La photo date de la veille de la Guerre du Liban mais fait la pleine page 25 d’un livre savoureux* qui vient de paraître et qui veut tout à la fois ressusciter la mémoire d’un père attaché, et avec quelle méticulosité, à sa cité et du centre-ville de Beyrouth tel qu’il s’est donné à voir et à vivre dans les décennies d’avant guerre riches de joies et couveuses d’orages. Elle est de Georges Sémerdjian (1948-1990), photographe du quotidien An Nahar qui a payé de sa vie son art et son métier. Moins d’un demi-siècle a fait disparaître ce monde plus sûrement que les cendres du Vésuve les maisons de Pompéi.
L’image montre dans un clair-obscur trouble la dernière portion de la Rue de Damas, celle qui reliait la place Debbas, de moyenne dimension, à l’immense place El Bourj. Rue obscure d’être étroite, à sens unique, elle va vers la mer, alors obstruée à la vue des piétons par l’immeuble Rivoli, le nord, l’étendue et la lumière. Entourée de trois prestigieux cinémas sur la voie du déclin à l’heure de l’apothéose de Hamra, elle est captée à une heure matinale où les séances n’ont pas commencé, le rêve est au point mort et le moment au labeur quotidien et aux balayeurs. La propreté matérielle, déjà en mal dans son rituel municipal, est profanée d’une souillure morale : La Ragazzina (film italien aux portes du porno de 1974) devient sur l’affiche racoleuse Al Qazira, la sale ou la salope.
Etroitesse et espace, clartés et ombres, rêve et labeur, mouvement et halte, nettoyage et salissures, essor et déclin…Que d’oppositions et d’alliances sont tissées en cette aurore beyrouthine qui appelle la nostalgie sans se faire regretter vraiment !
*Gabriel Rayes – Tania Rayes Ingea: Beyrouth, Le centre-ville de mon père, Les Éditions de la Revue Phénicienne, 2011, 212 pp.
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