Michèle M. Gharios: À
l’aube de soi, roman, La Cheminante, 2015, 196 pp.
Entre Wuthering Heights, le roman de la vengeance
amoureuse, et Barbe bleue, le conte du secret marital protégé, Michèle
Gharios nous donne à lire le récit de la naissance d’un amour dans l’enfance et
l’adolescence puis celui de la vie conjugale qui a suivi, le tout sur fond de la
guerre du Liban et de la paix qui lui a succédé. Autant les premiers pas de la
passion entre un étudiant milicien, angélique et démoniaque, et sa cadette de
quatre ans au tempérament « franc et gai » sont décrits en leur romantisme,
ludisme et ambiguïtés dans la montagne
libanaise, autant la vie en commun, à Paris et à Beyrouth, est dépeinte comme
une descente aux enfers. Le vétéran se fait de plus en plus distant et
agressif ; il finit par incarner le mâle oriental despotique, ne cesse de
chercher à humilier et « lobotomiser » une épouse qui l’aime et le
respecte et de la pousser à se détester. Un événement s’est intercalé entre les
2 grandes séquences romanesques : la narratrice a livré, avant le mariage,
son corps « au bon vouloir d’un
amoureux de passage ». Un détail est au foyer de la fiction : des
caisses que le mari interdit à la femme, qu’il lui arrive de relire longuement
et où il a consigné ses souvenirs d’enfance et de pensionnat.
Après s’être illustrée dans la poésie, Michèle Gharios signe
avec À l’aube de soi son second roman. La métaphore du titre est simple
et jolie, mais le « soi » n’est jamais sûr : son origine remonte
toujours en deçà (les caisses) ou il est continuellement à naître de la
décision de se libérer et de s’assumer (la fin du roman). On retrouve dans
l’ouvrage les principales qualités de l’auteure : l’élégance, la
limpidité, l’ « élévation ». La guerre libanaise est traitée avec
beaucoup depudeur, sans haine, sans parti pris. Le style est imbu d’une poésie
discrète et épouse le rythme de la narration ; pas de pathos, peu de
moralisme, mais sans doute l’abus d’une psychologie et d’une psychanalyse
faciles…dans le traitement d’une histoire dense et violente. Terminons sur
cette phrase bucolique mais non sans ambivalence : « Le paysage était
différent, et le chemin semblait tout autre avec les arbres dénudés et le tapis
vert qui donnait à la montagne l’allure de pâturages inattendus où paissaient
les maisons de pierre, et les treilles où s’enroulaient les troncs de vignes
comme des serpents. »
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