" - Pourquoi
Maître, écrivez-vous votre prénom avec Ph ? – Tanmîr (afféterie) ! »
Pharès Zoghbi était un amoureux de la lettre mais sa passion ne se passait ni
de l’esprit, ni de l’humour. Aux années 1990 et 2000 où je l’ai connu, il affichait
toujours simplicité et générosité sur un visage d’enfant auréolé de chevelure
blanche et où un regard malin perçait des lunettes minimales à monture dorée.
Son dos semblait porter plus le poids d’une Culture à sauver, à transmettre et à
en tirer un parti éducatif que celui des ans.
Né dans le Minas
Gerais au Brésil, orphelin à 6 ans, il revient à Cornet Chahwan dans sa
douzième année avec le portugais pour unique bagage. Elève au collège de la
Sagesse, étudiant à la faculté de Droit de l’USJ, il maîtrise le français et
l’arabe. Dans A livres ouverts: Une vie de souvenirs (Dar annahar, 1998),
on le voit se rendre à la fin des années 1930 à la Librairie Antoine de Bab
Idriss pour se procurer Le Temps et L’Action française. L’ouvrage raconte, à travers des anecdotes
savoureuses, comment s’est façonné son itinéraire.
Avocat chevronné, il dote Le Nahar de son ami Ghassan Tuéni d’un règlement
intérieur qui met la rédaction du journal à l’abri total de ses propriétaires. Chargé
de discuter avec Georges Naccache l’achat de L’Orient, il sort après de
longues heures d’âpres discussions en disant : « Il connaît très
bien Péguy ! » De passer maître dans le règlement des dossiers ne
le distrayait jamais d’une voluptueuse fréquentation de la culture, une culture
dans laquelle il cherchait le salut du Liban et un rempart vigoureux contre la
violence et la guerre. Son aptitude juridique, son vaste savoir et ses
affinités littéraires s’inscrivaient dans un engagement éthique et philosophique
pour l’être humain, la personne comme le montre son long compagnonnage
de la revue Esprit fondée par Emmanuel Mounier : il en possédait
tous les numéros (privilège unique de lettré) et il a reçu la confiance de ses
comités de rédaction successifs qu’il guidait dans le dédale libanais.
Sa
passion du livre imprimé auquel il consacra sa fortune donna une riche
bibliothèque où il aimait recevoir et guider et dans les jardins de laquelle il
invitait. Il en sut faire don, avec le domaine qui l’entoure, à l’USJ, à Cornet
Chahwan, au Liban, à la culture, l’humanisme et la liberté. Elle préserve
aujourd’hui son nom, son exemple et des pans de son ironie.En ce, Pharès Zoghbi a réussi à faire de sa mort une généreuse et brillante plaidoirie.
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