Joseph Chami: Le
Mémorial du Liban, t. 9, De l’indépendance à la tutelle, 1988-1990,
s.e., 2013.
Avec persévérance et courage, sans oublier, pourquoi l’omettre,
le patriotisme, Joseph Chami continue à édifier son Mémorial du Liban et
le voilà publiant le neuvième volume. Le neuf est, si l’on en croit les hordes mongoles, le plus
harmonique des nombres[1].
La période décrite est plus proche de ces populations que de leur imaginaire en
la matière.
Nous
avons déjà accusé dans L’Orient littéraire, suite à la parution séparée de
deux tomes, le rôle capital de cet ouvrage pour la réorganisation des mémoires collective et
individuelle dans des cadres plus adéquats, c'est-à-dire moins sélectifs et
plus précis. Ajoutons que la démocratie n’étant concevable ni viable sans un
rappel des faits et positions pour aiguiller le jugement, de telles éphémérides
viennent remplir un rôle que les médias libanais couvrant l’actualité tendent le
plus souvent à négliger.
Fini le temps des mandats présidentiels qui ont servi à
découper et à nommer les précédents volumes. Nous sommes devant la courte
période où les institutions se détraquent, où manque à la République son
président, où la chambre n’arrive pas à élire le sien et où deux présidents du
conseil, Michel Aoun et Salim Hoss, à la tête
de deux cabinets, affirment vouloir gouverner et représenter le pays. De
l’indépendance à la tutelle, comme l’affirme le titre ? un aouniste
aurait pu ainsi résumer la situation fin 1990 (et son adversaire dire : de
la division à l’unité). Aujourd’hui l’intitulé nous semble trop général,
d’abord parce qu’avant cette date, le pays est déjà plus qu’aux deux tiers
occupé militairement; ensuite, parce qu’après cette date l’hégémonie syrienne
aura à tenir compte, à l’intérieur des frontières, d’autres puissances proches
et lointaines et qu’elle ne pourra jamais faire totalement abstraction des
institutions et des réalités libanaises, ce que l’auteur n’ignore pas et ce que
le livre montre. Par ailleurs, l’accord de Taëf (22/10/1989) dans sa triple
dimension de fin des actes de guerre (et de dissolution des milices), de
renouveau institutionnel et de compromis régional et international, et quels
qu’en aient été les aléas de l’application, aurait pu et dû servir de butoir.
Preuve en est qu’après « la tutelle », tronqué et contesté, cet
accord nous régit toujours. Le tome 9, en allant jusqu’au bout de l’année 1990,
c'est-à-dire au-delà du vote par le parlement des réformes constitutionnelles
(21/8), de l’occupation de Baabda par les troupes syriennes (13/10), de
l’unification et de la démilitarisation de Beyrouth (3/12) enfin de la
formation du cabinet Omar Karamé (24/12) ne s’inscrit pas en faux contre cette
logique.
En récapitulant cette période dense et meurtrière, nous
sommes frappés par ses cotés proches et lointains. Des voitures piégées aux attentats,
combats et violences, le paysage est souvent ressemblant. Mais si la plupart des
vétérans gardent les rênes du pouvoir, leurs positions ont changé et avec elles
les dures réalités. Passons sur les attitudes de Aoun ou de Joumblatt ou de
l’opposition radicale à Taëf qui aujourd’hui s’en réclame. Mais qui eut pu se
remettre en mémoire la déclaration du chef d’Amal Nabih Berri, le
30/10/1988 : « l’objectif de la direction du Hezbollah est passé
de la révolution à l’enrichissement et son action est désormais mue par les
affaires foncières et commerciales au point qu’elle est devenue une mafia… »[2] La
barbarie des combats inter-chiites (3000 tués entre Amal, Hezbollah et
Palestiniens dans la seule année 1988) et interchrétiens aurait dépassé l’imagination n’eussent été les atrocités sous
nos yeux en Iraq et en Syrie.
On peut certes relever, dans l’ouvrage, quelques erreurs
dues sans doute à des sources hâtives : Nazem Kadri, député assassiné,
n’est pas un « grand propriétaire terrien » (p. 92) et Zahlé n’est
pas « une ville située à proximité de la frontière syrienne »[3]
(p. 106)…Le portrait du mufti Hassan Khaled ressemble plus à un éloge funèbre
qu’à une mise en perspective historique objective[4]
(p. 64)…On peut regretter certaines formulations et discuter certaines
catégorisations. Mais on se félicite de la plus grande place donnée aux arts et
lettres, de l’importance gagnée par les faits économiques et quotidiens, du
souci plus attentif aux actes et discours des protagonistes de
« l’ouest », de l’utilisation de sources bibliographiques
indépendantes des journaux comme les mémoires du patriarche Sfeir et les livres
de Carole Dagher, Albert Mansour, Tannous Moawad et bien d’autres…
La question que pose avec plus d’acuité que les autres ce
volume est la suivante : sommes-nous devant un bilan historique ou devant
des éléments, les plus complets possibles, permettant des évaluations et des
conclusions plurielles ? Il est clair que Joseph Chami n’a pas voulu
trancher et qu’il garde les deux fers au feu. Son bilan sévère de la situation
est à la mesure de ses espoirs déçus. Mais c’est le corpus des événements qui,
plus que les opinions, durera. Intégrées dans le flux historique, elles ne manqueront
pas cependant de jeter leur précieuse lumière.
[1]
Sénancour: Obermann cite in CNRTL (Web)
[2] De même ce qui étonne nos
oublieuses mémoires, c’est la virulence des prises de position du cheikh M. H. Fadlallah sur l’instauration d’un Etat
islamique au Liban.
[3] Takieddine Solh n’a pas été élu député de
Zahlé en 1947 (p. 23) mais en 1957. Le père de Elias Hraoui n’a jamais été élu
député (p.106)…etc…
[4] Il aurait suffi de réviser le volume 5 et
6 du Mémorial pour se faire une idée moins monochrome de l’homme. Au
début de la guerre de 1975, il affirma dans un discours que les Palestiniens
formaient l’armée des musulmans.
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