Joseph
Sayegh est l’un des plus grands poètes libanais. Né à Zahlé en 1928, il est
l’auteur de nombreux recueils: ses Œuvres poétiques complètes parues en
arabe à Darannahar en 2004 regroupent 4 épais volumes. Son nom demeure attaché
au Livre d’Ann-Colyn publié en 1973 et qui reçut dès sa parution un
accueil fulgurant (article dithyrambique d’Ounsi El-Hage). Ouvrage presque sans
exemple dans la littérature arabe contemporaine par la puissance de son
souffle, l’unité de son inspiration, l’ampleur de sa phrase et la vigueur de
ses strophes, il chante une femme, la femme, l’être humain, l’amour, la vie, le
cosmos… Mobilisant les ressources de ses études, de ses voyages, de sa réflexion,
bref de son expérience de la modernité universelle, retenant les leçons de
Mallarmé, Valéry, Saïd Akl et Saint-John Perse, le poète transmue sa quête passionnelle,
existentielle (wajd, wûjûd) en une investigation souveraine de l’essence
du langage, des ressources et sources de la langue, de la fulgurance de la
poésie.
Enseigne-moi ton corps mon
aimée,
Inculque-moi les règles du
langage vivant,
Langage à l’origine de
toutes les langues.
Jacques
Berque a pu écrire : « Formidable monument élevé au langage, ou bien
à l’amour ? L’un et l’autre sans doute. Mais j’aurais tendance à croire
que le poète célèbre ici l’univers à travers les sonorités des phonèmes
arabes. »
Sayegh
a été peu traduit en français. Par ces morceaux choisis, rendons hommage à cette
première version fragmentaire du Kitâb.
F.
S.
Joseph Sayegh: La
poésie est femme ou Le Livre d’Ann-Colyn, Hymnes et fragments choisis,
Préface de Sobhi Habchi, Postface de Michel Hayek, Traduits de l’arabe par
François Harfouche, Librairie d’Amérique et d’Orient Jean Maisonneuve, Paris,
2016, 112pp.
Je me suis nourri de
chemins
Comme l’éclair du ciel
immense
Et tous mes chemins s’en
furent jusqu’à toi.
***
De Venise à Bruges, de la
Seine à Amsterdam
Les péniches fluviales me
traversent
Comme si j’étais, des
choses éphémères, la parole
Comme si par moi
voyageaient les voyageurs
Comme si moi-même étais
Les chemins de tous les
voyageurs.
***
Donne-moi, /Donne-moi, mon
amour,/La volupté d’être chaos/Dans la luxuriance de tes cheveux/Au gré des
vents qui se les arrachent…
***
Nos deux solitudes se sont
rencontrées
Et j’ai renoncé au monde
pour toi.
Les chemins que j’ai
franchis avant toi,
Je les ai reniés et j’ai
renié le grain de rosée.
J’ai renié mes maisons et
mes arbres
Et les nuages au-dessus de
mon école.
Les stations de ma vie,
mes crayons,
Les formes de l’attente,
Je les ai toutes reniées
Et en palais, je les ai
taillés dans les lettres…
No comments:
Post a Comment