclaration universelle des Droits de l’homme ». Celle- ci, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10/12/1948, affirme dans son article
16 : « 1. A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune
restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se
marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage,
durant le mariage et lors de sa dissolution. 2. Le mariage ne peut être
conclu qu'avec le libre et plein consentement des futurs époux. 3. La famille
est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection
de la société et de l'Etat.» Il le trouve dans les articles 7 et 9 de cette
même constitution qui ont trait à l’égalité de tous devant la loi et à
« la liberté de conscience…absolue » des citoyens. Il y est conforté
par le code de procédure civile (art. 4) qui rend le juge « coupable de
déni de justice » s’il s’abstient de faire régner le droit « sous prétexte
du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi ».
Spécifiquement, ce droit se
trouve inscrit dans l’arrêté
législatif No 60 L. R. du 13 mars 1936 (modifié par les arrêtés 146 L. R. du 18
novembre 1938 et 53 L.R. du 30 mars 1939) promulgué par le comte Damien de
Martel, haut commissaire de la
République française, puissance mandataire en vertu du Pacte de la Société Des Nations
(signé à Versailles le 28/7/1919) en application de la Charte du mandat
(ratifiée par la SDN le 24/7/1922). Husseini, utilisant bien des travaux dont
les recherches de Rabbath mais aussi les archives de Nantes (hommage soit rendu
ici à Nadine Méouchi, initiatrice) marque le bien fondé légal de cet arrêté et en
éclaire les intentions par les acteurs politiques de l’époque à Paris et Genève
(Arstide Briand, Albert Sarraut, Robert de Caix…) comme à Beyrouth (Gennardi,
inspecteur général des waqfs, Kieffer, Mazas…).
A coté des
communautés « à statut personnel » ou « communautés
historiques » reconnues légalement sous des conditions énoncées dans
l’article premier et explicitées dans l’article 4 (l’annexe les énumère et les divise
en chrétiennes, musulmanes et israélites), l’arrêté ajoute une nouvelle
catégorie, « les communautés
de droit commun ». Celles-ci « organisent et administrent leurs
affaires dans les limites de la législation civile » (art.14). Cette
catégorie n’est pas « une simple vue de l’esprit, sans possibilité de
liaison avec la réalité concrète » comme l’écrivait Rabbath, pourtant
grand connaisseur, car il a toujours
existé des communautés non reconnues (yazidis, baha’is, les protestants avant l’arrêté
146 L. R. de 1938…) et des milliers de Libanais inscrits dans les registres
comme « sans religion » ou « sans communauté »…Elle
n’est pas tributaire d’ « une » loi à venir, mais de
« la » législation ou de « la » loi civile, l’article
défini ne pouvant prêter à confusion après avoir été prospecté dans ses usages grammaticaux
et sémantiques. Il faut voir aussi avec quelle dextérité Husseini fait un usage
créatif du principe logique du tiers exclu.
Ce que l’arrêté de 1936 consacre, c’est « la
reconnaissance de l’existence d’un État et de la souveraineté de sa loi civile,
dans les limites de la reconnaissance des communautés et de leurs lois de
statuts personnels, ceci et cela dans les limites de la reconnaissance de
l’existence d’individus et de leurs droits humains » (p. 53). L’harmonie
de ces éléments n’est pas préétablie, mais se trouve être l’objet d’efforts permanents
d’ajustement et « le moment historique » où fut promulguée cette loi
est « un moment de gestation dans l’histoire de l’État libanais et du
peuple libanais, moment qui se perpétue jusqu’à nos jours. » Dans le
mémorandum du 7 juin 1934 qui vise à préparer cet arrêté, Gennardi affirme que
la « règle fondamentale » est « la suprématie du pouvoir
civil » et écrit : « cette réforme…doit permettre à toute
communauté d’obtenir sous des conditions à déterminer, sa reconnaissance
légale, et à tout individu de se soustraire à une loi confessionnelle dans les
matières relatives à son statut personnel. »
Plaidoyer pour une cause bien limitée et soucieux de son
succès, l’essai sur le mariage civil multiplie
ses recoins, annonce d’autres combats à venir et met le doigt sur nombre de
questions à traiter. Chemin faisant, il ne finit pas de marquer ses prestations théoriques : réévaluation
de pans importants de l’action mandataire, polémique muette contre un laïcisme
paresseux et stérile, multidisciplinarité et bons usages de 2 cultures…Mais le principal
message demeure l’attachement au « projet libanais », « projet d’un peuple qui mérite la
souveraineté dans un État qui lui appartient ».
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