Monday, 9 May 2011

MERLEAU-PONTY & LA PROSE DU PHILOSOPHE


Cézanne: La Montagne Sainte Victoire


Maurice Merleau-Ponty: Œuvres, Quarto, Gallimard, 2010, 1848pp.
La réunion des Œuvres de Merleau-Ponty (à l’exception d’un livre majeur La structure du comportement, première thèse de doctorat soutenue en 1938 et publiée aux PUF en 1942) dans un fort volume de près de 2 mille pages ne laisse pas d’impressionner, vu le destin foudroyé du philosophe mort en pleine vigueur (1908-1961). Elle ouvre grande la voie à la reprise de sa place au tout premier rang des penseurs du XXe siècle. Mais au regard de la richesse de cette pensée, de la variété des domaines auxquels elle touche, des polémiques plus ou moins apaisées ultérieurement dans laquelle elle fut prise, on ne peut que prévoir un lent travail du concept selon l’expression hégélienne consacrée.
Reconnaissons d’emblée la qualité de l’établissement de l’ouvrage et l’audace de certains partis pris, ce qui laisse le champ ouvert à une future publication plus complète dans « La Pléiade ». Les recueils d’articles publiés par l’auteur (Sens et non-sens, Signes…) ont été cassés pour être redistribués conformément au plan d’ensemble. Un chapitre du manuscrit posthume de La Prose du monde (1969) ayant été réélaboré et publié dans Les Temps Modernes sous le titre « Le langage indirect et les voix du silence »(1952), réponse à Sartre et à Malraux sur l’art, la littérature et le style, la version plus aboutie a remplacé son brouillon. Des notes encombrantes n’ont pas été reprises. Quant au plan général de l’ouvrage, 2 parties le constituent. La première regroupe les écrits consacrés à l’histoire et à la politique ; elle occupe près du tiers du livre : des articles et éditoriaux des Temps Modernes ; Humanisme et terreur (1947) où sous la fermeté d’un style favorable au communisme et compréhensif à l’égard des procès de Moscou, pointent déjà les questions qui dans Les Aventures de la dialectique (1955), suite à la guerre de Corée et à la découverte des camps en URSS, remettent en question non seulement la pratique marxiste où la terreur est inhérente, mais la théorie elle-même, parce qu’elle convertit la dialectique en mythe en « précipitant » « la signification totale de l’histoire » dans un seul élément, le prolétariat comme classe sociale ; les lettres de rupture avec Sartre en 1953. La deuxième partie réunit, sous le titre de « l’interrogation philosophique », les écrits qui vont de sa seconde thèse, Phénoménologie de la perception (1945), aux œuvres posthumes qui essaient de jeter les bases d’une nouvelle ontologie.
Il faut aussi saluer le rôle de Claude Lefort (1924-2010) qui a assuré l’organisation de ce livre et qui est mort quelques jours après sa parution. Élève et ami de Merleau-Ponty, il a pris en charge la publication de ses œuvres posthumes et a toujours veillé à la présence de sa pensée; membre actif de Socialisme ou barbarie, il avait joué un rôle prééminent dans l’engagement antitotalitaire du Maître en insistant, dès les années 1950, sur l’ampleur de ce qu’on ne nommait pas encore « l’univers concentrationnaire » dans la patrie du socialisme. Dans une courte mais dense préface (parue initialement en 1974), Lefort montre tout à la fois les continuités et les ruptures dans l’œuvre du philosophe et on ne peut que le suivre sur cette voie.
Dès son premier livre, Merleau-Ponty introduit en philosophie la notion de « corps vivant » et en fait le thème de sa méditation, rejoignant tacitement le chapitre premier de Matière et mémoire de Bergson, un philosophe auquel l’attachent de nombreux liens. L’esprit percevant qui n’est ni un agglomérat de sensations, ni une conscience autonome, est originairement enraciné dans son corps et dans un monde qu’il habite avant de le penser. La totalité, le rapport, le vécu, voilà ce qui est d’emblée mis à l’avant. Dans Phénoménologie de la perception, il affirme contre Husserl que le corps n’est pas un simple objet parmi d’autres : « Le corps est à la fois visible et voyant. Il n’y a plus ici dualité mais unité indissoluble…J’ai voulu partir de là. » Par la perception, une ouverture active et constitutive de l’homme au monde, sont affirmées l’inhérence du corps à la conscience et l’intentionnalité propre au corps. L’ontologie dualiste corps/esprit est définitivement répudiée, mais nullement pour laisser place à un solipsisme qui ignore l’inhérence d’autrui à Soi et au corps : « La pensée n'est rien d’ "intérieur", elle n'existe pas hors du monde et hors des mots. »
Le langage montre bien l’enracinement de l’individu au sein du monde vécu, son historicité et son intersubjectivité originaires et foncières qu'il cherche à rendre intelligibles par son projet. L’individu n’est pas un sujet absolu, puisqu’il prend part à un univers socioculturel et langagier déjà structuré, mais il n’est pas non plus un simple produit, puisqu’il participe aux institutions et les modifie par sa pratique (« je ne me choisis pas à partir de rien »). Il n’est pas jusqu’au langage lui-même qu’il ne renouvelle.
« La grande prose est l’art de capter un sens qui n’avait jamais été objectivé jusque-là et de le rendre accessible à tous ceux qui parlent la même langue. Un écrivain se survit lorsqu’il n’est plus capable de fonder une universalité nouvelle, et de communiquer dans le risque. » Par delà la littérature, la parole est l’appel de chaque liberté à toutes les autres et Hegel nommait l’État romain « la prose du monde ».
Pour combattre les catégories binaires de sujet/monde et de corps/conscience habituelles aux dualismes rigides et pour nommer les inhérences, prégnances et empiètements que sa pensée approche, « Merleau » qui ne cesse de livre en livre de parfaire sa langue, de « lui donne(r) plus de force et presque de violence, sans qu’elle perde rien de sa souplesse, de son insolite variation, de sa proximité aux choses, ni même paradoxalement de sa mesure » (R. Micha, L’Arc, 1971, n 46) recourt dans ses derniers écrits aux notions de « chair », ainsi qu’à celles accordées d' « entrelacs » et de « chiasme ». Finie la conscience, fini l’objet.
Comme le note Lefort, l’œuvre entière, ainsi que l’attestent déjà ses titres (de Phénoménologie de la perception à Le visible et l’invisible en passant par « Le doute de Cézanne » et L’œil et l’esprit), est rivée à une interrogation : Qu’est-ce que voir ? Car la vision est ce qui institue l’extériorité du visible, l’ouverture du corps, la distance, l’altérité, le repli sur soi qui constitue le voyant et le fait adhérer à l’être. Or ce privilège de l’œil gouverne la métaphysique entière de Platon à Husserl qui cherchent à contempler des essences. Mais de fait, la métaphysique, comme les techniques et sciences, interprètent et assujettissent la vision quand on pense qu’elles ne font que la sublimer, car elles l’impliquent dans le pouvoir social et le langage. D’où la tendance des dernières œuvres de Merleau-Ponty à insister sur « l’invisible » comme charpente du visible, c’est à dire les conditions du voir impossibles à voir (pivots, dimensions, niveaux du champ…); à interroger la peinture (Léonard, mais éminemment Cézanne) qui cherche à saisir toute chose sans se soucier de connaissance ou d’action ; à passer du questionnement du sujet à celui de l’être : « L’être est ce qui exige de nous création pour que nous en ayons expérience.»
Sur bien des points, Merleau-Ponty retrouve Heidegger, mais la méfiance des heideggériens à l’égard du concept de perception est grande. Par ailleurs, avec une langue française aussi chatoyante, aussi claire, aussi belle, il est à découvert face au penseur allemand protégé par sa difficulté et son hermétisme.
Entre Husserl, Heidegger et Sartre, Merleau-Ponty est une voie indépendante dans la tradition française. Il pense en eux et contre eux. Comme dirait l’auteur de L’être et le néant, un égal non un semblable.

Wednesday, 20 April 2011

JOB: LES DESTINS INFINIS DU JUSTE SOUFFRANT


Georges de La Tour: La femme de Job

Pierre Assouline: Vies de Job, roman, Gallimard, 2011, 491pp.
A l’heure où meurt une figure de Job à travers la révolte des habitants de Deraa et des alentours qui mettent ainsi fin à des décades de soumission à la tyrannie et à l’iniquité humaines, Pierre Assouline repère, décrit et invente les vies universelles du même personnage plus familier, il est vrai, de l’injustice divine. Le Hauran serait, vu la multitude des chroniqueurs qui l’évoquent et les lieux de culte qui s’y perpétuent (Ayoub y a ses Makam, Aïn, Sakrat, Qaryat, Deir…), la patrie originaire du personnage biblique après qu’on l’a longtemps pensé Iduméen (ou Édomite). La souffrance scandaleuse du juste est un vieux mythe mésopotamien attesté dans les diverses littératures du Proche-Orient. Voltaire et Victor Hugo avaient déjà affirmé l’arabité du héros. Assouline, insiste, toutefois, après d’autres dont Renan, sur la récupération par un auteur juif du Cheikh dont l’histoire, dans La Bible, est «profondément marquée non seulement par la langue des Psaumes, mais par les recherches spirituelles des hommes de l’Alliance ».
Job, c’est d’abord un livre, « l’un des sommets de la poésie de tous les temps », tombé comme un « aérolithe » dans la Bible (et dans l’histoire littéraire). De ce Livre où s’emmêlent prose et poésie, rien n’est sûr, ni la date, ni l’attribution, ni même la signification exacte malgré le nombre incalculable des gloses qui lui sont consacrées : « D’un problème il fait un mystère. » Son héros est l’incarnation de l’homme juste sur lequel s’abattent les malheurs. Vertueux, sans ruse ni malice, il commence son histoire comblé par la vie : femme, nombreux enfants, riche cheptel d’ovins, de bovins et d’ânesses. Puis les biens et la progéniture lui sont retirés un à un sans raison apparente. Satan a parié avec Dieu, et contre lui, que la vertu était due à la prospérité et que la perte de l’une entrainerait celle de l’autre. Mais Job résiste dans le malheur et ne cesse de bénir son Dieu. Satan obtient de toucher alors l’homme dans sa chair même et il n’est plus qu’une plaie vivante sur un tas de fumier, plus précisément une « mazbala », tapis de cendre et de poussière. Envahi par l’inquiétude de ne pas comprendre le sens de ce qu’il subit, il se rebelle. Trois amis cherchent à justifier par un vice caché le châtiment divin. Le quatrième lui reproche le blasphème de demander au Tout-Puissant des comptes. Un homme pieux peut-il accepter l’injustice divine, frappé d’une double peine, ce qu’il vit et la honte qu’il en conçoit. Mais Dieu n’a nullement à répondre de ses actes : « L’Éternel avait donné, l’Éternel a repris, que le nom de l’Éternel soit béni ! »
En choisissant Job pour « victime » (« comme disent entre eux les biographes »), Assouline cherche-t-il à rajouter au travail de Satan et de Dieu, ou en est-il la proie nommée, comme l’attestent son affirmation de « l’impossible biographie » et sa crainte de commettre « un dernier livre » ? Car on ne peut trancher si Job est un homme historique ou une parabole de la condition humaine ou croyante. On sait encore moins si ce dont il parle est un personnage, un livre ou un auteur. Et s’il ne s’agissait que de cela ! Trois religions, principalement le judaïsme et le christianisme, leurs sectes et leurs écoles ne cessent de se l’approprier par des exégèses souvent interminables. Les traducteurs, depuis l’antiquité, donnent du texte hébreu, mais infiltré de toutes les langues et dialectes du voisinage et imprégné de formes hellénistiques, des versions différentes et Assouline se plaît à sélectionner ses nombreuses citations dans les variantes françaises échelonnées sur plusieurs siècles.
Le propos du biographe de Simenon n’est pas de s’ajouter au bas de la liste des « jobologues », bien qu’il ait mené une enquête sérieuse sur les divers aspects de la question et excelle dans la description des chapelles consacrées à l’étude du Livre sacré en Terre Sainte comme en Europe. Tour à tour Pascal (le croyant), Descartes (le savant) et Montaigne (le sceptique) dans son approche, mais pas toujours dans l’ordre et le plus souvent sans exclusive d’attitude, Assouline cherche à repérer les vies infinies et continuelles de Job dans toute œuvre confrontée à l’iniquité du Destin, chez tout créateur, presque tout homme, victime d’une souffrance injuste et injustifiée. Il ne se contente pas des situations où le personnage est nommé, il quête les « correspondances » ou même les « correspondances subliminales » entre l’œuvre initiale et des poèmes, des récits, des destins de toutes les époques.
Chemin faisant, « Vies de Job » n’est plus un livre appliqué à son seul sujet, mais tout autant un livre sur le livre se faisant, d’où ces balades dans les rues de Paris, ces portraits saisissants de contemporains rencontrés, cette fête étourdissante de citations et de définitions, ces notes de lecture bien enlevées, ces razzias dans le domaine des arts plastiques et de la musique, ce mélange d’ancien et de moderne dans les expressions et le style. D’où aussi la prise de parole du biographe-critique-romancier qui nous révèle que ses deux poètes de chevet sont Celan et Darwich, que ses conversations « avec un vieux compatriote marocain » commencent en hébreu, se poursuivent en arabe et s’achèvent en français...
L’attrait du livre d’Assouline est dans la poursuite de la figure de Job comme dans son ambiance festive et créative. Mais ce dernier aspect nous semble l’emporter sur le premier au détriment de nos inquiétudes et au bénéfice de nos plaisirs. Un exercice d’innovation.

Sunday, 13 March 2011

غسان تويني الحرّ الكريمٍ







أمّا الكرم فهو وسط بين البذخ والنذالة،
وهو طيب النفس بالانفاق في الأمور الجليلة القدر،
العظيمة النفع، وقد يسمّى حرية.
أبو حامد الغزالي
ميزان العمل
( بيان ما يندرج تحت فضيلة الشجاعة)

لو كان لي أن أختاربين صفاتِ غسان تويني العديدةِ صفةً واحدةً أختصربها أبعاد شخصيته المتنوعة، لقلت إنه الكريم. وليست هذه السمة أسمى سماته، بل هي، في رأيي الشخصي، الموئلُ النفساني، لا بل الفلسفي، الذي تجد فيها السماتُ التي أهلته لدورِه التاريخي وموقعِه في الصحافة والسياسة والعمل الدبلوماسي والأدب والفنون، وحدتَها ومنبعَها ومبررَ وجودها. وليس المقصودُ هنا الكرم المادي وحسب، بل شيمةُ الضيافةِ والعطاءِ في المجالات كلها بما هي مشيئةٌ وقدر. والتجدد والتجديد وجهان من وجوه هذا الكرم الرحب. وكذلك الابتكار والخلق. والحفاظ على التراث أيضا.
يستقبلك غسان تويني في دواوينه، فيرحب بك وينوّرك ويسخى عليك بالآراء والمعلومات والتحاليل دون أن يتوانى عن سؤالك كيف ترى إلى المسائل عينها، فالكرمُ ليس في الهدايةِ وحسب، بل هو في المشورة واحترام المحاور ومناقشةِ آرائه بما يلزم من الجدية والاهتمام. و ما أن يحين موعد المغادرة حتى يبادرَ صاحبُ الدار إلى إهدائك ما فاته عرضُه في اللقاء، أو ما يكمّله و يتعدّاه إلى ميادين أخرى، فيقدّم لك كتبَه وما افتخربه من منشوراته أو حتى ما لفت انتباهه من منشورات غيره إذا رأى في ذلك ما يخدم فكرةً أو تراثا أو قيمة من القيم.
وسياسة عميد النهار في احترامِ المواهب المكرّسة واعتمادِها أساسا ثابتا، وفي اكتشاف المواهب الصحافية، وامتحانِها عبر إتاحة الفرص لها، وتوظيفها، وإبراز الاسماء الجديدة وإيلائها المساحةَ الجديرةَ بها وإيفائها حقها من الوجوه كافة، ليست هذه السياسة إذاً من باب التحديث والمنافسة والسعي للنجاح المهني فحسب، بل قد تكون، في الوجه الأسطع من وجوهها، صادرةً عن كرمٍ واثقٍ بالنفس، أمينٍ تجاه الآخرين، واثقٍ بأمانتهم، غير خائف من غيّ أو حسد. وأمين على المهنة كريم تجاهها. لذا ترى غسان تويني محاطا بأصدقاءَ من أجيال مختلفة، ومهن متنوعة، وفي طليعتهم الزملاء ممن عملوا معه وفي جريدته في مرحلة ما، أو في البدايات الصحافية، وأكملوا المشوارعلى دروب أخرى غالبا ما أصابوا فيها نجاحات مهمة. وترى أيضا بين الاصدقاء الزملاء أصحاب الصحف الأخرى. هذا ولم يكرّم أحدٌ كبارَ الصحافة في لبنان من ميشال شيحا إلى كامل مروة وأسد الأشقرومن جورج نقاش إلى فؤاد سليمان ورشدي المعلوف مثلما فعل تويني في مقالات تصدّرت الصفحة الأولى للنهار وجُمع معظمها عام 1990 في كتابه سر المهنة...وأصولها، محاضرات في الصحافة ومقالات عن كبارها. وفي عنوان الكتاب ما يبرز حرصَ المؤلف على وضع ما نشأ عليه من قناعات وما توافر له من خبرات في تصرف أجيال الصحافة الوافدة. فالمعطاءُ معلمٌ أستاذٌ بالطبع والاكتساب. وهو أيضاً تلميذٌ يقرّ بما للأوائل من أياد بيضاء. وهو أخيرا زميلٌ منصف يعترفّ بما للزملاء من سماتَ في مواقعهم المختلفة.
وكم يحفظ المراسلون الأجانب من الود لغسان تويني، أولئك الذين وجدوا فيه إلى الزميل العارف والشارح وفاتح الأبواب الموصدة،الأخَ والأبَ وبيتا يفدون إليه فيشعرون فيه بأنهم أصحابُ الدار.
وكم يقصد التويني – وهو المسؤول الأعلى في الصحيفة ودار النشر - أخصامُ الأمس، فلا يُنسى الماضي أو يُذكر مزاحا، ويكون للصرح الذي بناه غسان، أو أعلاه، رصيدُ الثقة عند الأخرين، وإقرارُهم الضمني المسبق بسمو الاخلاق، والاعترافُ المتأخر بوجاهة نظر عميد النهار ورفعتها.
وما المكانُ والمكانةُ اللذان أولتهما النهار للفكر والآداب والفنون والريادة والتجديد في حقولها منذ مطلع الخمسينات، وصار عرفا وتحصيلا حاصلا في الصحافة اللبنانية والعربية لاحقاً، من باب الحداثة والثقافة الذاتية والجماعية والسبقِ المهني وحسب، بل هو أيضا من باب حسن الضيافة والكرم على الذات والآخرين، كباراً في ميادينهم وميادين في كبارهم.
والعناية بالتراث الثقافي والتاريخي التي أفرد لها تويني بابا خاصا في النهار، تعدّت الجريدة إلى دار النهار ومؤسسة ناديا تويني ومتحف سرسق وكاتدرائية مار جرجس وما يصعب إحصاؤه من المشاريع والمؤسسات. بذل غسان لذلك أموالا وجهودا وتابعَ وراسلَ... وما يعطيه من ذاته ووقته ورصيده لتنجز الأمورُ على خير وجه يختفي داخل السعادةِ التي يبديها عند الجهد والفعل والنتائج. غسان تويني كريم على الماضي كما هو كريم على الحاضر والمستقبل.
ويفيض غسان تويني جودا بتفاؤله المستمر، تفاؤله بالوطن لبنان وبالإنسان والإنسانية. ففي أحلك أعوام العقدين الأخيرين، يوم كان الاستقلالُ في الحضيض والكيانُ يبدو في مهب الريح، لم يشّك لحظةً بانتصار الأول القريب وبديمومة الثاني. ويرسَخُ هذا التفاؤل في التاريخ والجغرافيا والمواثيق الدولية وقوة الحق و انتصارالقانون. لكنه يعتمد - في بعده الأعمق- على الإيمان بالعمل، وبالقدرة الدائمة على مواجهة قوى الظلم والظلام وهزيمتها. كل كتابات غسان، المعلن منها والمحجوب مثل الرسائل إلى الرئيس الياس سركيس، تدعو إلى "الحزم والعزم والتجاسر" وتحارب "اليأس والحزن والتشاؤم". قد يكون المتشائم كريماً بأرائه. لكنه ضنينٌ بذاته وقدرته وقواه. وبخيلٌ بما يخبئه القدر من رياحَ مؤاتية. المتفائلُ يعرف تمام المعرفة أن لرؤياه ثمنا. وأن هذا الثمنَ يأتي على حساب راحته وثروته وحياته وبالمجازفة بها. لكن هذه الرؤيا وهذه المغامرة تكرسانه صانعا لا مصنوعا، مغالبا لا مهزوما، قادرا لا عاجزا. وقديما قال المتنبي:
لولا المشقةُ ساد الناس كلّهُم الجودُ يفقر والإقدام قتّالُ
ففي التفاؤل والمشقة والمجازفة بكل شىء والثقةِ بالذات وحبِ خوض المعارك في سبيل الحق وصون الحرية ورسم المصير ما يتيح السيادةَ أي المروءةَ الحقة. وكم دَخَلَ غسان تويني السجونَ، وكم أوقفت صحيفتُه على مرّ العهود، وكم هدّدت حياتُه وتمّ الإعتداءُ على صحافييه وخطفُهم (ونخص هنا بالذكر ميشال أبو جودة الذي اعتدي عليه وخطف في زمانين متباينين)، وكم قاسى وجازف صحافيا ووزيراً ليبقى في البيروتين، الشرقية والغربية، على ما له من الأعداء في كليهما، وكان الوزيرَ الوحيدَ المتنقلَ بينهما إبّان حرب السنتين 1975- 1976 ، وكم كان جريئا ومجازفا في دبلوماسيته وفي إطار دبلوماسية دولته يوم صرختِه "أتركوا شعبي يعيش!" وعند المطالبة بإقرار مجلس الأمن القرارات المصيرية التي لم تكن تروق لا الأعداء ولا الأخوة والأصدقاء. قام غسان تويني بما قام به دون وجل أو خوف، بل بشيء من النشوة والكثير من الفرح، كما يبين في روايته لها وأحاديثه. ولو تردد في فعل ما فعله، لكانت الكآبة طغت عليه. يورد في واحدة من رسائله كلاماً ينسبه إلى سياسي أسوجي:" ثمة طريقتان للنظر إلى مسألة: أن نرى في كل إمكانية صعوبة؛ أن نرى في كل صعوبة إمكانية" (رسائل إلى الرئيس الياس سركيس1978-1982، ص 129). وتويني يرى بالسليقة في الصعوبات محفّزاتَ نفسانيةً وإمكانيات منطقية وتاريخية قابلةً للتحقيق. وهو ما يفسّر تحدياتَه الدائمة والمستمرة في مسيرته الشخصية والمهنية والسياسية.
شبّهت غسان تويني يوماً في كلامي عن قرارات مجلس الأمن في العام 1982 بأبطال المخرج السينمائي جون هيوستن: دافعُهم الأبرز "مناقبيةُ المبادرةِ" والمحاولةِ، لا النتيجةُ التي غالباً ما تكون الفشل (من محفوظات غسان تويني، 1982، عام الاجتياح، دار النهار، 1998، المقدمة، صفحة ن). راقه يومها التشبيه لما فيه من بُعد جمالي ومن وصف لعشق الفعل والمجازفة. لكن تويني ابنُ الإغريق وأرسطو بالذات. فالعملُ عندَه هادفٌ ويسعى إلى تحقيق غاية. وما يجهله معظمُ الناس هو أن غسان تويني بعد القرار 425 ومحاولات تنفيذه الفاشلة حتى الحدود الدولية في العام 1978، لم يعد يرى في موقعه الدبلوماسي في نيويورك ما يفيد القضية الإفادة اللازمة. لذا سعى بقوة للمجيء إلى بيروت، لا بل إلى الجنوب، للإشراف على هيئة تنسيق بين القوات الدولية والجيش اللبناني ولجان شعبية جنوبية تتيح تطبيق القرار الدولي على الأرض وعودة السيادة الوطنية كاملة حتى آخرِ شبر. كثر قدومه إلى بيروت وبوشرت الاجتماعات، لكن تلاقي أطرافِ الحروب الموضوعي على حساب المصلحة اللبنانية كان أشدّ وأدهى.
ويدعو غسان تويني في مقالاته إلى "الحُلم والخيال" ويطلب في نص آخر مضاعفةَ "الخيال والرؤيا والتحرك في سياستنا". فالجودُ يحفّز على التجديد في ميدان الأفكار، وعلى عدم الركون إلى ما بلي من المفاهيم والصيغ. الأمر في غاية الصعوبة كما رأى المحدثون. مالارميه تحدّث عن "أرض دماغه القاحلة والباردة"، ووضع هايدغر وفوكو "ندرة الأفكار" في قلب نظاميهما. ومن الجبهة الاشتراكية الوطنية في مطلع الخمسينات، إلى المائة يوم في الحكم في أول السبعينات، إلى الثورة الدستورية، إلى ما بعد الطائف، لم يخط تويني حرفا لم يسعَ فيه إلى الإتيان بفكرة تخدم لبنانَ والعربَ وقضية فلسطين. وربما حالَ هوسُ التجديد الدائم دون صياغته نظرية متكاملة حول الأوضاع، فكان بذلك أكثر أمانة لمهنة الصحافة منه إلى الثقافة الفلسفية التي واكبت مسيرتَه وطبعت بطابعها الكثيرَ من محاضراته.
ومن تفجّر الجود عند المفكر عنايتُه بالصياغة وحرصُه على كتابة تخرج عن الرتابة والمألوف وتسعى إلى ملامسة الشعر والدراما المسرحية، وتسلك مسالك الفن بما هو "غائية من دون غاية" و"لزوم ما لا يلزم". بدأ غسان حياته شاعرا ووجد في الشعر رفيق العمر، فلم يتصور الكتابة، سياسية كانت أم فكرية، خارج الإحساس والشعور والخيال والإيقاع والتنوع...ومن يدرس مخطوطات تويني وتصحيحاته ويقارن ما بدأ به أيُ نصٍ بما انتهى إليه يرى عملَ الجمالية اللامتناهي في كل ما كتب، وهو عملٌ مضنٍ بقدر ما هو مفعمٌ بالفرح.
آخيراً لا آخراً، لم يتجنّ الدهرُ على أحد مثلما تجنّى على غسان تويني. لن أعدد المصائب، كلكم تعرفونها. لكن أحداً لم يشبّهه بأيوب، الإنسانالعادل الذي انهمرت عليه الويلات، لأن التشبيه ساقطٌ بما لا يقبل الشك. تحدث البعض عن المآسي الإغريقية، وفي الظاهر ما يبرر الحديث. ألمُه الداخلي وهو عميقٌ عميق نظراً لعاطفيته وتعلقه الشديد بأفراد أسرته لا يوصف وهو ملكُه وحده . ظاهراُ ماذا فعل غسان تويني ؟ جابه كل مصيبة بالكرم والعطاء. رحلت ناديا، فجمع كل حرف كتبته وأخرجه أيما إخراج وناضل لتنال المكانة التي تستحقها هذه الشاعرة الكبيرة في الأدب اللبناني والفرنسي والعالمي. وكانت في إثر ذلك سلسلة باتريموان الجامعة لمؤلفات كبارالكتّاب والشعراء اللبنانيين اللذين كتبوا بالفرنسية. إغتيل جبران الصحافي الحرالجريء وكان إغتياله من آلم الإغتيالات إن لم يكن أشدّها إيلاما. وما كان من غسان إلا أن دعا إلى دفن الحقد والثأر. فكان بذلك قدراً في وجه القدر، أو إنسانا ندّا للدهر يتماسكُ ويصفحُ ويجود.
الحرية بما هي كرمٌ ، والكرم بما هو حرية، هذا هو غسان تويني، المرء الذي يعيد كل يوم تعريفَ الكرم وصياغتَه والتفضّلَ به.
أنطلياس في 13/3/2011

Friday, 4 February 2011

DU PEUPLIER AU PÈRE, UN QUINTETTE SALUTAIRE



Jawdat Fakhreddine: Fussûl min sîratî maa alghaym (Chapitres de mon histoire avec les nuages), 95pp, Riad El-Rayess, 2010.


Le propre de la poésie de Jawdat Fakhreddine, c’est une hauteur certaine qui la détache du commun de ce qui s’écrit sous le nom de poésie arabe contemporaine : la pureté de la langue, la maîtrise des rythmes traditionnels réinvestis dans une prosodie moderne, la fidélité à un moi et à une réalité saisis, sans exagération ni boursouflure, dans leur essence et leur dignité fondamentales. Mais à mesure que se suivent les recueils, son œuvre ne se contente pas de réaffirmer ses valeurs, mais porte toujours plus loin sa quête d’elle-même. Le présent livre dont certains poèmes, parus dans les périodiques ou des quotidiens (2007-2010), ont été des événements culturels dans les cercles beyrouthins, vient à point nommé non seulement pour signifier que les Œuvres poétiques ont été trop tôt réunies (Beyrouth, 2006), mais pour marquer une nouvelle borne dans un itinéraire qui ne cesse de se départir de lui-même et de se régénérer.
Le nouveau divan offre un quintette dont chaque poème se saisit d’un thème pour le réélaborer ou se réélaborer à travers lui. Du peuplier au père en passant par les feuilles d’arbre, la neige et le nuage, le périple est long d’autant plus qu’il va des déserts de l’Arabie antique aux villes nord-américaines d’aujourd’hui tout en n’occultant pas l’ancrage au sol natal, un Sud Liban saisi au-delà (ou en deçà ) de la guerre et dans la résistance à toutes les formes de violence. Mais l’ampleur de la traversée est tout entière prise en charge et assemblée par le nombre restreint des « fondamentaux » du chant (la nuit, la terre, la vie, la mort, l’amitié…) et par la mission même de la poésie jamais à ce point exaltée par le poète : « Par elle et en elle, je sens la vie s’étendre et se multiplier de jour en jour. »
L’arbre à la taille haute et à l’écorce lisse est le compagnon de l’auteur, son miroir : « Le peuplier était plus grand que moi quand je me flétrissais/et un peu plus petit que moi quand je m’épanouissais/mais il était comme moi frêle et précaire/et comme moi retenait la trace des blessures. » L’harmonie se tisse entre eux nourrie de la ressemblance physique, de la parenté éthique et formelle, de leurs heurts et renvois dans un milieu commun où guette l’obscurité et sauve le lyrisme: « Quand la nuit m’a promené/ la Terre se révéla peur de gazelle, berceau de mirages, écho de chansons. »
Puis après deux belles œuvres consacrées, la première, aux feuilles mortes et à leurs arbres qui « forment et voilent » les villes dans un « jeu » où le soleil perd toujours, et la seconde à la neige « miracle de la couleur et lumière de l’absence », survient le plus long des poèmes du recueil, celui qui donne à l’ensemble son titre. La thématique du nuage, si présente dans la poésie contemporaine, y est ici travaillée et retravaillée. Elle ouvre à Jawdat Fakhreddine, tout au long de sa vie et de l’enfance à la vieillesse, un destin immatériel, sans fin ni but ni mémoire, tout de légèreté, d’innovation et de naissance perpétuelle des formes. La droiture et la morale n’ont plus leur raison d’être : « La forme/le nuage la fait et la dissipe. /Dans les nuages/je vois toutes les formes/et toutes sont là pour se dissiper/et pour soulever la poussière des naissances. /Est-ce là un jeu à voir/pour aller au travail sans désespoir ?/La forme/ c’est ton jeu insensé O nuage. » Le long compagnonnage, fait de complicité et de malentendus, entre la nuée et son ombre pitoyable, le créateur, arrache le poème à l’abstraction, le pourvoit de sa sève nourricière et en font un chef d’œuvre à traduire dans toutes les langues.
Le dernier poème du recueil évoque la mort du père des suites d’une longue maladie. Sans pleurnicherie ni ambivalence œdipienne, avec un art consommé de la litote, le poète dresse un hymne à l’amitié, au bonheur et à l’éternité profane: « Ensemble/ peut être nous souviendrons-nous dans un jour à venir/des ombres d’un soir accueillant nos rencontres/ et nous réunissant pour un temps au préambule perdu/ à un nombre restreint d’amis/au bord d’un jardin ancestral/ Peut être nous souviendrons-nous dans un jour à venir/des ombres d’un soir accueillant un sens de l’amitié/ assumé par la poésie… »
Dans la plus récente de ses œuvres, Jawdat n’oppose pas à un spleen affadi un idéal vague et hors de portée, comme la tentation lui a naguère pris. Se référant plus d’une fois explicitement aux vocables et métaphores d’Imru’ al Qays et de Mutanabbi et les intégrant dans sa poésie sans qu’un écart quelconque ne se creuse, il saisit, dans la réalité même, le champ de l’affirmation de soi, de la joie et de l’espoir. Ce champ bien terrestre est imbu de nuit mais traverse la mort même.

LES VILLES ET LEURS MOTS


L’aventure des mots de la ville à travers le temps, les langues, les sociétés sous la direction de Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule et Brigitte Marin ; 1500pp, Bouquins, Robert Laffont, 2010.

On peut estimer trop long le titre d’un ouvrage destiné à servir longtemps de référence et peut être induire que l’intitulé d’un livre doit être inversement proportionnel au nombre de ses pages. Mais cette longueur trouve, sans doute, sa raison d’être dans le double usage qu’on peut faire de cette somme de 264 articles écrits par 160 auteurs pendant plus de dix ans : d’une part, un dictionnaire, quoi qu’en dise le principal maître d’œuvre, auquel se réfèreront tous ceux qui s’intéressent à la ville, à son histoire comme à son présent; d’autre part, un lieu de flâne dans le pays urbain où chacun peut tracer son cheminement propre dans les mots, les espaces, le temps, les langues, les aires culturelles, les nuances décisives et les belles différences.
Partons par exemple du mot français « Place » qu’on trouve à sa place ( !) dans l’ordre alphabétique. Après les définitions des dictionnaires des XVII (particulièrement celle polysémique et riche de Furetière) et du XXème siècles, nous apprenons que le terme, issu du latin et du grec où il signifiait « large », a sa première occurrence française dans La Chanson de Roland (XIIème siècle) et s’est toujours caractérisé par un « flou lexicographique qui…n’a pas manqué d’entretenir les ambiguïtés ». Exemples urbains à l’appui, nous voyons comment cette « dilatation de l’espace contrastant avec le réseau des rues » requérait au Moyen Age la protection d’une réglementation urbaine, municipale ou royale, particulièrement « contre l’envahissement des halles ». Sous Henri IV, la Place Royale (actuelle Place des Vosges), édifiée en 1605, fut conçue pour servir de « proumenoir » aux parisiens et pour les grands rassemblements « aux jours de réjouissance ». Désormais les Places royales (avec lesquelles coexistent des modèles anciens et se développent d’autres nouveaux) ont 3 caractères énumérés par Roger Chartier : 1) elles sont fermées et faiblement raccordées aux rues ; 2) elles sont vouées à une activité ‘publique’ (change, commerce…) ; 3) elles reçoivent après coup une statue du roi. Avec Louis XIV, la Place est d’emblée conçue pour accueillir la statue ; « l’ordonnance de l’espace » se diversifie : le cercle, le demi-cercle et l’octogone succèdent au carré et au rectangle ; la Place reste toutefois à l’écart des grandes voies de circulation. C’est sous Louis XV que les Places commenceront à s’ouvrir et la tendance se parachève sous l’ère Haussmann (Second Empire). Mais à partir du XIX ème siècle, le mot prolifère et les espaces qu’on qualifie de Places « ne sont autre chose que certains élargissements de la voie publique résultant de l’entrecroisement de plusieurs rues(…) » (M. Darin). Le flou du mot et la dévitalisation de la chose expliquent, pour les auteurs de l’article concerné, L. Bauer et J-C. Depaule, que pour les villes et quartiers nouveaux on préfère les termes Parvis, Esplanade, Agora, Forum, Piazza…
Le terme Place avec ses particularités hexagonales ne recouvre ni la Piazza italienne, ni le Platz allemand, ni la Plaza espagnole, ni le Square anglais, ni les correspondants russe ou portugais du mot. Chacune de ces désignations pointe une histoire et des traits originaux. Les vocables voyagent et les emprunts sont continuels, mais les mésusages et les recréations de nouvelles significations ne cessent jamais. Le propre de L’aventure des mots de la ville est de traiter des mots de sept langues européennes - l’allemand, le français, l’italien, le russe, l’espagnol, le portugais, l’anglais, - en accordant leur importance aux variantes américaines pour les trois dernières. L’agréable surprise de l’ouvrage est de retenir l’arabe (et de le retenir seul !) à côté des sept langues européennes en raison de l’intensité des interactions entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. Argument décisif, certainement, auquel il faut ajouter probablement la profonde connaissance qu’a de notre région, et de ses villes, l’un des éditeurs de l’ouvrage, l’anthropologue Jean-Charles Depaule, et les nombreuses amitiés qu’il s’y est faites et dont plusieurs se retrouvent au nombre des collaborateurs du livre.
Si on passe au correspondant arabe de Place, le terme Sâha, on retrouve chez le lexicographe de l’époque mamelouk Ibn Manzûr (XIIIe s.), deux des traits de la Place médiévale européenne : une certaine étendue et un espace entre les maisons d’un quartier. L’adoption contemporaine de l’appellation, qu’elle soit d’importation ou de patrimoine, participe de la redéfinition des espaces publics : lieux accessibles à tous et gérés par les pouvoirs publics. Au Caire, on utilise plutôt que Sâha, le mot Maydân (qui a été importé au Yémen où le terme Sarha reste courant) généralement lié aux exercices et joutes équestres, et désormais utilisé comme toponyme à Damas ou ailleurs (Zahlé, Zghorta…) (cf. l’entrée Maydân signée Brigitte Marino). Aussi n’est-il pas étonnant de voir dans l’article Saha, son auteur Depaule se référer à Mahfouz, Abdul Rahman Mounif, Rachid El-Daïf, Chawqi Douaihy.
Le périple entamé pourrait continuer à l’infini, passer par Sûq (Frank Mermier), Zuqâq (Samia Naïm), Dâhiya(Mona Harb), Hayy, Mahalla (Nicolas Puig), Madîna (Jean-Claude David), ‘Asima (A. Moussaoui)…, sortir du domaine arabe pour les langues européennes, il est toujours instructif et, sans jamais tomber dans la facilité, passionnant. Le sociologue, le géographe, l’anthropologue urbain et l’historienne qui ont veillé sur le livre ont réussi le pari de remuer et de refonder les mots que les habitants des villes utilisent dans le quotidien pour définir leur espace et tenter de le changer.
Le seul reproche qu’on peut faire à cet opus, au-delà de points de détails toujours ouverts, c’est son austérité éditoriale et l’absence de toute iconographie. De quoi préférer à ses randonnées celles si animées des villes mêmes.

Tuesday, 11 January 2011

« POUR SALUER UN OISEAU LIBRE » OUNSI EL HAGE et FAYCAL SULTAN



La rencontre d’Ounsi el Hage avec les arts plastiques et notamment la peinture allait de soi et prenait source autant dans sa poésie que dans son rôle capital dans le paysage culturel (il fonda en 1964 Al Mulhaq , le supplément hebdomadaire du journal An Nahar, et le publia jusqu’en 1974 régentant une part importante de la vie des Arts et des Lettres de Beyrouth). Né en 1937, il contribua, à vingt ans, avec Youssef al Khal et Adonis à la fondation de la revue poétique Shi’r. En publiant dans les éditions de cette dernière ses deux premiers recueils, Lan (1960) et La tête coupée (1963), il introduisait le poème en prose dans la langue arabe et se voulait le poète le plus radical du groupe, invoquant l’itinéraire d’Artaud et s’opposant violemment à toutes les formes éprouvées de la tradition.


A partir du milieu des années 1960 et surtout dans la décade qui suit, le « démon de la modernité » devient furtivement le « prophète de l’amour ». L’iconoclasme, la provocation et l’hermétisme des deux premières œuvres font place à un lyrisme rénové par une dimension spirituelle nourrie du Cantique des cantiques (qu’il présenta et redistribua, accompagné d’aquarelles de Paul Guiragossian, Dar annahar, 1967), de la Genèse, et retrouvant la fibre profonde des traditions locales libanaises. Ce changement est net dans Qu’as-tu fait de l’or qu’as tu fait de la rose (1970), mais atteint son plein épanouissement dans La Messagère aux cheveux longs jusqu’aux sources (1975), recueil illustré par le même Guiragossian, et où la Femme accède à une « dimension métaphysique » (Sarane Alexandrian).


La guerre du Liban et ses suites guident le poète vers une phase de désenchantement. Al Walima (Le banquet) (1994), dont Ethel Adnan fit un exemplaire peint superbe, accomplit l’art poétique d’Ounsi el Hage et se ressent douloureusement de l’impasse historique où désormais le pays et la région se trouvent. Un livre de contemplations philosophiques et d’aphorismes en plusieurs volumes suit, Khawatem (Anneaux). La prose de l’auteur est désormais d’une limpidité, d’une concision et d’une intensité classiques.


En février 1999, le peintre Fayçal Sultan, très attentif aux grands penseurs et écrivains arabes et à leurs créations, consacre une exposition entière à la galerie Janine Rubeiz au poète dont il se sent très proche, Ounsi el Hage. Des acryliques sur toile, d’autres sur papier rehaussés d’encre de chine, des lithographies…sont regroupés sous le titre : « Pour saluer un oiseau libre », intitulé par ailleurs d’une des séries. Empruntant à Kandinsky, à Matisse, à Picasso…mais imprégné de la magie de l’Orient, faisant appel à des couleurs pastel, utilisant parfois des phrases du poète non calligraphiées selon les canons officiels pour rester proche du sens, l’artiste cherche à recréer librement le monde du poète, à illustrer les thèmes de la liberté, de l’amour, de la Femme, à ouvrir des voies sur une connaissance plus immédiate et plus directe de textes déjà en guerre contre la rhétorique et le dogmatisme.

LES COMBATS ININTERROMPUS D’ESPRIT



A l’heure où le numéro de décembre 2010 de la revue Esprit n’a pas été mis en vente dans les kiosques parisiens et français suite à un mouvement de grève de l’organisme chargé de sa distribution ainsi que celle de nombreux périodiques, nous tenons à saluer celui de novembre particulièrement riche et au dossier central duquel « Que devient la guerre au Proche-Orient ? » a pris une part active notre collègue à L’Orient littéraire Rita Bassil El Ramy.


Fondée en 1932 par Emmanuel Mounier, père du personnalisme, cette revue intellectuelle « philocommuniste » dans l’après guerre et jusqu’à la mort du fondateur (1950) passa doucement, et sans renier ses affinités fondamentales, d’une identité philosophique bien marquée par un engagement chrétien et des options générales de gauche à la fonction de carrefour des divers courants intellectuels. Dirigée par des noms prestigieux (Albert Béguin, Jean-Marie Domenach, Paul Thibaud), elle sera pour longtemps (nous n’osons pas dire « toujours », vu les aléas de l’édition et les incertitudes du « livre ») associée au travail de pensée de Paul Ricoeur qui l’associa à ses prises de position intellectuelles en y écrivant régulièrement.


Depuis 1989, Olivier Mongin dirige Esprit et lui imprime un dynamisme hors pair qui la place au cœur des débats intellectuels les plus importants de notre époque et la remonte dans les chiffres de ventes (elle imprime deux fois plus que lors de sa prise en charge, frôlant les 10,000 exemplaires). On ne voudrait pour preuve de sa vigueur que le nombre de ses articles dans un même numéro, la diversité des champs dont il traite (le rire, le cinéma, l’urbanisme… en sus de l’engagement pour les libertés et contre toutes les formes de ségrégation, d’inégalité sociale et d’oppression) et surtout les vertus d’une pensée honnête, intégratrice et innovante. Comme l’amitié est au cœur de la réussite d’une revue intellectuelle, on ne peut passer sous silence la qualité de la sienne et le rôle important qui revient à ses amis dans le combat éditorial et social.


Le point de départ du dossier proche-oriental, pivot du numéro de novembre, est le constat suivant : « Comme on observe plus que jamais un enchevêtrement de situations locales, nationales, régionales et internationales, on en conclut facilement à l’immobilisme des acteurs locaux tout en attendant la prochaine explosion comme une fatalité.» Pour refuser la démission intellectuelle et éthico-politique, et pour réaffirmer que « le Proche-Orient n’est pas une terre condamnée à la guerre et à la théocratie mais un espace historique où la politique doit retrouver un sens », le dossier cherche à ouvrir trois perspectives : montrer le changement des rapports intervenu entre les protagonistes et à l’intérieur de chacun d’eux suite notamment à la modification de la nature de la guerre (fin de l’idée d’une « guerre propre » du coté israélien (Roger Nabaa), nouveau rôle primordial des populations civiles (A. Margalit et Michael Walzer), changement du rapport des forces et des formes de confrontation); retour sur le passé opéré par les historiens (très intéressante confrontation entre Henry Laurens et Avi Shlaim) et par des hommes de lettres d’une grande sensibilité (Elias Sanbar commente finement son Discours amoureux de la Palestine et redonne aux mots un sens capital « plus pur », en attendant les retrouvailles totales des peuples libanais et palestinien auxquelles il ouvre la voie); évocation du problème de la reconstruction de l’Etat au Liban (Samir Frangié), question souvent éludée mais incontournable pour l’avenir de toute la région.


Les revues papier ont-elles un avenir? Les tirages actuels de revues aussi prestigieuses que La Nouvelle Revue française, Critique, Annales …sont loin de laisser optimistes. Le numéro d’Esprit montre comment on peut prendre le taureau par les cornes et contribuer utilement à un débat qui ne cesse d’ensanglanter et d’empoisonner la scène mondiale depuis près d’un siècle. Mais l’indépendance sur le plan économique et rédactionnel n’est pas sans risques à l’heure des spectacles et des mascarades germanopratins. Ne nous contentons pas donc de vœux pieux et offrons, comme nous le suggère la rédaction de la revue des « cadeaux sérieux » : un abonnement couplé papier et revue en ligne.

Saturday, 4 December 2010

LA PERRENITE DE LA MAISON MESSARRA


Antoine Nasri Messarra: Leçons particulières, Souvenirs et récits de vie, 379pp, Librairie orientale, Beyrouth, 2010.

On sort du dernier livre d’Antoine Messarra comme d’une musique du chambre ; ou peut être faudrait-il dire musique de maison, vue la place de cette dernière (à la fois bâtisse et maisonnée) dans l’ouvrage. On est dérangé, certes, par de nombreuses cacophonies : le fait que l’ouvrage se présente comme copie conforme d’une série sociopolitique dont l’énumération des seuls titres tient en huit pages ; les répétitions non seulement d’un écrit à l’autre, mais à l’intérieur d’un même texte ; les quelques inexactitudes que seule peut expliquer la hâte (le Cénacle libanais ne se situait pas « à la place Béchara el-Khoury » ; Ce n’est pas d’Avicenne qu’il est question dans Al Massir de Chahine…) ; mais surtout le fait de n’avoir pas refondu des pages éparses en une synthèse littéraire à la mesure du contenu et de n’avoir pas amené le tout au niveau de ses intensités maximales et nombreuses. Mais ces réserves ne sont que des taches d’ombre dans la lumière d’un témoignage de haute envolée sur soi, sa culture, sa foi, sa famille, sa maison, Beyrouth…Le théoricien du consensus et de la société de concordance donne ici la parole à l’individu en dialogue avec sa propre personnalité et engagé dans ses réseaux familiaux et urbains. Cela nous donne l’opportunité de lumières nouvelles, de liens nouveaux et d’un vrai plaisir du texte, voire d’une conversation avec des digressions, des analyses, des détails piquants, des anecdotes historiques.
Des écrits spéculatifs à la confession personnelle, la distance n’est évidemment pas énorme et on retrouve dans le vécu d’Antoine les lignes directrices du style de pensée de Messarra. L’auteur par ailleurs affirme que le « récit de vie » devrait être une « méthode privilégiée dans les sciences humaines » surtout en ce qui concerne « le lien social ». Mais si la sérénité, l’optimisme et l’insistance sur les aspects positifs du devenir historique trouvent leurs homologues dans la convivialité beyrouthine, pouvait-on soupçonner certains événements tragiques du destin de l’auteur (mort de sa jeune mère alors qu’il n’a que 8 ans ; décès de son père lorsqu’il est en classe de 4ème …) ?
Au-delà d’une enfance vécue à l’ombre d’un père employé à la Compagnie du port de Beyrouth et dont il égrène les souvenirs, de la fréquentation d’un café au bord de la mer à l’approvisionnement en fruits et légumes à Souk Nourié, l’auteur est attentif à la vie d’un quartier qu’on appelait , dans les années 1920, le quartier Messarra et qui prend place entre l’église du Saint Sauveur et le petit collège des jésuites. Il surveille tout ce qui s’y passe : la disparition des petites boutiques de quartier qui affaiblit la civilité, le changement de fonction des balcons…Mais ce sur quoi porte essentiellement son attention, c’est cette résidence de la rue Abd el-Wahab el-Inglizi située à cinquante mètres de la ligne de 1a ligne de démarcation des années 1975-1990, mais ignorante des divisions « visibles et mortelles » qui déchiraient Beyrouth ou tentaient vainement de le faire. Cette maison s’ancre dans la durée et six générations de Messarra, depuis la fin du XIXème, s’y sont installées. La confiance d’Antoine est telle qu’il inclut dans son énumération deux générations du futur : ses enfants et ses petits enfants. Cette résidence est, en outre, « l’œuvre des femmes »et on ne peut qu’être sensible aux nombreux témoignages d’amour d’Antoine à Evelyne, véritable âme du foyer.
Beyrouth, cité conviviale par excellence, intègre et rassemble mais n’en est pas moins menacée par sa réussite (déplacement des cimetières et disparition des jardins publics ?) comme par les groupes qu’elle n’est pas parvenue à s’assimiler et qui pourraient casser la ville ou la multiplier. On comprend l’irritation d’Antoine Messarra face à ceux qu’il appelle des « hordes » ou des « étrangers », mais on ne peut que noter que trop nostalgique en ce qui concerne le passé de sa ville, il se trouve ici en porte à faux quant à sa puissance d’intégration.
Nous n’avons pu passer en revue qu’une partie de cet ouvrage extrêmement riche où on lira des textes délicieux sur Bach, Descartes, Sainte Thérèse de Lisieux… Qu’il nous suffise de signaler les multiples fonctions qu’y revêt l’écriture : un acte de « gratitude», un chemin de « droiture », un « exercice nécessaire de citoyenneté et d’urbanité »…

LA SPLENDEUR DES SURSOCK


Dominique Fernandez: Palais Sursock Beyrouth, Préface de Yvonne Sursock Lady Cochrane, Photographies de Ferrante Ferranti et Mathieu Ferrier, Philippe Rey, Paris, 2010.
Il est une phrase de ce somptueux ouvrage qui fait courir un froid dans le dos : « Dieu seul sait ce qu’il adviendra de cette propriété, encerclée de plus en plus par d’ignobles tours(…)Elle constitue encore le seul espace vert du quartier(…)Mais elle demeurera dans le souvenir de ceux qui l’ont connue, l’image d’une époque où la civilisation et l’art de vivre faisaient partie du quotidien. » Elle figure aux dernières lignes de la préface de Lady Cochrane, héritière en troisième génération du domaine, et dont, depuis des décennies, « l’extraordinaire vitalité se fond miraculeusement dans le silence moelleux de sa demeure… », comme dit Dominique Fernandez dans un texte où l’envoûtement quasi religieux ne gomme jamais l’esprit critique. On pensait le livre un No Trepassing, serait-il un Adieu ou un prélude à Autant en emporte la Spéculation ? Les Libanais assisteront-ils comme à une fatalité, dans quelques décades ou quelques années, à la disparition du plus prestigieux palais de Beyrouth ou sauront-ils, Etat et citoyens ensemble, le défendre becs et ongles ? Ce livre est le meilleur plaidoyer pour une maison et un jardin qui, pour avoir été longtemps réservés à une élite, sont désormais inscrits au patrimoine de chacun.
Les Sursock n’appartenaient pas aux 7 familles, plus ou moins légendaires et toutes grecques orthodoxes, de Beyrouth. On relate même qu’à l’origine, on les snoba. Mais ils s’imposèrent vite comme les plus munificents, les plus attachés aux arts et aux raffinements de la vie et de la culture, et ils donnèrent leur nom au plus aristocratique quartier d’Achrafieh. Recevant les puissants de l’empire ottoman et du mandat français, ils eurent cette singularité au Liban de ne point s’occuper directement de politique (cela les conduisit, par contre, à « l’irresponsabilité » dans la vente des terres en Palestine ). Mais ils utilisèrent leurs relations pour prendre directement en main la municipalité de Sofar et donner à ce village un plan directeur qui, un siècle plus tard, en fait l’une des plus belles villégiatures de la Montagne.
Le Palais fut construit en 1850 par Moussa Sursock (1815-1886) qui s’y installa retour d’Egypte, sur les instances de son épouse Anastasia Dagher. Bâti sur une ancienne nécropole et donnant de haut sur la Méditerranée, il serait l’œuvre de maîtres maçons et non de grands architectes, ce que mettent en doute certains éléments de construction importés, en l’absence d’archives. Blanc à l’origine comme on le voit sur les photos de l’Avant guerre mondiale, Donna Maria Serra de Cassano, épouse Alfred Sursock, et mère de l’actuelle propriétaire, l’a fait recouvrir d’un enduit brun. Concentrée sur un hectare, la propriété réunit la presque totalité de la flore méditerranéenne.
La maison vaut moins par les chefs d’œuvre artistiques qu’elle recèle (a l’exception des Daoud Corm, Habib Srour, Alfred Sursock…la plupart des toiles sont de l’école de… ou attribuées à…) que par une atmosphère unique où les tapis de Turquie et de Perse, les tapisseries des Flandres, les boiseries de Damas, les cristaux de Bohême, les plafonds et les colonnades…dégagent une harmonie dont se sont nourries, sans l’égaler, la plupart des belles demeures libanaises. Fernandez affirme qu’elle fait penser à Henry James par son côté « feutré, mystérieux, crépusculaire » et à Marcel Proust pour la haute noblesse et la domesticité. Mais d’autre références plus justes seraient à trouver.
Il faut rendre enfin hommage à la photographie de Ferrante Ferranti et de Mathieu Ferrier pour le détail et le jeu de lumière de leurs prises. Comme il faut dire le plus grand bien du chemin de fer de Louise Brody (Conception et mise en page) qui vous familiarise avec une architecture complexe et vous guide par la main dans son dédale. Vous pénétrez par la porte sud qui donne sur la rue et vous montez les étages pour retrouver la façade Nord qui donne sur le jardin et la mer. Quant à l’escalier central, il ne peut qu’évoquer le film de Welles, The Magnificent Ambersons et toute la symbolique baroque à laquelle il s’attache.
Les Sursock qui ont tant fait pour aider les Libanais à se définir dans leurs goûts méritent qu’on défende vigoureusement leur patrimoine.

L’IMAGINAIRE FRANÇAIS AU DÉFI DU LEVANT


Marie-Thérèse Oliver-Saidi: Le Liban et la Syrie au miroir français (1946-1991), 394pp, L’Harmattan, 2010.


Le livre copieux que vient de publier Marie-Thérèse Oliver-Saidi sur le Liban et la Syrie dans l’imaginaire français, de l’indépendance de ces pays à la dernière décennie du siècle dernier, ne manque pas d’attraits. Son angle d’attaque est séduisant : deux pays voisins appartenant à un même ensemble arabe et riches de toutes les ambiguïtés d’une fraternité trop rapprochée réunis dans un même miroir, celui de l’ancien pays mandataire qui a peu ou prou assimilé son expérience coloniale ou crypto coloniale. Le foisonnement de la période étudiée en changements, défis et guerres est patent. Enfin, la documentation de l’auteure est ample et cherche à couvrir bien des registres de la politique à l’idéologie et du roman à la poésie…
Mais si le projet général est séduisant, nombre de ses fragments sont délicieux. On en voudra, pour preuve, la partie consacrée au Liban des années 1960 à travers une dizaine de romans policiers parus à l’époque. Au-delà ou en deçà des stéréotypes nombreux et du pittoresque tape à l’œil, l’auteure cherche à la suite d’Umberto Eco, le « réseau d’associations élémentaires » et la « dynamique profonde et originelle » qui sous-tendent l’intrigue. Ainsi passe-t-elle en revue la description que donnent ces œuvres des paysages, leur perception de Beyrouth et de ses ruptures urbaines, leur utilisation des « lieux » comme vecteurs de dépaysement et comme théâtre d’épreuves. « Souks, palais, bains, leur présence consacre l’appartenance reconnue du pays à l’Orient. Elle investit aussi bien l’organisation de l’espace que la représentation sociale, le rapport au temps à l’argent ou au corps ». Cette litanie orientale est, par ailleurs, un maillon entre les vestiges antiques et les points modernes (casinos, banques, cabarets…) Les personnages ne sont pas oubliés où s’affirment les communautés et leurs tropismes, les affaires plus ou moins louches, l’élément féminin dans sa dichotomie orientale (la sultane et l’esclave). Le roman policier fait en définitive ressortir, à travers ses clichés et sur fond de lutte Est-Ouest, un Liban complexe et plus d’une œuvre (celles de Jean Bruce en particulier) devient une parodie de voyage en Orient et de quête initiatique.
Malheureusement l’ouvrage recèle de nombreuses erreurs qui portent leur ombre sur une aussi vaste entreprise. Passe encore le fait de confondre systématiquement Jean Grenier (auteur d’Un été au Liban) et Roger Grenier, de renvoyer à un article de Chiha paru dans L’Orient ; mais que dire de «en 1947, le patriarche maronite de Beyrouth, Mgr Hayek » (erreurs sur la fonction et le titulaire) ? ou « des articles de Georges Naccache dans Al-Nahar » ? ou de Georges Schehadé formé à l’Ecole Supérieure des Lettres ??!! (et quelle distorsion pour son œuvre poétique parue en grande partie dans les années 1930 et 1940 et qui n’a jamais prononcé le mot Liban de la voir ravalée à un miroir de ce pays durant les années 1960 ?)
Mais là où le « miroir français »se brise, c’est quand, sans justification sérieuse, le témoignage des autochtones, écrivant en français ou même en arabe, lui est annexé et que les romans et recueils des Syriens et surtout des Libanais prennent dans le livre une place prépondérante.
L’ouvrage compte certes des faiblesses, il n’en demeure pas moins une contribution importante à l’histoire du rapport des 3 peuples et se lit avec un plaisir certain.