Friday 3 March 2017

PALESTINE SECULAIRE ET ININTERROMPUE




Yajûr Copyright Bruno Fert


Bruno Fert, texte de Elias Sanbar: Les Absents, Le bec en l’air, novembre 2016. Bilingue français/anglais.
Les absents de Palestine sont-ils encore présents sur la terre de leurs ancêtres, de leurs parents, d'eux mêmes en tant que déplacés, réfugiés, propriétaires d'un legs culturel ? Voilà ce que les 40 superbes photos de Bruno Fert parviennent à montrer avec délicatesse et magnificence, comme si la pudeur peut seule affronter l'ampleur du crime commis et qui ne cesse de se perpétuer et de s'étendre, comme si la beauté des lieux montrés, de leur représentation est seule digne du sujet, de l'enjeu. La retenue est partout: dans la mise en pages, dans le corps typographique prêté aux noms des lieux face aux photos, dans la place donnée in fine aux textes, dans la couverture noire où les poinçonnages bleus sur la carte signent les positions embrassées parmi mille autres jamais totalement perdues... Elle l’est essentiellement dans la vérité des images guidées sans artifice, sans exagération, sans souci de pureté ou d’inquisition, mais l’œil nu, amoureux et scrutateur. 
Que les paysages soient désormais rendus à la nature comme à Sirîn ou à Dayr al-Shaykh,  que les édifices d'avant l'exode soient religieux, politiques ou sociétaux, délabrés ou dressant leur belle architecture, que les pierres soient blanches ou les végétations vertes et fleuries, qu'on soit proche de la modernité israélienne ou éloigné d'elle,  ou encore livré à ses vacanciers, déchets et bouteilles vides, que de nouveaux mariés s’infiltrent dans les ruines d’un château (Majdal Yâba) ou que des pierres tombales se trouvent bousculées…c’est toujours cette vie historique séculaire et ininterrompue qui parvient à respirer dans la lumière éclatante, brumeuse et nocturne de la terre de Palestine. Comme le note l’écrivain israélien Yehonathan Geffen cité par Elias Sanbar: « Cela fait un moment que je sens que cette maison ne m’appartient pas. Mais dernièrement, un autre sentiment est venu s’ajouter au premier, je sens que quelqu’un vivait dans cette maison avant que nous y venions. »  Loin d’être un album de nostalgie,  ce livre authentifie l’affirmation, la présence et l’espoir.


Pour être limité dans ses pages, le texte de Elias Sanbar va à l’essentiel tout en sauvegardant à son itinéraire la liberté de la randonnée sémiotique (rails, cimetières et fantômes). L’érudition ne se fait jamais lourde, la passion du territoire est toujours déférente, la remarque pointue. Les notes historiques sur les villages expulsés en 1948, succinctes et précises, jettent les lumières indispensables. Le gai, tragique et sensuel savoir se cueille aux sites saisis.    

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