BRONZINO: VENUS ET CUPIDON |
Dominique Fernandez: La
Société du mystère, roman florentin, Grasset, 2017, 608pp.
En 1564, à 88 ans, mourait Michel-Ange. Un grand créateur
disparaissait sonnant la fin d’une époque. C’est à ses funérailles qu’est consacré l’un des derniers chapitres du roman
florentin de Dominique Fernandez, volumineux ouvrage écrit à l’âge où décédait l’artiste. (Souhaitons à l’écrivain,
né en 1929, encore bien des années de voyages, d’érudition, de contemplation,
de réalisations et de gaieté !) L’auteur de Moïse a hissé la création
artistique qu’il a illustrée dans l’architecture, la sculpture, la peinture et
la poésie à un rang social majeur. « Jamais pompe n’égala en splendeur
l’appareil des funérailles. »
La Société du mystère ne couvre pas toute la Renaissance florentine bien qu’il
lui arrive d’élargir son domaine quant à l’histoire comme à la géographie. Le
roman s’attache à sa quatrième génération, et de quel attachement ! Le
premier âge est celui de l’éveil « au sortir de la barbarie
gothique » (Giotto…) ; le deuxième, essentiellement le quattrocento,
celui de la maturité (P. Uccello, Fra Angelico, Piero…) ; le
troisième celui de la perfection (Botticelli, Léonard, Michel-Ange,
Raphaël). Le quatrième est celui des maniéristes.
S’agit-il de peintres dans la maniera de la chapelle Sixtine, de simples
épigones ? S’agit-il d’une décadence comme le soutient Vasari dans ses Vies
(1568) ? S’agit-il d’une « crise » qui, comme l’affirmera A.
Chastel, cherche à outrepasser « l’ordre, l’équilibre, la
raison » ? Ne serait-ce pas plutôt une recréation du monde et une
réinvention de la peinture tordant les anatomies, donnant d’autres intensités aux couleurs, peuplant
les œuvres de représentations bizarres, brisant l’accord entre l’homme et
l’univers, mettant en cause l’idée même d’homme et de Dieu? « La
virtuosité sans défaut de Titien, l’élégance de Botticelli, la sérénité de
Raphaël, [Pontormo] les avait tournées en dérision. A la place de ces manières
aisées et gracieuses, rien que des lignes instables, des contours flous, des
figures grimaçantes. »
JACOBO PONTORMO: DECOR POUR UN APPARTEMENT PAPAL |
Son roman, Fernandez
le bâtit essentiellement à partir du journal, prétendument retrouvé chez un bouquiniste, d’un peintre de
cette ultime génération, Agnolo Bronzino (1503-1572), disciple et cadet de 9
ans du Pontormo (Jacopo Carucci 1494-1557), et ami/ amant de Sandro Allori
(1535-1607) et de Benvenuto Cellini (1500-1571). Mais il puise aussi dans les
mémoires de ce dernier comme dans des papiers fictifs du premier. Les destins
de Rosso et de Parmigianino ont également droit au chapitre. Le romancier narre
le fond social, trace les carrières, raconte des histoires grivoises dignes de
Boccaccio, et surtout décrypte les peintures. Les fresques, dessins et tableaux
à consulter pour s’orienter dans l’oeuvre sont très nombreux et le lecteur tantôt
regrette de ne pas avoir entre les mains un livre luxueux et abondamment
illustré, tantôt loue la magie du moteur de recherche Google. Mais le jeu vaut
bien des chandelles.
PARMIGIANINO: AUTOPORTRAIT AU MIROIR CONVEXE |
La société florentine met la beauté au dessus de la morale
et de la religion, mais est régie sous les Médicis par des lois sévères.
Eprouvés par la peste, par le gouvernement de Savonarole, par le retour de ses
maîtres anciens, les habitants de la fleur des cités, comme le montre l’œuvre
de Bronzino, partagée entre l’effusion et le conformisme, parviennent toujours
à réconcilier la hardiesse de Cellini et la prudence de Machiavel. Mais
à l’heure des schismes de Suisse, d’Allemagne et d’Angleterre, et du Sac de
Rome par les armées de Charles Quint qui n’a rien épargné dans la ville
éternelle, une vision sereine et équilibrée de l’univers a pris fin en Italie.
Outre l’amour de l’art et étroitement lié à lui, le ressort
principal du roman de Fernandez est ce qu’on nommait dans la cité du lys
« le vice infâme » toléré seulement quand il était caché et
sévèrement puni. Il réunit, en un pacte confidentiel où le rejoignent les
audaces esthétiques et les poussées de dissidence religieuse, cette
« société du mystère ».
L’exaltation du corps viril, du beau masculin, de leurs organes de
jouissance, sert aux peintres d’expression artistique. L’auteur évoque même
« la grande et mystérieuse famille de la queue ». Sans la
censure, le rigorisme, la bigoterie, la surveillance familiale, la peur des
peines et des récriminations, les stratégies maniéristes auraient-elles
inventé mille stratagèmes pour se dévoiler sur la toile ? Honneur soit dû
à cette quatrième génération, queue de la Renaissance annonciatrice de bien des
audaces de l’histoire de l’art !
ROSSO : MORT D'ADONIS |
No comments:
Post a Comment