Friday 4 January 2013

LE LIBAN AU CONSEIL DE SÉCURITÉ 2010-2011 : NAWAF SALAM


Le Liban est-il un mythe ou une réalité ? ou un État schizophrène passant continuellement du rêve d’être une république distincte par ses élites et son peuple et digne comme telle de veiller aux destinées des nations à la réalité d’une entité incapable de se gouverner elle-même et toujours en quête d’une puissance ou d’un consensus international qui lui apportent de l’extérieur la paix, l’intégrité du territoire et la sécurité ? Dans le livre composé par lui pour rendre compte des deux années de  présence du Liban au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies comme membre non permanent et  comme représentant de la communauté des États arabes (il fut élu pour les années 2010-2011,  le 15 octobre 2009 par 180 voix sur 193, succédant à la Lybie 2008-2009 et au Qatar 2006-2007 et retrouvant un siège qu’il occupa en 1953-1954), l’ambassadeur Nawaf Salam relate la question telle qu’elle se posa en termes d’opportunité politique à l’approche de la candidature du pays au siège onusien alors que l’ élection était déjà acquise suite aux appuis et aux ralliements.  « Certains hommes politiques libanais, relayés par bien des analystes et des éditorialistes, ont appelé le gouvernement à retirer la candidature du Liban sous prétexte qu’il n’avait aucun intérêt à faire partie du Conseil de sécurité car cela ferait de lui un objet de pressions facile et approfondirait ses dissensions internes (…) Telle fut aussi l’attitude de quelques grandes puissances qui intervinrent auprès des responsables de Beyrouth pour revenir sur une candidature posée en 1996 et qui avait fait son chemin en ralliant à elle les pays arabes (1997), le groupe asiatique et l’organisation du congrès islamique (2008). Elles affirmaient que le siège convoité ne serait d’aucune utilité au Liban et peut être craignaient-elles que sur des dossiers sensibles il s’écarte de leurs intérêts ou positions. »  Mais se ranger de ces avis, poursuit Salam, « ne signifiait rien de moins, pour le concert des nations, que l’un des termes de l’alternative suivante : ou bien le Liban est un État failli ou bien son gouvernement est d’une totale impuissance. » Pour l’avoir compris en 2009, les présidents Suleyman et Siniora « ont soutenu le projet jusqu’à son terme, jusqu’à l’élection. »


l'ambassadeur Nawaf Salam parlant au nom du Conseil de Sécurité 

          Quel bilan tirer donc de l’occupation de ce siège pendant 2 ans? Salam ne nie pas « la pertinence de certaines craintes formulées par ceux qui émettaient des réserves », mais pour ajouter que « toute décision politique comporte avantages et désavantages ». Il enchaîne en dressant l’inventaire suivant : « La présence du Liban au Conseil de sécurité fut pour notre pays l’occasion de montrer à tous les États du monde, et du haut de l’instance internationale suprême, qu’il est en train de retrouver sa vitalité et de redevenir un état doté d’une politique étrangère indépendante et capable de prendre part à l’élaboration des décisions internationales. Alors que l’image dominante du Liban était celle d’un pays divisé, envahi, repaire du terrorisme local et international, champ idéal pour ‘la guerre des autres’, il devenait un acteur de plein pied. Il n’était plus un simple dossier sur la table du Conseil de sécurité, mais devenait un décideur derrière elle. »
          Confronté à l’idée que le Liban ne cessa pas durant cette période d’être survolé quotidiennement par l’aviation militaire israélienne, que les 2 résolutions 1559 (2004) et 1701 (2006), pour ne pas parler d’autres plus anciennes, n’étaient pas pleinement appliquées et faisaient l’objet de débats au sein du Conseil, l’ambassadeur -conforté par les arguments réitérés dans ses discours et mémorandums qui tous insistent sur les droits imprescriptibles du Liban, sur sa politique en faveur de l’application des résolutions internationales, sur le consensus libanais vis-à-vis des questions majeures,  sur les agressions permanentes d’Israël à tous les échelons- rétorque : « Les 2 années passées au Conseil de sécurité ont permis à la délégation permanente du Liban d’exposer son point de vue et de plaider sa cause directement, sans recours à des intermédiaires, comme d’aider à amortir les pressions internationales qui s’exerçaient parfois sur le pays. » Il narre comment le Liban fut à cette époque objet d’attentions de bien des états et combien les émissaires nationaux qui avaient besoin de sa voix pour les votes concernant leur  cause venaient le solliciter,  ce qui le pourvoyait d’ « d’une plus value internationale. » Mais surtout il montre comment un certain doigté diplomatique permettait, dans la question du Tribunal spécial pour le Liban par exemple, de sauvegarder les principes du Droit tout en ménageant la délicatesse du consensus (ou de l’absence de consensus) libanais sur le sujet (détails in pp. 124-126 de l’ouvrage).
          Le Liban jouirait-il d’une quelconque aura dans le monde comme se plaisaient à le penser certains Libanais avant la guerre et même au-delà et à quoi serait-elle due ? « D’une part, la crédibilité du Liban est toujours très grande dans la plupart des pays arabes et la haute qualification de ses diplomates continue à être reconnue par ces pays qui l’ont  souvent éprouvée dans les instances internationales et ailleurs. D’autre part, le Liban, plus qu’un autre, a l’oreille de bien des pays même occidentaux. » Puis il ajoute, abordant une question de fond : « Comme le Liban est au centre d’une région continuellement embrasée et comme c’est un petit pays et la  proie éventuelle des visées d’Israël, il lui est nécessaire de se doter d’une diplomatie agissante et de maintenir une forte présence dans les instances internationales qui aident à le protéger et viennent compléter la nécessité de renforcer son unité nationale et de développer  ses forces de défense. »
          Quelles ont les faits marquants des années 2010-2011 et quelle a été la politique libanaise à leur égard ? « Ce fut une période riche en événements et intense en activités (réunions, visites sur le terrain, déclarations et résolutions) de la part du Conseil de sécurité. Elle fut prédominée par les questions arabes de la Palestine au Soudan en passant par la Libye et la Somalie. Comme le Liban était le seul membre arabe du Conseil, on peut imaginer l’ampleur de ses responsabilités et la variété de ses interventions. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la place qu’y ont tenues les questions thématiques et transnationales relatives à la préservation de la paix dans le monde et des moyens de l’évaluer et de l’améliorer…Ainsi durant sa première présidence du Conseil (mai 2010)  la délégation libanaise consacra une séance pour débattre du ‘dialogue des cultures pour la paix et la sécurité internationales’ en raison de son expérience propre dans ce domaine et en raison de l’importance qu’a prise cette question après le 11 septembre 2001 : images stéréotypées de l’islam, haines de l’Autre, déni du pluralisme, du dialogue et de la tolérance. Durant sa seconde présidence (septembre 2011), elle consacra un débat de haut niveau à ‘la diplomatie préventive’ qui cherche non à endiguer les crises ou même à les résoudre mais à les empêcher par une meilleure performance du Conseil dans leur dépistage, par la collaboration intense avec les organisations régionales, par la consolidation des liens avec les forces vives des diverses sociétés civiles. Le Liban chercha, en conséquence, à réfléchir dans son activité ses ‘responsabilités internationales’ tout en cherchant à les concilier avec la quête de ses propres intérêts et de ceux des autres pays arabes. »
          « Outre les débats concernant le Liban, outre ceux sur la Palestine qui fit l’événement à trois reprises (projet de résolution contre la colonisation israélienne, agression des forces de l’état sioniste contre la ‘flotte de la liberté’ qui se dirigeait vers Gaza, présentation de la candidature de la Palestine aux Nations Unies), 3 questions litigieuses furent au centre des discussions et des pressions. Le dossier nucléaire iranien et le vote de nouvelles sanctions contre l’Iran (juin 2010) : Le Liban s’est abstenu non seulement pour des raisons internes, non seulement parce que tel était le climat arabe prédominant sur la question, mais parce que telles étaient ses convictions sur ce point à savoir que le dialogue doit prévaloir sur les sanctions, que tout le Moyen Orient doit être soustrait aux armes atomiques et que chaque pays a droit à l’énergie nucléaire civile. Suite au soulèvement libyen, le Liban a parrainé les résolutions 1970 et 1973 (mars 2011). Cette dernière se distinguant par l’appel à protéger par tous les moyens les civils des bombardements, le Liban fit en sorte que son texte exclut expressément toute occupation, sous n’importe quelle forme, d’un territoire libyen. Enfin la « dissociation »  du Liban (août 2011) a rendu possible une déclaration du président du Conseil désapprouvant les atteintes aux droits de l’homme en Syrie pratiquées à une large échelle par le pouvoir ainsi que son usage de la force contre les civils.
Cette notion de « Disassociation » qui dans sa version arabe de « na’î bil nafss » fait couler beaucoup d’encre « a été utilisée pour la première fois par la diplomatie chinoise en 1974 à l’heure où Pékin ne voulait pas prendre partie dans le conflit frontalier irako-iranien. C’est une forme de neutralité. En effet, une déclaration du président du Conseil de sécurité requiert l’unanimité des 15 membres. En optant pour la « dissociation », le Liban a ainsi permis à la déclaration exprimant le consensus international de voir le jour sans devoir formellement s’y rallier ; de même, en s’abstenant  lors du vote du premier projet de résolution concernant la Syrie, la priorité était clairement donnée à l’unité et à la stabilité internes du pays. »
***
          L’entretien avec Nawaf Salam pourrait être infini. Nous avons passé outre bien des détails savoureux qui pourraient jeter des lumières sur les ficelles diplomatiques et les termes propres à la profession. Après tout ne vient-il pas de publier un ouvrage à justification éducative qui veut faire bénéficier les prochaines générations de son expérience et de celle de son équipe ? Mais pour toutes les précisions, il faut se reporter au livre même qu’il vient de faire paraître.
          Pour en revenir à la question posée au début de ce texte, nous pouvons découvrir dans le bilan newyorkais comment des hommes de bonne volonté peuvent transformer une semblance de schizophrénie en tâche à accomplir, en problèmes à résoudre et en pôles à rapprocher par des chaînons intermédiaires, si éloignés qu’ils soient. A la place maintenue et développée du Liban dans les sphères internationales, il faut ajouter aux mérites de notre ambassadeur deux autres vertus: l’action dépensée et inaperçue en faveur de la continuité  de l’État (collaboration avec 3 premiers ministres différents) et le savoir-faire déployé pour veiller à l’unité nationale. Par les temps qui courent, ces vertus sont précieuses et rares

Le Liban au conseil de sécurité 2010-2011 (Lubnân fî majliss al’amn 2010-2011), Sous la direction de Nawaf Salam, Dar al Sâqî, 2013.

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