Yajûr Copyright Bruno Fert |
Bruno Fert, texte de Elias
Sanbar: Les Absents, Le bec en l’air, novembre 2016. Bilingue
français/anglais.
Les absents
de Palestine sont-ils encore présents sur la terre de leurs ancêtres, de leurs
parents, d'eux mêmes en tant que déplacés, réfugiés, propriétaires d'un legs
culturel ? Voilà ce que les 40 superbes photos de Bruno Fert parviennent à
montrer avec délicatesse et magnificence, comme si la pudeur peut seule
affronter l'ampleur du crime commis et qui ne cesse de se perpétuer et de
s'étendre, comme si la beauté des lieux montrés, de leur représentation
est seule digne du sujet, de l'enjeu. La retenue est partout: dans la mise en
pages, dans le corps typographique prêté aux noms des lieux face aux photos,
dans la place donnée in fine aux textes, dans la couverture noire où les
poinçonnages bleus sur la carte signent les positions embrassées parmi mille
autres jamais totalement perdues... Elle l’est essentiellement dans la vérité
des images guidées sans artifice, sans exagération, sans souci de pureté ou
d’inquisition, mais l’œil nu, amoureux et scrutateur.
Que les paysages
soient désormais rendus à la nature comme à Sirîn ou à Dayr al-Shaykh, que les édifices d'avant l'exode soient religieux,
politiques ou sociétaux, délabrés ou dressant leur belle architecture, que les
pierres soient blanches ou les végétations vertes et fleuries, qu'on soit
proche de la modernité israélienne ou éloigné d'elle, ou encore livré à ses vacanciers, déchets et
bouteilles vides, que de nouveaux mariés s’infiltrent dans les ruines d’un
château (Majdal Yâba) ou que des pierres tombales se trouvent bousculées…c’est
toujours cette vie historique séculaire et ininterrompue qui parvient à
respirer dans la lumière éclatante, brumeuse et nocturne de la terre de
Palestine. Comme le note l’écrivain israélien Yehonathan Geffen cité par
Elias Sanbar: « Cela fait un moment que je sens que cette maison ne
m’appartient pas. Mais dernièrement, un autre sentiment est venu s’ajouter au
premier, je sens que quelqu’un vivait dans cette maison avant que nous y
venions. » Loin d’être un album de nostalgie, ce livre authentifie l’affirmation, la
présence et l’espoir.
Pour être limité
dans ses pages, le texte de Elias Sanbar va à l’essentiel tout en sauvegardant
à son itinéraire la liberté de la randonnée sémiotique (rails, cimetières et
fantômes). L’érudition ne se fait jamais lourde, la passion du territoire est toujours
déférente, la remarque pointue. Les notes historiques sur les villages expulsés
en 1948, succinctes et précises, jettent les lumières indispensables. Le gai,
tragique et sensuel savoir se cueille aux sites saisis.
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