Amine Gemayel: Arri’âssa
almuqâwima , Mudhakkirâtt (Le mandat résistant, Mémoires),
Manchourâtt Bayt alMustaqbal, 2020, 432pp.
En choisissant de qualifier son mandat présidentiel
(1982-1988) de résistant, Amine Gemayel lui donne un sens et une unité. Ce
que les Libanais ont vécu comme une suite de péripéties violentes, de
tentatives inabouties, de partitions miliciennes, de rampante hégémonie
syrienne, au milieu de rumeurs et de suspicions continues retrouve une ligne
directrice et peut même se prévaloir d’un but atteint, la capitulation zéro. Il
faut aussi reconnaître que ce titre remet sur le tapis une résistance qu’une
autre tente d’occulter. Celle-là garde son importance historique, conserve son
actualité et ses exigences, est menée pour l’indépendance nationale au milieu
du sang et des larmes. Des années 1980 date l’adage : Israël est l’ennemi
de l’unité du Liban, la Syrie de sa souveraineté.
Ces Mémoires débordent le mandat en amont comme en
aval. Ils remontent au début de l’itinéraire politique (la députation de 1970),
retrouvent l’arbre généalogique des Gemayel, les études collégiennes et les
voyages, s’appesantissent sur les débuts de la guerre libanaise de 1975-1976 et
les événements du Matn, région dont Amine était directement responsable (Tall
Zaatar, Nabaa, Dekouaneh…) S’il est évident qu’on ne peut traiter du mandat
présidentiel sans ses antécédents déterminants, la présentation historique,
toujours digne, repolit trop l’image politique (alors que la famille et Cheikh
Pierre ont suffisamment de lettres de noblesse pour ne pas en rajouter), efface
adversités et adversaires (d’Antoun Saadé à Raymond Eddé), donne une image idéalisée
des Phalanges. De même, le livre couvre la période ultérieure, les persécutions
et le retour au Liban, le martyre de Pierre, la disponibilité politique et
culturelle toujours présentes, en permanence nourries d’énergie.
Le destin d’Amine Gemayel fut éminemment tragique : il
hérita de 3 deuils, son oncle maternel Maurice, visionnaire d’envergure
internationale, mort à 60 ans en pleine séance parlementaire, son frère Bachir
élu président et assassiné peu de jours avant son accession au pouvoir
national, son père fondateur du parti Kataëb (1936) mort durant son propre mandat.
La fatalité ne l’épargna pas après 2005 et le départ des troupes
syriennes : Pierre, fils aîné, démocratiquement élu député, ministre créatif de l’industrie est l’objet
d’un attentat meurtrier (21/11/2006). Curieusement ce profil indéniable ne
prend jamais le dessus, reste implicite sous l’activité débordante, la vigueur
permanente, le réseau d’amitiés nationales et internationales, l’endurance du résistant
combattant. Jouant dès avant sa présidence le rôle du modéré, courageux
dans les contacts avec ses adversaires, averti de l’équilibre des forces dans
le pays et la région, connaissant la place des media dans la modernité, il ne cesse de s’affirmer homme de dialogue.
Mais cette ligne de conduite est menée à partir d’une triple loyauté : la
famille, le parti, le destin personnel. Pour un politique maronite, ces eaux se
fondent et se confondent avec l’appartenance communautaire et la défense des
intérêts de l’Etat et du pays.
A l’aube du mandat Gemayel, une page semble tournée et le
Liban se retrouve au milieu de grands espoirs et d’innombrables difficultés.
L’Etat est promis à retrouver ses prérogatives, les citoyens rêvent de paix,
d’égalité et d’indépendance. Le départ des combattants palestiniens et un appui
international incarné par la présence d’une Force Multinationale paraissent leur
donner une nouvelle chance. Mais une large partie du territoire est occupée par
Israël et, rétractée, la présence syrienne demeure importante. La situation
internationale et régionale est en pleine mutation suite au traité de paix israélo-égyptien
(26/3/ 1979), à la révolution iranienne et au nouveau rôle
dévolu à la Syrie d’Assad. L’auteur analyse de manière détaillée l’imbrication
des interférences extérieures avec les événements internes et surmonte le débat
sur la nature des guerres du Liban, civiles ou champ de batailles entre régimes
et Etats.
Outre
l’insatisfaction des communautés souvent prêtes à trouver des appuis à
l’étranger, un obstacle majeur à l’action du nouveau président, dont l’élection
bénéficia d’un large consensus, fut l’héritage milicien de son frère assassiné,
chef incontesté des Forces libanaises. Amine brosse de Bachir un portrait perpétuellement
élogieux, défend sa politique de 1982
comme un ralliement à la sienne (p 67), le montre face à Ariel Sharon
« imbu d’un patriotisme exigeant ». Il aurait tout fait pour empêcher
les massacres de Sabra et Chatila, avait par avance refusé la pénétration de
ses troupes dans les camps palestiniens. Sans vouloir contester ce qui précède
ou entrer dans les détails, on peut affirmer que la bonne réputation d’Amine
passait par les différends fraternels. Une fois le frère aîné au pouvoir, la
milice chrétienne ne pouvait accepter de lui ce qu’elle aurait accepté de leur
chef. D’où rebellions, combats internes, obstruction, nouvelles alliances…
Amine pouvait-il atteindre ses buts face à des ennemis puissants et déterminés
sans avoir les moyens de sa politique ?
Les
Mémoires d’Amine Gemayel sont riches et souvent appuyés sur des procès
verbaux et des archives personnelles. On y puise bien des éclairages nouveaux
sur les événements relatés. Mais il ne saurait être ici question des péripéties
ou d’en débattre. On ne peut cependant que se référer à cette figure de Janus
de l’ex président : homme de dialogue et personne têtue (‘anîd),
modéré et combattant résistant. Elle explique ses infortunes et ses succès.
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