Thursday 8 January 2015

JOSEPH NOUJAIM POÈTE DU MAL : PRÉSENTATION & TRADUCTION






Joseph Noujaim prenait un soin particulier de ses recueils, mais ils étaient depuis longtemps introuvables en librairie. Il voit, plus de trente après sa mort, son œuvre poétique réunie grâce à un nombre de fidèles dont le préfacier Joseph Sayegh. (Shi‘r Joseph Noujaim, Dar Nelson, 2014, 416pp.) L’événement mérite d’être signalé, s’agissant d’un poète authentique et d’une voix originale et classique.
 Noujaim est né à Cana (Sud Liban) et partagea sa vie entre Beyrouth et Paris. Ses émissions radiophoniques nocturnes sur les poètes et poétesses arabes restent mémorables ainsi que ses cours d’enseignement. Son existence brève (1928-1983) fut dominée par l’accord avec une œuvre exigeante vouée au culte de l’éros, des sens, de la femme (avec une prédilection manifeste pour le vocable et le sujet « bint » (fille)), de l’ivresse, de la poésie.
Sa première œuvre  est une tragédie en vers, Absalon (1953) composée dans le sillage de Qadmous et surtout de Bint Yaftah de Saïd Aql : sujet puisé dans la Bible, drame familial centré sur l’amour et la révolte filiaux, mètres classiques, leçons de Racine et du symbolisme français retenues...Cet écrit paraît pour la première fois en ouvrage après ne l’avoir été à l’époque qu’en épisodes dans la revue Al Hikma de Fouad Kenaan. Sont publiés ensuite les recueils Jassad (Corps), 1960, Takht (Couche), 1969, Al Qasîda al mal‘ûna (Le poème maudit), 1970, Banâtt (Filles), 1973. Un dernier recueil posthume leur est aujourd’hui ajouté.
Le projet mallarméen de « reprendre à la musique son bien » est commun aux poètes de Rindala et de Jassad, mais pour le second la lune a disparu et il ne reste que la nuit. D’où l’atmosphère sensuelle liée au mal et  nourrie de transgression qui tend sa poésie et taille dans des mètres arabes maîtrisés et l’élection d’affinités sonores son parfait correspondant.




Dessin de César Gemayel illustrant Jassad 



NOIR ET ROUGE
La nuit est seulement part de ma confidence
J’en fais ostentation en toute malfaisance
  
Seigneur de la route je m’enfouis
En perpétuelle déviance

J’ai accepté pour lieu
Le noir jeté sur ma conscience

J’y puise des plaisirs
Criant ardents à ma mouvance

Et l’ivresse saccage mes nerfs
Par une coupe gorgée d’impudence

Servie par la générosité de Dieu
Dans l’âge le plus rance



Biens relevant de l’invisible
Versés sur l’exubérance

La déité se met presqu’à la traîne
Quand, en sacralité, la souillure avance

Un univers en vues implore grâce
 Criant : « Monstrance! »

La mettre à nu est petit jeu
Sur couche en transe

Je la dégage de son âme
Et m’évanouis en turbulence

Je la couvre de baisers, je la hume, je me jette
Sur un corps débordant d’insistance

Sur une chair de miel et d’amertume
Sur un encens dont épuise la fragrance


Hommage à ses seins ! Je suis comblé !

Dépouilles d’âme : Recherchez délivrance!

No comments: